Par deux fois, le Luxembourg a été inscrit sur la liste grise des paradis fiscaux de l’OCDE. Le Gand-Duché espère bien que la visite du Gafi prévue en novembre ne lui donnera pas l’occasion de faire la passe de trois. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Par deux fois, le Luxembourg a été inscrit sur la liste grise des paradis fiscaux de l’OCDE. Le Gand-Duché espère bien que la visite du Gafi prévue en novembre ne lui donnera pas l’occasion de faire la passe de trois. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Cet été, Paperjam passe en revue 10 dates-clés de la place financière. Cette semaine 2009, date de la première inscription du pays sur la liste grise de l’OCDE stigmatisant les paradis fiscaux. Un choc. Et la prise de conscience de la fin de l’ère des niches de souveraineté.

Replaçons-nous dans le contexte de l’époque.

Depuis 1929, le développement de la Place a eu comme fondation une politique d’offshoring et d’utilisation des niches de souveraineté. Rappelons-nous ce que disait Pierre Dupong, ministre des Finances au moment de l’adoption des holdings 29: «Si le projet de loi n’était pas voté, ces sociétés s’éloigneraient de nos frontières, pour s’établir dans des pays où on leur donne de plus grands avantages. Qu’est-ce que nous y aurons gagné? Absolument rien…»

Rappelons-nous aussi ce que disait Pierre Werner, le fils spirituel de Pierre Dupong, au moment de la naissance du marché des eurodollars – marché contournant les règles fiscales américaines de l’époque – et des euro-obligations: «Les investisseurs ne trouvant pas l’avantage d’un régime de faveur ou de liberté à Luxembourg le trouveraient aisément ailleurs.» C’était l’époque de la création des holdings de financement, véhicules juridiques permettant que des groupes internationaux puissent structurer leurs emprunts obligataires dans un cadre fiscal attrayant. Les titres de ces emprunts étaient exemptés de retenue à la source.

Rappelons-nous encore le scandale Investors Overseas Services. Enterré sans fleurs ni couronnes. Tout comme les affaires de la Banco Ambrosiano en 1982 et de la BCCI en 1991.

Le modèle offshore, ce modèle où les niches de souveraineté cautionnent la prospérité, était au cœur du consensus politique et social. L’adoption du secret bancaire sera le point culminant de cette tranche d’histoire.


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En 2009, sur la sellette, le secret bancaire était en cours de démantèlement.

Un démantèlement bien négocié. Mais peut-être un peu trop tardif. . Son abolition était à l’ordre du jour de l’UE depuis les . Une abolition progressive passant par l’instauration d’une retenue à la source censée protéger la vie privée des clients des banques tout en satisfaisant les revendications des autorités fiscales d’origine desdits clients.

Le problème, c’est qu’après 2008 et l’effondrement de Lehman Brothers, les budgets des États ont besoin d’être renfloués et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale devient le credo fédérateur pour les gouvernements et les opinions publiques nationales. Des opinions publiques toujours impatientes. Avec comme conséquence d’accélérer la dynamique régulatrice et de fermer les trous du système en renforçant la coopération juridique.

50 nuances de gris

Premier coup de semonce: l’inscription du Luxembourg – parmi 38 autres pays – sur la liste grise sur la coopération fiscale internationale de l’OCDE, le 2 avril 2009. Cette liste «grise» stigmatisait les États qui, dixit l’OCDE, s’étaient engagés à respecter la convention-cadre de l’OCDE en matière de transparence bancaire et fiscale, mais qui n’en ont pas substantiellement appliqué les critères. Concrètement, l’adoption d’un certain nombre d’accords de non-double imposition avec des pays tiers.

Cette inscription a suscité l’ire des responsables politiques de l’époque – , Premier ministre, , ministre du Budget, et , vice-Premier ministre – qui accusaient l’OCDE d’être instrumentalisée par les grands pays européens et notamment le «directoire franco-allemand». L’absence sur la liste du Delaware, des îles Vierges américaines, de Hong Kong, de Macao et des îles anglo-normandes – paradis fiscaux reconnus – étayait . Tout comme les attaques extrêmement violentes du ministre des Finances allemand de l’époque, Peer Steinbrück.

