Sans ses dons sur les pelouses de football, il n’aurait peut-être jamais intégré Cactus. Sponsor du club où il évoluait dans les années 1980, l’enseigne a offert une nouvelle voie à (67 ans), ex-international dont la carrière sportive a été .
Rapidement, il fait ses preuves dans l’entreprise, laissant de côté l’avenir tout tracé dans la banque ou les cabinets de conseil que lui promettait son cursus universitaire. Attiré par l’opérationnel, la diversité des enjeux et l’imprévu du retail, il trouve chez Cactus le terrain d’expression de son leadership. L’an prochain, Laurent Schonckert fêtera les 25 ans de son mandat d’administrateur-directeur. Un engagement durable au service de ce qui est devenu sa seconde famille.
Quel a été votre tout premier contact avec le milieu professionnel?
Laurent Schonckert. – «J’ai commencé avec un job étudiant. C’était au Kirchberg, en 1974, à l’âge de 16 ans. Pourquoi je m’en souviens de manière si nette? Parce qu’avec l’argent gagné au cours de ces deux mois, je me suis acheté ma première moto! Ce n’était pas le Kirchberg que l’on connaît aujourd’hui, il était en construction. Je travaillais moi-même dans une entreprise de construction, à contrôler les entrées et les sorties des camions qui amenaient les pierres. Par la suite, j’ai presque toujours travaillé en tant qu’étudiant. Notamment pour le grossiste de tabac Fixmer. Un job assez dur parce qu’il fallait faire des caisses et effectuer les tournées de livraison, mais c’était enrichissant. Puis dans une banque, ce qui m’a d’ailleurs amené à me dire que la banque ce n’était pas pour moi. Particularité: j’ai travaillé une fois chez un garde forestier.
Pour y faire quoi?
«J’ai planté des chênes, à Mamer, dont je suis originaire. Quarante ans après, les arbres sont d’une bonne taille, je les aperçois lorsque je passe à vélo. J’ai l’impression d’avoir fait quelque chose d’utile. Je me dis toujours: “Ces chênes seront toujours là quand moi je ne serai plus là.”
Ces 41 années sont passées tellement vite. Quand on y songe, on pense que c’était hier. Je ne me suis jamais ennuyé.
Le football tenait une place prépondérante dans votre jeunesse. Mais saviez-vous déjà ce que vous alliez faire, professionnellement parlant?
«Comme je viens de le dire, j’ai vite compris que la banque ce ne serait pas ce qui me plairait. Il y avait aussi une possibilité dans les assurances. Mon père avait un portefeuille, comme beaucoup d’autres. J’avais l’agrément, j’ai commencé là-dedans, et puis je me suis dit que, non, ce n’était pas pour moi non plus. C’est peut-être du côté de mes grands-parents maternels que m’est venu le goût du commerce. Ils tenaient un hôtel-restaurant sur les bords de la Sûre. La famille y passait tous les week-ends, j’aimais bien y être serveur pour me faire un peu d’argent de poche. Après des études en économie et en droit, le foot m’a amené à venir chez Cactus, qui était sponsor du club. J’y ai effectué un stage. Plus tard, j’ai rappelé le chef du personnel. J’avais fait connaissance avec l’entreprise, et l’entreprise avec moi. C’est par ce biais-là que je suis rentré.
Si vous vous remettez dans le contexte de l’époque, qu’est-ce qui vous a séduit dans l’univers de la grande distribution?
«Beaucoup de facettes, beaucoup de métiers différents. Souvent, les gens ne voient que la partie émergée de l’iceberg, donc le supermarché. Mais en dehors de ça, la structure de Cactus fait qu’il y a beaucoup de possibilités: marketing, achat, informatique, comptabilité, finances, logistique, et j’en passe. Cela correspondait mieux à mon tempérant que de travailler dans une banque avec costume, cravate, et autres.
