«Certains éléments du parti n’ont jamais accepté mon élection et étaient résolus, dès l’annonce du résultat, à faire cesser cela aussi rapidement que possible», estime l’ancien président du CSV, Frank Engel. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

«Certains éléments du parti n’ont jamais accepté mon élection et étaient résolus, dès l’annonce du résultat, à faire cesser cela aussi rapidement que possible», estime l’ancien président du CSV, Frank Engel. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Conflits incessants, autorité contestée, contrats litigieux, absence de rémunération: Frank Engel revient sur deux années houleuses de présidence du CSV. Et sur ses relations difficiles avec le groupe parlementaire.

L’ancien président du CSV, , qui a suite à des contrats contestés passés entre l’asbl CSV-Frëndeskrees et le parti, revient avec Paperjam sur deux années de présidence turbulentes. Son élection a été, selon lui, contestée dès son entrée en fonction, et son pouvoir constamment remis en question. Il considère par ailleurs ne pouvoir être tenu comme unique responsable de l’éventuelle illégalité des contrats le concernant, ceux-ci ayant, d’après lui, reçu l’accord de plusieurs membres du parti.

Votre départ de la présidence du CSV a été abrupt. En deux ans, avez-vous eu le temps d’accomplir ce que vous vouliez pour le parti?

Frank Engel. – «Ce n’est pas tellement une question de temps – même si, en deux ans, on ne peut pas faire de miracles. C’est plus une question de moyens ou de tolérance pour permettre d’accomplir ce que l’on voulait faire.

Vous n’avez pas eu les moyens de remplir vos objectifs?

«J’avais présenté des orientations aux délégués à mon arrivée. Et je partais du principe, même si je savais que cela n’allait pas être une sinécure, qu’il y aurait assez de maturité démocratique aux différents échelons du parti pour réaliser que, si une majorité de délégués votent pour quelqu’un et pour quelque chose, alors cela doit pouvoir se réaliser. J’avais tort.

Comment cela?

«Certains éléments du parti n’ont jamais accepté mon élection et étaient résolus, dès l’annonce du résultat, à faire cesser cela aussi rapidement que possible. L’opposition à n’importe quelle initiative que j’aurais pu ou voulu prendre a été féroce.

Pendant la campagne pour les élections européennes, l’apport du groupe parlementaire a été nul, avec un refus total de donner un coup de main, y compris en se présentant sur la liste.
Frank Engel

Frank Engel

L’opposition à votre égard a été manifeste dès le début de votre mandat?

«C’était évident à partir des premières réunions. Puis, pendant la campagne pour les élections européennes, l’apport du groupe parlementaire a été nul, avec un refus total de donner un coup de main, y compris en se présentant sur la liste. Et on colporte le mythe que je n’aurais pas voulu… Ce n’est pas vrai! Bien évidemment que j’ai sollicité un certain nombre de députés.

Pourquoi un tel refus selon vous?

«On considérait probablement que cela allait être de toute façon un échec. Et certains le souhaitaient pour m’affaiblir.

Suite à la saisine du Parquet par les députés à votre encontre pour un éventuel «abus de biens sociaux» après un contrat de 40.000 euros passé avec l’asbl CSV-Frëndeskrees, vous vous êtes retrouvé très isolé au sein du CSV. Ce fut une déception?

«Oui, bien sûr. Mais la politique est pleine de déceptions. La garde actuelle a été soit agressive, soit passive. Elle s’est elle-même laissée menacée à tort et à travers par certains protagonistes de cette affaire, qui ont sans doute inventé par ailleurs une belle histoire pour le Congrès – comme quoi j’étais le seul responsable et que personne n’était jamais au courant. C’est foncièrement faux. Cela va d’ailleurs se savoir.

Si le conseil d’administration d’une association qui est composé de six personnes, dont trois avocats pratiquants, décide à l’unanimité qu’une démarche est en ordre, alors suis-je le seul responsable?
Frank Engel

Frank Engel

Que voulez-vous dire?

«Si le conseil d’administration d’une association qui est composé de six personnes, dont trois avocats pratiquants, décide à l’unanimité qu’une démarche est en ordre, alors suis-je le seul responsable? Pourquoi ces gens-là n’ont-ils pas le courage d’assumer leurs choix jusqu’au bout? On a quand même travaillé ensemble un certain temps. Or, contrairement à ce qui est aujourd’hui officiellement affirmé par le parti – ce qui est scandaleux –, il n’y avait jamais eu de différences de vue sur les paiements qui sont intervenus, jamais!