Dans cette liste de 2009, on trouvait également la Suisse, la Belgique et l’Autriche. Des États adeptes du secret bancaire. Ce n’est pas anodin dans le contexte.

Le pays sortira en trois mois de cette liste en concluant les accords de non-double imposition avec des pays tiers réclamés par l’OCDE pour arriver au nombre palier de 12.

Ce n’est pas pour autant que la pression va retomber.

Deuxième alerte

En 2010, c’est le Gafi (Groupe d’action financière, un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) qui met le Luxembourg à l’index. Suite à sa visite de 2010, les conclusions du rapport d’évaluation mutuelle du Luxembourg en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme sont mauvaises pour la Place. En résumé, le Gafi reproche au Grand-Duché, outre son secret bancaire, d’être trop peu répressif et pointe le manque de pouvoirs de la CSSF et la taille réduite de la Cellule de renseignement financier.

Des critiques qui font craindre une nouvelle inscription sur la liste grise de l’OCDE.

Pour éviter cela, le gouvernement joue à fond la carte des réformes et adopte un certain nombre de lois. Dont le fameux projet 6163, dont l’intitulé complet montre bien le bouillonnement tous azimuts du législateur pour se conformer aux désidératas du Gafi: projet de loi portant renforcement du cadre légal en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, portant organisation des contrôles du transport physique de l’argent liquide entrant, transitant par ou sortant du Grand-Duché de Luxembourg, relatif à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et des actes adoptés par l’Union européenne comportant des interdictions et mesures restrictives en matière financière à l’encontre de certaines personnes, entités et groupes dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme. Projet qui modifie 21 lois et quelques règlements grand-ducaux.

Cette débauche d’énergie portera ses fruits, et du Luxembourg sur la liste grise.

Changement de paradigme

Le répit sera de courte durée. Le 23 novembre 2013, le sixième Forum mondial se tenait à Jakarta sous l’égide de l’OCDE pour évaluer la transparence fiscale de 50 pays par un système de notation entre États. Si le cadre juridique et réglementaire a été jugé conforme aux standards de l’organisation pour permettre une réelle coopération et un transfert d’informations fiscales, ce sont les pratiques qui sont épinglées. Et plus spécifiquement les quatre points suivants: la détermination du bénéficiaire économique réel, l’accès aux informations fiscales, les instruments de coopération permettant l’échange d’informations, ainsi que le respect des droits des contribuables et des tiers.

Succédant à Luc Frieden au poste de ministère des Finances (CSV), ce sera à (DP) de remettre la Place dans les clous et dans le bon état d’esprit, . Ce qu’il fera en avec comme moments forts l’abandon du secret bancaire en 2014, l’approbation de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale datant de 2013, l’adoption d’une nouvelle réglementation des actions au porteur, l’adoption de la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande et la signature de la déclaration de Berlin quant à l’introduction de l’échange automatique d’informations sur la base des nouveaux standards établis par l’OCDE.

Désormais, le Luxembourg veut apparaître comme le bon élève et être parmi les ‘early adopters’ des réformes fiscales. Ce fut notamment le cas pour la question de .

Cette marche vers la transparence et une image plus conforme connaîtra quelques accrocs. Comme en novembre 2014 avec l’affaire LuxLeaks et ses répliques, comme les Panama Papers,  ou encore les accusations de l’. Ce qui n’empêchera pas le pays de sortir une seconde fois de la liste grise de l’OCDE le 30 octobre 2015. Il aura fallu cette fois près de .

Et demain? Le Gafi est attendu sur la Place pour une nouvelle évaluation mutuelle ce 2 novembre. Et une certaine anxiété est palpable auprès des acteurs de la place financière.

À suivre.