En 41 années de carrière, avez-vous été tenté de changer radicalement de domaine ou de voie?
«Non, franchement jamais. Ces 41 années sont passées tellement vite. Quand on y songe, on pense que c’était hier. Je ne me suis jamais ennuyé. Et ne me suis jamais dit: “J’aurais pu faire ou j’aimerais faire autre chose.” C’était en moi. Peut-être que j’étais fait pour cette société, et que cette société était faite pour moi. On s’est bien trouvé, comme on dit.
Ce sont des gens du cru qui avaient bâti Cactus, et moi je suis arrivé là-dedans en pensant tout savoir alors que je ne savais rien.
Y a-t-il une erreur de débutant que vous aimeriez gommer?
«Je sortais du monde universitaire, donc c’était très académique, des études très théoriques, très intellectuelles aussi. Ce sont des gens du cru qui avaient bâti Cactus, et moi je suis arrivé là-dedans en pensant tout savoir alors que je ne savais rien. Je me suis retrouvé avec des femmes et des hommes qui étaient là depuis 20 ou 30 ans, qui avaient fait beaucoup de boulot, et moi j’avais la prétention parfois de vouloir réinventer certaines choses. J’ai rapidement compris qu’il fallait que je me mette dans la réalité.
Quel a été le tournant décisif, le virage ayant fait que vous en êtes là aujourd’hui?
«C’est un peu comme un long fleuve. Je ne dirais pas tranquille, mais un long fleuve, un process. Il faut bien sûr avoir l’envie de faire un chemin, mais l’envie seule ne suffit pas. Il faut aussi avoir un caractère certain pour y parvenir. Le rôle de footballeur m’a appris beaucoup de choses, comme le fait d’avoir à assumer des choses moins plaisantes – comme c’est le cas avec une défaite. Il faut aussi avoir parfois la chance dans la vie, privée comme professionnelle, d’être au bon moment, au bon endroit. Avoir aussi la chance que la famille Leesch m’a toujours soutenu, toujours prêté confiance. Dans le sport comme dans la vie privée, si on n’a pas d’ambition… Mais l’ambition ne suffit pas. Beaucoup de monde voudrait être pape par exemple, mais tout le monde ne peut pas le devenir. Il y a beaucoup de circonstances qui m’ont aidé, mais il faut aussi s’aider soi-même.
Sur quoi vous appuyez-vous pour surmonter les moments difficiles?
«Je suis franc avec vous: je n’ai pas connu de véritables échecs personnels. Quelques déceptions néanmoins. Parfois des projets qui ne se sont pas faits, pour des raisons exogènes ou endogènes, peu importe. Parfois aussi des déceptions humaines sur des cadres. Ce sont les échecs humains qui sont les plus marquants. Pour surmonter, j’ai deux passions: le vélo et la pêche. Ce sont des moments de recul. On se fait un peu mal aussi sur un vélo.
Et qu’est-ce que ces moments plus difficiles vous ont appris sur vous? Je pense à la période Covid, par exemple, sans doute la pire d’entre toutes…
«Une certaine résilience. Ma capacité à croire en l’homme ou en la femme. Le Covid, c’était quand même une question de personnes. J’ai découvert beaucoup d’adhésion au modèle Cactus de la part de nombreuses personnes.
Je touche du bois: on n’a jamais eu de vraies mésaventures au niveau réussite commerciale.
Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans votre parcours?
«D’avoir pu contribuer à la bonne santé de la société. Sur les 41 années, on n’a jamais eu de véritables crises, style licenciements ou fermetures de magasin. J’ai la satisfaction d’avoir pu accompagner assez vite, assez jeune, les projets de nouveaux supermarchés. Trouver un terrain, discuter avec les politiques, les administrations… À l’époque, c’était très politisé. Ce n’est pas comme maintenant où, si l’on trouve un terrain, on peut faire ce que l’on veut. Puis venait le temps des chantiers et de l’ouverture. Il s’agissait à chaque fois d’aventures très enrichissantes et motivantes. Ouvrir un magasin c’est une chose, mais qu’il ait du succès en est une autre. Là aussi je touche du bois: on n’a jamais eu de vraies mésaventures au niveau réussite commerciale.
