Jean-Jaques Rommes (ABBL) (Photo: Andrés Lejona)

Jean-Jaques Rommes (ABBL) (Photo: Andrés Lejona)

Monsieur Rommes, comment réagissez-vous à la publication de cette liste?

«L’OCDE admet que le Luxembourg n’est pas un paradis fiscal. L’OCDE reconnaît la légitimité de notre secret bancaire. Mais nous nous retrouvons quand même sur une liste qui a fait dire au ministre des Finances allemand (Peer Steinbrück, ndlr) qu’il n’excluait pas des sanctions contre les pays qui y figurent. Cette affaire sent vraiment le pourri. Car le gouvernement luxembourgeois avait fait tout ce qu’on lui demandait.

Le 13 mars, le ministre du Trésor et du Budget, Luc Frieden, avait en effet annoncé une inflexion du secret bancaire, avec l’adoption des standards de l’OCDE en matière de conventions fiscales. Quand ces évolutions seront-elles effectives?

«Il y aura des changements lorsque les nouveaux traités de non double  imposition avec d’autres Etats seront signés et ratifiés par les parlements respectifs des deux Etats. A partir de ce moment-là, l’administration fiscale étrangère de l’Etat signataire pourra demander des renseignements en cas de suspicion de fraude fiscale auprès de l’administration fiscale du cosignataire. Nous constatons aujourd’hui que la France, l’Allemagne et les Etats-Unis veulent renégocier très vite les traités existants. Il se peut que ça aille vite, mais étant donné les problèmes de procédure et de ratification, ce ne sera probablement pas une question de semaines, mais de mois.

Comment se fait-il que ni Hong Kong, ni Macao, ni les Iles Anglo-normandes, ni certains Etats américains comme le Delaware ou le Wyoming ne soient placés sur cette liste?

«Il est manifeste que les pays qui se sont trouvés à la table du G20 se sont blanchis eux-mêmes et ont noirci les autres. C’est une façon fallacieuse de procéder.

Pourquoi par exemple les Iles Vierges britanniques sont-elles sur cette liste et pas le Royaume-Uni puisqu’il s’agit d’un territoire britannique?

«C’est un procédé de manipulation. Cette liste n’est guère en phase avec les réalités de terrain. Cela met en cause la crédibilité de l’OCDE de façon tout à fait spectaculaire. Je dois dire que je le regrette. Car jusqu’à présent, au Luxembourg, si le monde syndical a toujours exprimé un scepticisme total à l’égard de toutes les affirmations de l’OCDE,  la sphère économique et financière attachait une certaine crédibilité à ses prévisions et ses analyses. La marque OCDE se retrouve corrompue et la crédibilité de cette organisation internationale est remise en cause pour longtemps.

Estimez-vous que l’OCDE a ainsi fait la preuve de son manque d’indépendance?

«Il est certain qu’elle a manqué totalement d’indépendance intellectuelle et morale.

Peut-on dire que l’OCDE a cédé aux pressions de la France et de l’Allemagne?

«Oui. Certes, ce n’est pas un petit pays comme le Luxembourg qui parviendra à isoler les grands pays de l’OCDE, mais il y a un grand malaise actuellement.

L’objectif est-il néanmoins de sortir de cette liste grise?

«Le Luxembourg a dit qu’il ferait un certain nombre de choses. Et le Luxembourg n’a jamais fait de promesses sans les tenir. Si l’OCDE respecte ce qu’elle dit vouloir faire, ce dont je doute un peu, alors nous sortirons presque automatiquement de la liste.

Il faut avoir signé douze conventions de non double imposition pour sortir de la liste. Pourquoi douze?

«Nous n’en savons rien. Le chiffre de douze sort de nulle part. On nous dit maintenant que notre déclaration politique de collaborer n’est crédible qu’à partir du moment où nous avons signé douze accords de non double imposition. Pour illustrer l’absurdité du procédé, il suffirait pour nous de signer douze traités de non double imposition avec d’autres pays qui sont sur la liste grise et pas avec la France, l’Allemagne ou les Etats-Unis. Ce n’est évidemment pas l’intention du gouvernement luxembourgeois, qui n’a pas envie de freiner les négociations de façon malhonnête.

Quatre pays, le Costa Rica, l’Uruguay, les Philippines et la Malaisie, avaient été placés sur une liste noire dont ils sont sortis aussitôt. Pourquoi ?

«Je ne sais pas comment ils se sont retrouvés sur cette liste, ni comment ils en sont sortis aussi vite. Les voies de l’OCDE sont impénétrables.