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Vous avez tout de même remboursé les 40.000 euros…

«C’était l’accord dès le début, comme je l’ai toujours affirmé. J’avais proposé au Frëndeskrees d’utiliser 40.000 euros qui étaient sur un compte pour me rémunérer pour une activité, qui consistait en un changement d’immeuble et la constitution d’une fondation. Si cela n’aboutissait pas, j’avais prévu que le montant revienne dans les caisses pour que l’association se retrouve, à l’issue des opérations, au moins à finances égales par rapport à avant. Cet accord a été unanimement accepté par les six membres du conseil d’administration. Six! Pas un. Six!

Puis il y a eu ces 6.000 euros de cotisations sociales que vous avez perçus dans le cadre d’un autre contrat contesté: le secrétaire général et le trésorier d’alors assurent qu’ils n’ont jamais donné leur accord…

«Mais c’est du grand n’importe quoi! Ce n’était pas moi seul. Je n’étais jamais seul. Je n’ai effectué aucun virement, je n’avais jamais accès aux comptes. Un trésorier qui voulait me refuser quelque chose me l’aurait refusé.

Que trois avocats reconnaissent soudain, des mois après avoir été d’accord avec une démarche, que cela a été contre la loi, c’est extraordinaire, n’est-ce pas?
Frank Engel

Frank Engel

Or, le mail d’explications en réponse aux observations de la Cour des comptes a été expédié par mon trésorier, même pas par moi! Comment peut-il prétendre n’avoir rien su? Alors qu’ils ont effectué des virements sans jamais contester quoi que ce soit, je trouve cela fort!

Et que trois avocats reconnaissent soudain, des mois après avoir été d’accord avec une démarche, que cela a été contre la loi, c’est extraordinaire, n’est-ce pas?

Mais ces dépenses n’auraient-elles pas dû être validées par le comité national du parti? Une pratique que l’on vous reproche d’avoir abandonnée…

«Ridicule! Ridicule! J’étais membre du comité national du CSV depuis 1998. Je ne peux pas me souvenir d’une seule instance où une dépense de quelques milliers d’euros aurait fait l’objet d’une discussion et d’une décision du comité national. Jamais! Les campagnes électorales étaient les seules fois où le budget et un bilan étaient présentés. Les opérations courantes étaient décidées en petit comité et effectuées par le trésorier.

Depuis quand dénonce-t-on son propre président de parti sans nécessité?
Frank Engel

Frank Engel

Prétendre aujourd’hui que j’aurais introduit de l’arbitraire dans les finances du parti, c’est ridiculissime! D’autant que, par rapport à la situation financière avant mon élection, le parti dispose de 300.000 euros de plus par année pendant le reste de la législature pour pouvoir financer les prochaines élections.

Vous n’avez, en revanche, pas remboursé les 6.000 euros liés aux cotisations sociales. Pourquoi?

«Pourquoi est-ce que je rembourserais quelque chose que je n’ai volé à personne? Je ne vais quand même pas passer le reste de ma vie à rembourser…

Selon Frank Engel, les anciens Premiers ministres, Jean-Claude Juncker et son prédécesseur, sont «sidérés», «choqués» par les querelles internes au sein du CSV. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Selon Frank Engel, les anciens Premiers ministres, Jean-Claude Juncker et son prédécesseur, sont «sidérés», «choqués» par les querelles internes au sein du CSV. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

D’anciens hauts responsables du parti ont dit regretter ces querelles internes…

«Oui, et son prédécesseur sont sidérés. Pour eux, ceci n’aurait jamais dû avoir lieu. Ce qui est d’ailleurs vrai: depuis quand dénonce-t-on son propre président de parti sans nécessité? Parce qu’il n’y avait aucune nécessité, et même aucune raison de le faire. Au lieu de le mettre à l’ordre du jour et d’écouter des explications… Ce qui n’a jamais eu lieu.


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Éprouvez-vous des regrets dans la manière dont vous avez mené votre présidence? On vous a reproché votre exercice solitaire du pouvoir…

«Vous connaissez les pouvoirs du président du parti? Vous avez le droit de convoquer des réunions et de les présider, c’est tout. Tout le reste dépend de la bienveillante collaboration du comité national et du groupe parlementaire. Si celle-ci est systématiquement refusée, qu’est-ce que vous faites?

Je n’ai pas été élu par le groupe parlementaire ou par le comité national, j’ai été élu par les délégués du parti, directement, dans une élection compétitive, en raison de ce que j’avais à dire.
Frank Engel

Frank Engel

Et quand j’entends cela de la part d’anciens étroits collaborateurs avec qui je travaillais en confiance, et qui aujourd’hui me dénoncent comme les ayant malmenés, je trouve cela encore plus ridicule!

Vos propositions sur la fiscalité, formulées à l’été 2020, ont entraîné une levée de boucliers. Vous vous en êtes d’ailleurs excusé. Vous ne les regrettez pas non plus?

