Une santé financière fragilisée par le Covid et l’inflation, des salariés sous tension en raison d’une surcharge de travail, des syndicats mobilisés et qui prévoient une manifestation pour faire part de la colère de leurs affiliés, des relations décrites comme tendues ou difficiles avec le management… Les difficultés actuelles de Luxair vont faire l’objet d’une tripartite aviation le 26 septembre.
La compagnie aérienne avait perdu 154,9 millions d’euros en 2020 (contre un résultat net de 8 millions d’euros en 2019). Le nombre de passagers avait chuté de 69,3%, pour arriver à 658.000. En 2021, elle enregistrait toujours une perte nette, bien que moins importante, de 2,3 millions d’euros, et avait transporté 1,08 million de passagers, soit presque deux fois moins qu’en 2019.
L’État est l’actionnaire majoritaire de Luxair, à hauteur de 39,05% de son capital. En 2020, il a d’ailleurs consenti un effort de 50 millions d’euros sur trois ans pour sauver plus de 600 emplois, entre préretraites (265), reclassement structurel (227) et conjoncturel (157). De son côté, la Banque internationale à Luxembourg (BIL), actionnaire à 13,14%, a émis l’hypothèse d’une vente de ses parts, même si cela ne s’est pas concrétisé depuis et que rares encore sont ceux désireux de commenter cette éventualité.
Diplomatie et attractivité
Alors que les crises se succèdent, une question se pose: le Luxembourg a-t-il réellement besoin d’une compagnie aérienne nationale? Il n’y a pas l’ombre d’un doute, selon Paul Chiambaretto, professeur à la Montpellier Business School et directeur de la Chaire Pégase, dédiée à l’économie du transport aérien.
«Ces dernières années, dès qu’une compagnie nationale disparaissait, elle était à nouveau créée, apurée de ses dettes ou avec de nouveaux investisseurs», explique-t-il. «Il y a eu Alitalia (devenue ITA Airways en 2020, désormais en phase de rachat, ndlr); la Sabena, devenue SN Brussels Airlines puis Brussels Airlines, ou encore Swiss Air, devenue Swiss.»
La compagnie garantit que certaines lignes sont accessibles à destination ou au départ du Luxembourg.
Car avoir une compagnie nationale présente plusieurs intérêts pour un pays, même de petite taille. Elle peut faire office d’«instrument diplomatique». Notamment «quand on veut améliorer les relations avec un pays, on va augmenter les routes vers ce dernier». Un élément primordial «en période de crise s’il faut rapatrier ses concitoyens». De manière générale, elle assure une connectivité via plusieurs vols directs, et donc contribue à l’attractivité du pays. «Cela a un impact sur le nombre d’entreprises qui vont y établir leur siège, le PIB local.» Une autre compagnie ne pourrait-elle pas en faire autant, en reprenant les activités de Luxair? «Elle ne proposerait pas forcément de vols directs, parce qu’elle n’y verrait pas d’intérêt.»
Ce que confirme le ministère de l’Économie: «Outre le fait que Luxair est un des plus grands employeurs du pays, la compagnie garantit que certaines lignes sont accessibles à destination ou au départ du Luxembourg, qui sont peut-être moins rentables, mais qui représentent un certain intérêt (stratégique) pour le pays.»
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Et si les lois européennes encadrant la concurrence ne permettent pas aux gouvernements d’injecter librement de l’argent pour sauver leurs compagnies, «l’État sert souvent d’intermédiaire pour trouver des investisseurs», détaille Paul Chiambaretto.
80% de passagers par rapport à 2019 pour l’airline
«Certains observateurs prédisent tout de même une consolidation du secteur», admet-il. «On peut imaginer que les compagnies en meilleure santé rachètent des plus petites.» Même si «ce sont les low-cost qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu», selon lui, et elles n’ont «pas d’intérêt à racheter une compagnie en difficulté».
Il imagine alors plutôt «des rachats entre low-cost». On pourrait aussi assister à d’autres rapprochements, «comme Lufthansa (compagnie aérienne allemande, ndlr) qui avait racheté Swiss et Brussels Airlines». Il note également «de plus en plus d’acteurs non aériens qui investissent dans le secteur, notamment ceux de la logistique, qui ont énormément de liquidité et cherchent à se diversifier».
Avec une crise qui a touché toutes les compagnies aériennes, comment savoir qui risque ou non la faillite? «Les grosses compagnies ont retrouvé des niveaux d’activité similaires à ceux de 2019. Si on est à 80-90%, ça va. En revanche, si on est à 50%, il y a un problème.»
L’élasticité du client n’est pas infinie.
Luxair semble dans le bon. «Jusqu’en août, nous sommes en retard de 20% en termes de passagers par rapport à 2019 sur l’airline. Pour LuxairTours, nous sommes 20% en avance», calcule son CEO, Gilles Feith. Seulement, «aujourd’hui, chaque passager dans l’avion ne paie pas le prix du kérosène tel que nous le déboursons. Car l’élasticité du client n’est pas infinie. Nous estimons donc terminer l’année avec une perte opérationnelle (différente du résultat net cité plus haut, ndlr) de 5 millions d’euros, s’il n’y a pas de nouvelle flambée de Covid.»
En 2019, le résultat opérationnel était de -8,7 millions d’euros. En 2020, il avait chuté à -159,8 millions et en 2021, à -33,7 millions. «Cette année, nous avons eu un dividende de 70 millions d’euros, nous devrions donc avoir un résultat net positif.»
Les trajets de niche
Conclusion: «Il n’y a aucun risque de faillite à ce stade», assure Gilles Feith. «Luxair a la chance d’avoir eu les bons dividendes de Cargolux.» Ce qui n’empêche pas une situation «encore très compliquée jusqu’en 2025» à cause de l’inflation, prédit-il.
«Nous avons connu un risque de faillite, soit l’incapacité de faire face aux dettes, début 2021», admet-il. «Nous avons pu faire un refinancement de notre bâtiment, ce qui nous a permis d’avoir des capacités financières pour voler l’été et rebâtir nos réserves financières. Nous avons même pu repayer le bâtiment refinancé.»
Pour le CEO, la force de sa compagnie face au low-cost réside dans les trajets de niche. «Si Luxair n’existait plus, les compagnies reprendraient les routes comme Lisbonne ou Rome. Mais pas toutes les petites sur les plus de 90 que nous desservons.»
Notons que Lufthansa avait des parts dans Luxair jusqu’en 2015, revendues lors d’une refonte stratégique de son portefeuille. Gilles Feith n’imagine pourtant pas spécialement l’avenir avec de nouveaux investisseurs. «Luxair peut survivre si elle arrive à agrandir sa flotte, pour diviser les frais fixes et diversifier son offre pour voler dans les niches. Nous espérons ouvrir pour mars 2023 Pescara (Italie) et Split (Croatie). Nous regardons de nouvelles routes où nous estimons qu’il y a un potentiel pour la Grande Région.»
Reste à savoir sur quoi aboutira la tripartite aviation. «Mon grand souhait est qu’il y ait un constat mutuel sur le fait qu’il faut investir sur le long terme.» Concernant le dernier plan de maintien de l’emploi qui va jusqu’en 2023, Gilles Feith précise qu’aucun salarié n’est en chômage ou reclassement opérationnel depuis juillet et qu’il reste seulement 15 à 20 personnes en chômage structurel. Par ailleurs, 150 personnes ont déjà pris leur préretraite depuis décembre 2020.