Replaçons-nous dans le contexte de l’époque.
Investors Overseas Services Limited (IOS) était un important groupe financier offshore qui, dans les années 1960, faisait le commerce de fonds d’actions, de biens immobiliers et d’assurances, ciblant d’abord les militaires puis les citoyens américains vivant à l’étranger, puis des nationaux fortunés qui souhaitaient transférer leur argent à l’étranger en violation des lois fiscales et des réglementations sur les devises de leur pays d’origine. Sa faillite vers 1970 fut retentissante.
IOS a été fondé par un homme d’affaires américain, Bernard Cornfeld. Un concentré des sixties: Rolls, cigares et top models. Ce prophète du «people’s capitalism» commercialise des fonds d’investissement à travers le monde, notamment au Luxembourg. Le plus important de ses fonds, l’International Investment Trust, lancé le 5 janvier 1961, était domicilié auprès de la Banque internationale à Luxembourg. IOS ouvrira même sur la Place une banque, l’Investors Bank, en 1963.
Un schéma de Ponzi
L’empire de Bernard Cornfeld s’effondre comme un château de cartes en 1970, victime du retournement des marchés financiers. Tous les ingrédients d’un bon scandale financier se retrouvent dans cette affaire: une société offshore qui déménagera au gré du vent, passant sans sourciller de Genève à Panama après avoir été interdite d’exercer aux États-Unis et en France. Une comptabilité opaque et une structure impénétrable de dizaines de filiales, de banques, d’assurances et de fonds d’investissement, implantés dans les paradis fiscaux les plus divers.
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IOS était en dernière analyse un gigantesque système de Ponzi. Parlant du fonctionnement de l’entreprise, l’économiste John Kenneth Galbraith expliquait qu’«IOS était avant tout un énorme appareil de vente dans lequel des vendeurs de titres recrutaient d’autres vendeurs et recevaient ainsi une commission sur leurs ventes. Les personnes ainsi embauchées recrutaient à leur tour d’autres vendeurs, dont elles percevaient ensuite des commissions. En Allemagne, la pyramide comportait finalement six étages et seule une fraction des investissements proprement dits était encore consacrée aux titres qu’ils étaient censés acheter. Tout le reste était consacré aux commissions. Il serait difficile d’imaginer une entreprise financièrement plus inadaptée aux investisseurs.»
Première réglementation des fonds d’investissement
Les conséquences de la chute d’IOS au Luxembourg? Elles sont de deux ordres.
D’abord la création de Cedel – future Clearstream –, une société de clearing – comprendre compensation et règlement – qui prend en dépôt central tous les titres et qui substitue aux livraisons physiques des titres, la norme de l’époque, des transferts électroniques. Il faut savoir qu’à cette époque, en cas d’achat ou de vente, les titres doivent être livrés physiquement du vendeur à l’acheteur, y compris vers l’étranger, le paiement se faisant le plus souvent par des circuits séparés après livraison des titres. Une procédure lente, fastidieuse, chère et non dépourvue de risques. Cette montée en gamme de l’offre de services de la Place est en quelque sorte le bon côté de l’histoire.
La deuxième conséquence fut une surveillance accrue de l’industrie des fonds communs de placement. Alors que la commercialisation des fonds IOS est interdite dès 1956 en France, 1967 aux États-Unis et 1969 en Allemagne, le régulateur luxembourgeois n’y aura vu que du feu. En réaction, l’arrêté grand-ducal du 22 décembre 1972 soumet les FCP distribués à partir du Luxembourg à la surveillance du Commissaire au contrôle des banques et impose la publication d’une liste officielle. Un arrêté élaboré en collaboration avec les institutions financières qui donne «des lignes de conduite souples, mais précises, qui permettent une évolution sans stériliser les initiatives les plus valables», peut-on lire dans l’exposé des motifs. Le Conseil d’État soulignera pour sa part l’importance de «la protection du bon renom des places financières du Luxembourg», sans se soucier de la protection des investisseurs.
Consensus social
D’un point de vue politique, l’affaire ne rencontrera quasiment aucun écho dans la presse, à l’exception de la presse allemande, où elle fera les gros titres et sera – pudiquement – enterrée.
Tout comme le seront, quelques années plus tard, les affaires de la Banco Ambrosiano en 1982 et de la BCCI en 1991. Comme si le corps social ne faisait qu’un avec sa Place et adoptait la posture qu’eurent, en leur temps, Pierre Dupong puis Pierre Werner pour protéger le modèle offshore choisi par le Luxembourg. Un modèle où les niches de souveraineté cautionnent la prospérité. L’affaire ne sera d’ailleurs jamais évoquée à la Chambre des députés.
Il faudra attendre l’épisode LuxLeaks pour que ce consensus soit remis en question.