Jean-Claude Juncker et Luc Frieden au debriefing du sommet de Feira: pendant près de 15 ans, ils accompagneront le processus de disparition du secret bancaire.  (Photo: gouvernement.lu)

Jean-Claude Juncker et Luc Frieden au debriefing du sommet de Feira: pendant près de 15 ans, ils accompagneront le processus de disparition du secret bancaire.  (Photo: gouvernement.lu)

Santa Maria da Feira: petite ville du Portugal qui ne serait sans doute jamais sortie de l’anonymat si elle n’avait accueilli, en juin 2000, un conseil européen qui restera dans les mémoires pour deux des décisions qui y furent prises.

Le paragraphe 43 de la déclaration finale consacre ainsi l’entrée de la Grèce dans la zone euro: «Le Conseil européen félicite la Grèce pour les résultats qu'elle a obtenus ces dernières années en matière de convergence grâce à une politique économique et financière saine et il se réjouit de la décision concernant l'entrée de la Grèce dans la zone euro le 1er janvier 2001, ce qui constituera une nouvelle étape positive du processus d'intégration monétaire de l'Union.»

Quinze ans après, d’aucuns aimeraient bien voir le berceau de la démocratie quitter cette même zone euro, plombée par une dette abyssale que le tout nouveau gouvernement très à gauche, emmené par Aléxis Tsípras, tente tant bien que mal d’alléger auprès de ses «partenaires»  et accessoirement créanciers – européens.

Secret bancaire, le début de la fin

L’autre grande décision prise dans le cadre du sommet de Feira concerne davantage, et directement, le Luxembourg: il s’agit de l’approbation du calendrier de transition vers un système d'échange d'informations en tant que fondement de l'imposition des revenus de l'épargne des non-résidents. En d’autres termes: le début de la fin du secret bancaire qui suscite tant de jalousies – autant que de suspicions – vis-à-vis du Luxembourg.

Feira jette les principes de base d’une décision qui met pourtant près de 15 ans avant d’être définitivement adoptée par l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. Il faut dire que d’emblée, le Luxembourg assortit son accord de la condition non négociable que la même mesure soit appliquée simultanément non seulement à l’ensemble des autres pays membres de l’Union – à commencer par l’Autriche et la Belgique – mais aussi aux pays «tiers»: la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Monaco, Saint-Marin et les États-Unis d'Amérique. 

Ainsi, il faut attendre une réunion des ministres des Finances et de l'Économie de l'Union européenne en janvier 2003 pour que soit signé un accord politique commun sur la fiscalité de l'épargne, prévoyant qu’à partir du 1er janvier 2004, 12 des 15 États membres de l'Union européenne appliquent un échange automatique d'informations sur les revenus de l'épargne des non-résidents.

Pour les trois autres, le Luxembourg, l'Autriche et la Belgique, le système appliqué est celui d’une retenue à la source progressive, passant de 15% entre janvier 2004 et décembre 2006 à 20% entre janvier 2007 et décembre 2009 puis 35% à partir du 1er janvier 2010.

Une nouvelle fois, cet accord reste lié à l'adoption de mesures équivalentes par ces mêmes pays «tiers». «C'est une solution qui, pour être bonne pour l'Europe, n'est pas moins mauvaise pour la place financière luxembourgeoise puisque d'ici le 1er janvier 2010 nous disposons d'une grande prévisibilité d'action et d'opération et qu'après 2010 aucun arrangement avec la Suisse et les autres pays tiers sur la levée du secret bancaire ne pourra intervenir sans une nouvelle décision unanime du Conseil» pouvait se réjouir Jean-Claude Juncker, alors Premier ministre du Luxembourg et pas encore président de l’Eurogroupe (il ne sera nommé qu’en 2005).

Du gris au blanc

Les choses s’accélèrent ensuite à partir de la fin des années 2000, mais pas toujours dans le bon sens. Ainsi, en avril 2009, l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) frappe-t-elle un grand coup en positionnant le Luxembourg sur une «liste grise», lui reprochant de ne pas avoir adopté, à temps, les normes émises en matière d’échange de renseignements fiscaux.

Passé le grand courroux de cette décision, il ne faut que quelques mois au Luxembourg pour se «blanchir», au travers notamment de la signature d’accords bilatéraux conclus en matière d’échange de renseignements à des fins fiscales avec d’autres États.  

En décembre 2010, un nouvel accord est signé entre les États membres de l’UE (passés de 15 à 28 entre-temps) concernant l’échange d’informations entre administrations fiscales. «L’échange d’informations sur demande et, dans des cas spécifiques, entre les administrations fiscales (…) deviendra le principe de base au sein de l’Union européenne, et non pas l’échange automatique d’informations sur tous les types de revenus», rassure alors Luc Frieden, le ministre luxembourgeois des Finances.

Le texte prévoyait que cet échange automatique soit applicable pour quelques catégories de revenus et de capital, chaque État membre étant libre de choisir lesquelles.

32 voix pour, 23 abstentions

Les discussions traînent néanmoins encore un moment, même si le mouvement est inéluctable. En avril 2013, dans une interview publiée dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, Luc Frieden confirme que «la tendance internationale va vers un échange automatique d’informations bancaires. Nous n’y sommes plus strictement opposés».

La date du 1er janvier 2015 fait alors figure de grande échéance historique. Elle est encore plus d’actualité après le 20 mars 2014, date à laquelle le Luxembourg lève définitivement tout veto au sujet de la révision de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Un feu vert qui met un terme à six années de bras de fer depuis les propositions de la Commission européenne datant de novembre 2008 au sujet de l’extension du champ d’application de cette directive aux revenus équivalents à des intérêts et provenant d'investissements effectués dans divers produits financiers innovants, ainsi que dans certains produits d'assurance vie.

En novembre 2014, les députés luxembourgeois entérinent, après presque quatre heures de discussions, la réforme de la procédure d’échange de renseignements fiscaux avec les administrations étrangères dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale: 32 voix pour, 5 contre et 23 abstentions pour faire définitivement entrer le Luxembourg dans l’ère de la transparence.