À peine posé au Luxembourg, Don Seymour n’est pas très bavard. Le propriétaire de la Fundbank découvre l’écosystème luxembourgeois et certains de ses plus prestigieux représentants, qui lui sont présentés un par un, du ministre des Finances, (CSV), au directeur général de la CSSF, , en passant par le CEO de Luxembourg for Finance, , le président du CA de la Bil, , ou l’administrateur délégué de Lalux, , hôte de l’inauguration officielle à Leudelange.
Ce spécialiste mondial des fonds d’investissement balaie l’hypothèse d’une courte interview, entre crémants et petits fours, d’un revers de main et renvoie vers le processus officiel de demande d’interview qu’il promet d’examiner… mais un autre jour. Une fois. Deux fois. Trois fois. Devant l’insistance, il invite à la compréhension face à sa non-connaissance ni des gens ni des usages. Puis finit par se «détendre» un peu avec l’arrivée de son CEO au Luxembourg, Steve David, pour expliquer que la technologie de cet acteur unique au monde peut accélérer jusqu’à 400 fois l’onboarding et mettre de l’huile dans tous les rouages qui coincent.
Une opportunité unique
Interrogé sur pourquoi celui qui a mis en place le cadre réglementaire des fonds spéculatifs aux îles Caïmans dans ses fonctions de Head of investments de la Cayman Islands Monetary Authority (1997-2000), la CSSF des Caïmans, avant de créer sa propre boutique, DMS, puis son family office, a encore envie de se lancer dans ce nouveau projet, le propriétaire de la Fundbank répond «opportunité». «Quand vous êtes confronté aussi régulièrement aux mêmes problématiques des gestionnaires de fonds et autres professionnels du secteur», explique-t-il, «vous comprenez qu’il y a une opportunité.» Au lieu d’investir un ticket ou deux dans des startups, d’aider une entreprise à scaler ou de se consacrer davantage à ses actions philanthropiques, déjà diverses et variées, cet expert, considéré en 2015 comme un des 50 personnages les plus influents de Wall Street dans l’ouvrage «Transforming Wall Street: a conscious path for a new future» de Kim Ann Curtins, préfère s’investir activement dans une banque spécialisée dans l’apport de solutions technologiques destinée à gommer des frictions très bien identifiées.
«Il y a quelques années, Don Seymour et moi», racontait quelques minutes plus tôt, sur scène, le Groupe CEO et vice-président du conseil d’administration, Colm O’Driscoll, «nous avons eu un déjeuner de travail, au cours duquel nous avons évoqué la manière dont nos activités devraient évoluer. Et nous avons immédiatement convenu que l’innovation technologique serait primordiale, la digitalisation de l’ensemble de l’interface client. Nous avons ensuite convenu d’une suite de produits qui serait élaborée spécifiquement et axée sur le secteur de la gestion d’actifs. Puis nous avons convenu de viser un profil de risque fondamentalement faible qui est étayé par notre business model unique. Ensuite, nous avons examiné l’expansion juridictionnelle et nous avons convenu que nous devrions cibler une expansion de nos bureaux vers de nouveaux horizons», explique encore M. O’Driscoll.
En trois ans, la structure change complètement sa stratégie et sa pile technologique. «C’est pourquoi Fundbank NA, notre banque américaine dont le siège est à Austin, au Texas, est maintenant pleinement opérationnelle et dispose d’un portefeuille de clients en expansion. C’est pourquoi nous avons cette soirée. C’est la manifestation de cette idée originale. Mais lorsque nous avons décidé d’étendre nos activités en Europe, nous avons dû évaluer où cela allait être établi», explique encore le Groupe CEO. «Nous avons très rapidement choisi le Luxembourg comme siège pour nos opérations européennes pour des raisons très logiques: nous avons évalué le régime réglementaire très respecté et très stable qui est en place ici; nous avons examiné le dynamisme de l’environnement commercial et nous avons examiné la disponibilité du bassin de talents qui était à notre disposition ici. Et toutes les interactions et toutes les expériences que nous avons eues au cours des deux dernières années ont renforcé notre conviction d’avoir pris la bonne décision à cet égard. Et nous nous engageons pleinement à devenir un partenaire intégré de l’écosystème commercial ici au Luxembourg pour très longtemps. Mais nous n’avions pas de point focal ici au Luxembourg, jusqu’au moment où nous avons été mis en contact avec Steve David.» Un CEO qu’il remercie comme il remercie la Chief Risk Officer, Francesca Messini, pour son implication à répondre aux exigences des régulateurs.
Premières armes avec John Parkhouse
Diplôme de l’Université de Pittsburgh à la fin des années 1980 et le fameux BBA, en accounting, de l’Université du Texas à Austin, en poche, M. Seymour commence sa carrière chez PwC à New York. C’est là, au début des années 1990, qu’il rencontre une personnalité bien connue au Luxembourg. «Avec John Parkhouse, j’ai appris beaucoup sur les fonds d’investissement», concède-t-il. «Il est toujours en vie? À la retraite?» En juin 1994, l’ex-CEO de PwC Luxembourg arrive au Grand-Duché pour la carrière qu’on lui connaît, tandis que, trois ans plus tard, celle de M. Seymour décolle aux Caïmans qui hébergeront pour plus de 2.000 milliards de dollars de fonds spéculatifs américains… jusqu’à la crise financière de 2008-2009.
Certains des administrateurs des hedge funds en prennent pour leurs grades et, à notre connaissance, dans aucune des trois ou quatre plaintes dirigées notamment contre lui, M. Seymour n’aura été condamné, parvenant à chaque fois à convaincre qu’il avait strictement appliqué les règles et n’avait franchi aucune ligne rouge. Mais c’est probablement ce qui explique ses réticences à parler à un journaliste sans que tout n’ait été strictement cadré.
