La création de la Bourse de Luxembourg répondait à un double objectif: promouvoir les titres luxembourgeois et attirer la cotation de titres étrangers. (Photo: Bourse de Luxembourg)

La création de la Bourse de Luxembourg répondait à un double objectif: promouvoir les titres luxembourgeois et attirer la cotation de titres étrangers. (Photo: Bourse de Luxembourg)

Cet été, Paperjam remonte le temps et passe en revue 10 des grandes dates clé de la place financière. Retour presque un siècle en arrière avec notre troisième voyage dans le temps, en 1929, année qui voit la création de la Holding 1929 et de la Bourse de Luxembourg.

1929 est une année charnière pour la place avec la création de deux outils sur lesquels elle va bâtir son ascension au début des années 60: la Holding 1929 et la Bourse de Luxembourg. Deux outils qui propulsent le pays vers l’offshoring. Mais replaçons-nous dans le contexte de l’époque.

En 1929, l’économie souffre encore des effets de la Première Guerre mondiale, le système monétaire international est mort, les grandes nations belligérantes financent leur reconstruction en alourdissant leur fiscalité tandis que les petits pays souffrent du tarissement des échanges internationaux. La réponse de ces derniers: l’offshoring! Le Luxembourg n’est pas le seul à faire cela. Mieux, le Grand-Duché ne fait qu’emboiter le pas à la Suisse, à Monaco, au Liechtenstein et au Panama.

L’adoption de la loi sur les holdings le 17 juillet, loi qui ne comptait pourtant que deux articles, a donné lieu à deux jours de débat intense.

Au nom du réalisme

Les holdings, ou sociétés mères n’avaient pas le droit d’avoir d’activité commerciale ou industrielle dans le pays. Leur utilité était de permettre à de grandes sociétés françaises, belges, allemandes, voire britanniques ou américaines, de rassembler leur capital au Luxembourg en l’exonérant d’impôt. En effet, les «H29» étaient uniquement assujetties à un droit d’enregistrement, à un droit de timbre et à un droit d’abonnement.

Pour le gouvernement de l’époque, l’enjeu était double: attirer de nouvelles rentrées fiscales et attirer au Luxembourg des capitaux pour alimenter son industrie sidérurgique. Pour l’opposition, attirer des capitaux étrangers grâce à des artifices légaux, se lancer dans une guerre de dumping fiscal ou encore risquer une perte de souveraineté au profit de puissants intérêts financiers sont autant d’éléments qui ont été évoqués lors du débat.


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Le ministre des Finances, Pierre Dupong, avait un argument simple à leur opposer: «nous avons en ce moment la certitude qu’un certain nombre de sociétés Holding s’établiront prochainement chez nous, si le projet est voté. Si le projet de loi n’était pas voté, ce que je n’admets pas un seul instant, ces sociétés s’éloigneraient de nos frontières, pour s’établir dans des pays où on leur fait de plus grands avantages. Qu’est-ce que nous y aurons gagné? Absolument rien…» Le Parti ouvrier ne trouva rien à redire à l’argument. Il condamna le principe de la loi, mais accepta son adoption au nom du réalisme.

La Bourse de Luxembourg elle-même est conçue à l’époque sur ce modèle. Sa création répondait à un double objectif: promouvoir, bien sûr, les titres luxembourgeois, mais surtout, attirer la cotation de titres étrangers. Pour ce faire, les opérations boursières sont défiscalisées.

Des dividendes tardifs

Cette politique d’offshorisation ne va pas porter ses fruits immédiatement. Le krach de 1929 – qui arriva trois mois après le vote de la loi – suivi de la grande dépression de 1930, puis la montée des périls en Europe qui débouche sur la Seconde Guerre mondiale limitent les possibilités de circulation du capital. Il faudra attendre la fin de la guerre et le boom économique qui s’en suivit durant lesquels l’encadrement strict des activités bancaires mises en place par les grands États industriels est sans cesse tenté d’être contourné par les grandes multinationales.

Certes, le nombre de H29 progresse: 40 fin 1929, 345 en 1932 et près de 1.000 en 1939.

L’âge d’or des H29 et de la Bourse commence avec la naissance des eurodollars, en quelque sorte le premier marché transnational de l’épargne, à la fin des années 60 et favorise l’essor de la Banque privée au mi-temps des années 80.

Il faudra attendre 2010 et l’action de la Commission européenne pour voir disparaitre la dernière H29, victime d’un changement – naissant pour ne pas dire balbutiant – de paradigme: la fin du chacun pour soi dans les relations fiscales interétatiques et la reconnaissance que les revenus générés par l’optimisation fiscale ne profitaient pas à la population. Le consensus qui s’était installé suite au vote de la loi sur les holdings commencera à se fissurer, emporté par le choc des Luxleaks et des Panama Papers. Mais dans l’industrie de l’évasion fiscale qui s’est développée dans les années 90 basée sur le triomphe du néolibéralisme, la naissance du marché européen unique et l’absence d’harmonisation fiscale, elle, était devenue obsolète, une survivance du passé.

La Bourse de Luxembourg s’était, elle, bien avant réorientée dans la cotation des obligations et des fonds d’investissement et amorçait son virage pour devenir la place de marché du développement durable.

Une tout autre image pour le pays.