Pourquoi est-ce si gênant de figurer sur une telle liste? Monaco a longtemps figuré sur une liste noire et vivait visiblement très bien avec. Est-ce différent pour le Luxembourg ?

«Le Luxembourg se considère comme une place financière sérieuse, réglementée, respectant les traités bilatéraux qu’il a signés, respectant les règles du droit international dues à son appartenance à l’Union Européenne (UE). Nous ne pouvons pas admettre de nous retrouver épinglés comme des malpropres, sans même avoir une compréhension du processus. Notre ambition est d’être reconnu comme un centre financier international, c’est-à-dire dont le marché se trouve au-delà de ses frontières domestiques. Et nous avons le soupçon que c’est cette ambition transfrontalière, profondément européenne, qui commence soudain à déranger nos voisins. La lutte contre le secret bancaire nous semble être un prétexte.

Vous pensez que les attaques sur la responsabilité des banques dépositaires luxembourgeoises après l’affaire Madoff et ces attaques-là sont de même nature?

«J’en ai bien peur. Le Luxembourg s’est fait attaquer en France sur la fiscalité, sur le secret bancaire, sur la TVA, sur la responsabilité des banques dépositaires. On peut craindre que les attaques qui viennent de France aient un fonds très différent de la moralité fiscale souvent avancée.

Comment expliquez-vous que la France s’en prenne au Luxembourg, alors que l’Allemagne attaque plutôt la Suisse ou le Liechtenstein?

«L’Allemagne attaque les pays germanophones et la France attaque les pays qu’elle considère comme francophones. Si le Luxembourg parlait l’anglais, nous aurions moins de clients de ces deux pays-là, mais on ne nous attaquerait pas de cette façon. Comme on parle aussi français au Luxembourg, les Français ont tendance à croire qu’ils sont ici chez eux et que nous devrions appliquer leurs lois sur notre sol.

Quelles informations vous font remonter vos membres sur le sujet?

«Cela dépend du modèle commercial de la banque. Il se dessine toutefois une majorité très claire en faveur des décisions prises par le gouvernement luxembourgeois. Le Luxembourg doit sortir de cette image de paradis fiscal, de refuge pour patrimoines non déclarés qui  ne lui correspond pas. Le Luxembourg doit renforcer son image de centre financier transfrontalier réglementé suivant les normes européennes. On ne peut pas se retrouver sans cesse dans le collimateur des médias étrangers. Ce n’est pas favorable pour notre économie et notre place financière.

Faut-il voir une mauvaise compréhension ou de mauvaises intentions dans le sort réservé au Luxembourg dans les médias français?

«Pour citer à dessein notre premier ministre après le reportage de France 2 (lors du journal de 20 heures le 21 octobre, ndlr), nous constatons une condescendance bien franco-française. Elle est vraiment perçue comme telle au Luxembourg, où nous constatons que la France n’est actuellement plus guère ressentie au quotidien comme un voisin aux intentions amicales.

Est-ce également vrai pour l’Allemagne?

«Avec ce qui s’est passé ces dernières semaines, l’engouement des Luxembourgeois pour l’Europe a souffert. Quant à l’Allemagne, nous avons l’impression que le mépris n’a pas la même profondeur qu’en provenance de France. Toutefois, il y a eu de la part de certains politiques allemands des déclarations qui ouvrent un abîme et qui rappellent des choses que le Luxembourg s’apprêtait tout de même à oublier.

Comment se présente la prochaine renégociation de la directive européenne sur l’épargne qui était entrée en vigueur en 2005 et avait permis au Luxembourg, comme à la Belgique, à l’Autriche ou à la Suisse, de procéder par retenue à la source et non par échange d’information systématique?

«Je ne suis pas sûr que les négociations sur ce sujet soient facilitées par les derniers développements relatifs aux standards OCDE dont nous avons parlé. Des travaux sont prévus avant l’été sur ce dossier, mais une conclusion est tout à fait impossible à court terme, puisqu’avec les élections européennes la Commission va être reconstituée. Au passage, il y a aussi les élections en Allemagne et au Luxembourg. On ne peut pas imaginer autre chose qu’un grand tapage avant ces échéances. Ce n’est qu’après, que ce dossier pourra sérieusement avancer.

La question de l’échange d’informations automatique est-elle envisageable?

«Non. D'ailleurs, cela ne fonctionne pas, contrairement à la retenue à la source que nous appliquons.

Voulez-vous dire que le Luxembourg se servira de la règle de l’unanimité en matière de fiscalité pour freiner les débats?

«La France et l’Allemagne ont également besoin de nous. Ils doivent se rendre compte qu’ils doivent aussi avancer avec nous et pas seulement contre nous.»