Est-ce qu’il y a un moment où vous vous êtes dit: «J’ai réussi»?
«Non. Puisque ce n’est jamais terminé. J’ai vu arriver Auchan, j’ai vu arriver Aldi et Lidl, je vois arriver Leclerc maintenant. Ce sont toujours des moments de remise en question. Rien n’est jamais acquis. C’est aussi ce côté-là qui me plaît toujours dans le métier: il n’y a pas de vérité absolue, c’est un challenge quotidien.
Est-ce qu’il y a une personne ou un mentor qui s’est révélé décisif?
«Évidemment M. Paul Leesch, le fondateur. J’ai appris beaucoup de choses de lui, parce qu’il était très simple, très correct. Il avait un sens du détail qui m’a toujours étonné. Quand il m’amenait dans les magasins, il voyait des choses que je ne voyais pas et je m’interrogeais: “Comment a-t-il pu repérer cela?”. Il avait un côté charismatique très important et était à l’écoute des gens. Il a cru en moi, au même titre que toute la famille.
Quel est le conseil donné par Paul Leesch qui continue de vous inspirer?
«J’ai eu la chance, assez jeune, d’être dans des réunions qu’il convoquait avec des collaborateurs de Cactus issus de différents horizons. J’écoutais beaucoup comment il allait résoudre le sujet ou le problème posé. Il avait toujours l’intelligence de trouver une solution. Avec doigté, sans rien brusquer.
Sans lui, votre carrière aurait-elle été la même?
«S’il n’avait pas été là… Est-ce qu’un autre aurait eu autant confiance en moi? M. Paul Leesch me connaissait en tant que footballeur, il savait comment je me comportais sur le terrain. J’avais du caractère. Peut-être s’est-il dit que je serais pareil dans la vie professionnelle. Je n’ai jamais pu lui demander, ni voulu évidemment. Mais voilà…
Je suis quelqu’un de très sociable, je n’ai jamais compris pourquoi certains m’ont attribué une étiquette de personne distante
Quelle a été la critique la plus difficile à entendre? Ou celle qui vous a le plus challengé?
«Avant le début de ma carrière professionnelle, des gens m’ont décrit comme quelqu’un d’hautain. Parce que j’ai une certaine façon de voir les choses, il était dit que je n’avais pas de cœur. Je ne vais pas citer les personnes ayant prétendu cela, mais je ne me retrouve pas du tout là-dedans. Je ne suis pas le mec qui va dire: “On va prendre un pot ensemble”, je ne suis pas le copain du coin, ça je l’admets. Mais je suis quelqu’un de très sociable et je n’ai jamais compris pourquoi certains m’ont attribué cette étiquette de personne distante.
Dans quelle mesure votre entourage a-t-il une influence sur vos choix professionnels?
«Je n’ai pas d’enfant, mais je suis marié depuis 1987. Mon épouse m’a toujours soutenu, elle m’a toujours aidé. Parfois c’était un peu plus difficile, mais je n’ai jamais voulu trop l’embêter avec le boulot. J’essaie de fermer la porte. Si j’ai un problème, je sais couper d’un moment à l’autre.
Dans votre quotidien, quels sont les grands principes et grandes valeurs qui vous servent de boussole?