En août 2011, dans une spectaculaire décision dans la foulée de la faillite de Lehman Brothers, la Grande Cour des îles Caïmans fait la une des journaux internationaux en accordant des dommages et intérêts de 111 millions de dollars à deux directeurs non exécutifs accusés de négligence volontaire ou de manquement à leurs devoirs qui auraient eu pour conséquence l’effondrement du fonds avec des pertes de plus de 500 millions de dollars.
Trois mois plus tard, le FT publie une enquête en apparence très fouillée dans laquelle le média financier de référence indique que M. Seymour est un des «jumbo administrators» et qu’il aurait exercé, en 2006, 567 mandats en même temps, mandats rémunérés jusqu’à 30.000 dollars par mandat et par an. Sa fiche dans la base de données du consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et liée aux Paradise Papers ne contient «que» treize structures.
Aux journalistes du FT qui l’interrogent sur les administrateurs indépendants aux multiples mandats, le Britannique répond par une métaphore qu’avoir beaucoup de mandats n’est pas un problème en soi: «Un médecin indépendant peut soigner environ 400 patients par an. Ce même médecin mais hospitalier peut soigner 4.000 patients par an.» Pour les professionnels du secteur aux Caïmans, le FT est passé à côté du sujet et n’a pas tenu compte d’un contexte où chaque administrateur indépendant a des moyens humains et financiers et de la technologie pour l’aider à s’acquitter de ses tâches. : «La véritable question est de savoir de quelles ressources le directeur dispose pour accomplir sa tâche. Il y a évidemment des limites à ce qu’une personne seule peut faire, selon les exigences du poste, mais on s’attendrait à ce qu’une personne comme moi, disposant des ressources importantes d’une entreprise comme DMS, ait des capacités bien plus importantes que quelqu’un travaillant seul.»
L’an dernier, il reçoit le «President's Impact Award» lors du deuxième gala annuel Longhorn 100 au Texas, événement qui rend hommage aux 100 entreprises à la croissance la plus rapide. Une récompense qu’il doit notamment à un de ses succès, la création de Waystone, premier et performant fournisseur de services de gouvernance institutionnelle et de conformité pour les fonds spéculatifs dans le monde entier, revendu en 2022 pour 1,3 milliard de dollars.
Véritable lancement en août
Outre la dimension technologique, le projet Fundbank, dont le coup d’envoi sera véritablement donné en août, a aussi un autre aspect très important. «Nous ne manions pas de fonds, nous ferons juste assez de crédits pour remplir nos obligations réglementaires», explique M. Seymour. «Mais nous offrirons toute la technologie pour rendre les choses plus faciles.»
«Je note votre intérêt pour soutenir le domaine qui connaît la plus forte croissance, le secteur des fonds alternatifs», lui répondra indirectement le directeur général de la CSSF, Claude Marx, invité sur scène lui aussi. «Alors que d’aucuns pleurent devant la difficulté à trouver des solutions bancaires, vous pourriez bientôt vous retrouver dans la situation luxueuse d’avoir trop de demandes à traiter!»
Citant une étude à paraître la semaine prochaine, M. Marx a aussi invité le top management de la banque à réfléchir «au fait que seul un faible pourcentage des membres des conseils d’administration et de la direction sont compétents en informatique. Et même ceux qui disent être compétents, parfois, j’ai des doutes alors que c’est une question qui sera au cœur des futures opérations bancaires!»
Un exemple du sens du business du Luxembourg
La soirée est aussi, pour les non-initiés, un parfait exemple du «business à la luxembourgeoise»: le cadre, les invités, les messages. Au moment où certains politiques et décideurs appellent à préserver un repérage précoce des tendances et des problèmes et une prise de décision rapide pour y remédier ou s’engouffrer dans une opportunité, la Place a identifié la problématique de l’ouverture et de la gestion des comptes bancaires pour ces acteurs, puis un acteur capable d’apporter une solution de marché. Le Tout-Luxembourg de la finance s’est ensuite activé pour que cette solution atterrisse ici plutôt que dans certaines autres capitales européennes, capables en même temps de dénigrer le Luxembourg et de vouloir jouer des coudes avec lui.
Ce jeudi soir, tout le monde se félicite de l’arrivée de cet acteur. «Le nom de votre entité, Fundbank, correspond parfaitement au Luxembourg», lui explique ainsi le ministre des Finances, Gilles Roth, devant une petite audience d’une grosse centaine de personnes. «Deux des piliers les plus importants de notre centre financier, les fonds d’investissement et la banque, vont ensemble comme ils le font, et c’est une spécialité ici au Luxembourg. En choisissant le Luxembourg, vous rejoignez un pays de confiance et aussi un écosystème de confiance.»
«Le Luxembourg a toujours été ouvert au monde, mais nous voulons étendre encore plus nos marchés. Et je suis convaincu que Fundbank enrichit et complète notre centre financier. D’après ce que je comprends, vous êtes internationaux, tournés vers l’avenir et vous construisez vos opérations à partir de l’accès aux comptes bancaires pour les entreprises. C’est certainement de la musique aux oreilles de certains ici, surtout de [le député, assis au premier rang, ndlr.]. C’est exactement le genre d’entreprise que nous voulons voir et faire prospérer. Alors, laissez-moi vous souhaiter la bienvenue dans votre nouvelle maison et vous remercier de votre confiance au Luxembourg. Je vous souhaite un lancement réussi, une présence durable et de nombreuses, nombreuses années de croissance. J’ai dit tout à l’heure que le monde changeait rapidement. Mais je suis convaincu que ce changement apporte surtout des opportunités… si nous voyons et utilisons ces opportunités. C’est exactement ce que vous faites ce soir.»