«Mon ambition, mon engagement. On l’a dit tout à l’heure, chaque jour est un autre jour. On se lève, on ne sait pas ce qui va se passer, donc il faut toujours être préparé. Il faut aussi avoir un discours avec les gens avec qui on travaille. Ce sont des gens de tout bord, de tout background intellectuel. Ma force a été de pouvoir dialoguer avec tout le monde. Cela me vient à nouveau du foot: j’ai joué avec des joueurs paresseux, des bons, des très bons, un attaquant qui ne courait pas mais qui marquait but sur but… Il faut tirer le meilleur des hommes et des femmes avec qui on travaille. J’ai toujours eu de l’ambition sinon je n’aurais pas effectué un parcours dans le foot. Je n’étais pas le meilleur, pas le plus mauvais non plus, mais j’ai fait ce que je pouvais faire, et même un peu plus parce que je le voulais. Au travail, c’est pareil.
Je ne vais pas tourner autour du pot pendant des mois et des mois. J’ai un côté cartésien assez important.
Et question tempérament? Êtes-vous homme à prendre des décisions sur des coups de tête?
«Non, pas sur des coups de tête. En revanche, je ne vais pas tourner autour du pot pendant des mois et des mois. J’ai un côté cartésien assez important. Pour moi, un et un égalent toujours deux.
Quelle est la chose la plus importante que votre carrière vous a apprise sur vous-même?
«Écouter. Ce n’est pas parce qu’on a fait des études, qu’on a le plus beau diplôme ou qu’on se croit le plus intelligent… Surtout dans nos métiers. Chacun a son rôle à jouer.
Si vous pouviez donner un conseil à votre vous âgé de 20-25 ans, qu’est-ce que vous diriez?
«Rester humble et toujours correct. Ne pas promettre des choses qu’on ne peut pas tenir. Avoir une certaine authenticité aussi. Je crois que, surtout maintenant, les jeunes comprennent assez vite à qui ils ont affaire. Quand j’ai commencé, il y avait une hiérarchisation non écrite. Les “vieux de la vieille”, comme on les appelait, disaient: “On fait ça parce qu’on a toujours fait comme ça.” Ça, ça ne va plus aujourd’hui. Il faut expliquer aux jeunes et aux moins jeunes qui rentrent chez Cactus pourquoi on fait ceci ou cela. C’est quelque chose qui a beaucoup évolué. Les gens sont beaucoup plus demandeurs, ils veulent comprendre pourquoi on fait ceci et pas autre chose.
En tant que patron, qu’aimeriez-vous que vos collaborateurs pensent de vous?
«On a une image de soi-même. Est-ce celle que les autres ont de vous? Est-ce que je les ai déçus? Je ne le pense pas. Je crois, mais cela n’engage que moi, que les collaborateurs voient en moi quelqu’un de fondamentalement correct. Maintenant tout le monde ne doit pas m’aimer, car il y a parfois des décisions à prendre. Mais je pense qu’ils savent qui je suis. Je pense aussi qu’ils savent qu’ils peuvent venir chez moi. J’ai toujours eu la porte ouverte. Ils savent que je suis là, j’ai un visage, un corps, on me voit. Je ne suis pas quelqu’un d’anonyme, enfermé dans une tour d’ivoire. Mais il faudrait poser la question aux autres. Peut-être que je me trompe, peut-être pas.
S’il y avait un moment que vous pouviez capturer pour le revivre à l’envi, quel serait-il?
«Ma nomination en 2001, au poste d’administrateur-directeur, avec M. Max Leesch. Quand M. Paul Leesch nous a confié les rênes de la société, c’était un moment très fort pour moi. J’ai commencé à un point, j’avais l’ambition d’arriver à un autre point. Alors y parvenir… Beaucoup de gens parcourent un chemin, mais arrivent-ils à l’aboutissement souhaité? Moi, oui. Je suis serein avec ce que j’ai fait et ce que j’aurais pu faire. J’ai eu de la chance. J’étais au bon moment, au bon endroit.
Dernière question: si votre carrière était un titre de film ou une chanson?
«Une chanson de ma jeunesse, au milieu des années 1980: “Never Gonna Give You Up”, de Rick Astley. C’est un peu mon credo aussi: il y a toujours des moments plus difficiles, mais pas de vraie catastrophe.»