«Je n’ai pas été élu par le groupe parlementaire ou par le comité national, j’ai été élu par les délégués du parti, directement, dans une élection compétitive, en raison de ce que j’avais à dire, pas en raison de ce qu’un organe avait à dire. Donc je partais du principe qu’il y avait de quoi me reconnaître une petite touche d’autorité personnelle, également dans l’orientation. Ce qui ne m’a jamais été accordé.


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Pour éviter de telles situations, pensez-vous qu’il faut rémunérer les présidents de parti?

«Absolument. Ce sont des choses qui, dans d’autres pays, sont parfaitement normales. C’est un travail à temps plein – et même beaucoup plus que plein. Je n’aurais pas demandé une paie de ministre, mais quelque chose qui permette à quelqu’un qui travaille 60 ou 70 heures par semaine de vivre décemment.

Je ne trouve pas normal que les groupes parlementaires regorgent aujourd’hui de fric et qu’on leur concède des rallonges à tout bout de champ.
Frank Engel

Frank Engel

Cela dit, je savais que l’état des finances ne le permettrait pas, c’est la raison pour laquelle je n’ai rien demandé de tel. Mais je ne trouve pas normal que les groupes parlementaires regorgent aujourd’hui de fric et qu’on leur concède des rallonges à tout bout de champ…

Trop d’argent est attribué aux groupes parlementaires selon vous?

«Le groupe parlementaire CSV a aujourd’hui presque autant de collaborateurs que de députés. Et, apparemment, c’est finançable. Or, les partis doivent patauger dans leur petit bain avec deux, trois ou quatre collaborateurs… Il se peut que certains partis considèrent cela suffisant. Mais moi, j’ai toujours pensé que ce n’était pas suffisant parce que je voulais que le parti ait une vie et une activité propres. Il faudrait repenser tout ce système de financement…

À diluer la responsabilité jusqu’à ce que personne n’en ressente plus la moindre pression, on n’améliore rien.
Frank Engel

Frank Engel

Et il doit y avoir une large majorité de députés qui étaient fonctionnaires, comme enseignants ou fonctionnaires ministériels. Or, dans ce cas, on touche quasiment l’équivalent de ce que l’on touchait avant. Il faudrait peut-être que les gens sachent avant de s’acharner sur quelques milliers d’euros sur un an et demi… Car n’importe quel député qui était fonctionnaire touche cela par mois, en sus de ses indemnités, de ses allocations pour participation à des réunions et ainsi de suite. Donc cela vit confortablement. Et coûte au contribuable un quart de million par an.

La solution n’est-elle pas de disposer d’un mandat en sus de son poste de président?

«Si vous êtes payé en tant que député, à savoir en tant que représentant de l’ensemble de la nation ainsi que le stipule la constitution, êtes-vous alors censé passer la moitié de votre temps à effectuer une activité à 100% partisane? Et, dans le cas d’un ministre, toute la doctrine nous dit qu’un ministre l’est à temps plein. Est-il alors logique de passer la moitié de son temps à gérer un parti? Mais c’est le cas, et personne ne trouve quelque chose à redire.

Que pensez-vous de l’organisation de l’équipe dirigeante du CSV?

«Je ne pense rien de bon de toutes ces doublures de postes. Il doit y avoir des gens qui ont une responsabilité et qui l’endossent. Et cette responsabilité doit aussi venir avec une certaine autorité. À diluer la responsabilité jusqu’à ce que personne n’en ressente plus la moindre pression, on n’améliore rien. C’est la seule critique que je ferais sur la nouvelle équipe du CSV, mais je la fais parce que je considère que cela ne mène à rien.

Cela n’avait pas de sens, cela ne pouvait pas marcher. Cela n’a pas marché. On ne révolutionne pas le CSV.
Frank Engel

Frank Engel

Car les gens veulent savoir, surtout dans un système électoral hautement personnalisé comme le nôtre, ce que pensent untel ou unetelle. Les gens ne veulent pas entendre dans une interview que quelqu’un doit consulter ses organes, mais ce qu’il a à proposer. Parce qu’ils vont le juger au moment d’aller voter.


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Pensez-vous que cela va handicaper le CSV?

«J’imagine qu’ils se sont condamnés à cela: finalement, cette purge qui me concerne aura comme effet que, dorénavant, plus personne n’osera dire quoi que ce soit en public. Dans cette logique-là, il faut qu’ils se mettent tous d’accord toujours. À force de vanter l’équipe, il faut jouer l’équipe. Mais, on ne peut pas, dans ce système, collectiviser tout. Si on le fait, c’est pour échapper aux responsabilités et cacher son incapacité à la formulation et à la proposition…

Si vous le pouviez, que changeriez-vous à ces deux années de présidence?

«Tout. Je ne commencerais même pas. Non pas en raison de ce qui s’est passé sur la dernière ligne droite, mais en raison de tous les dégâts que je me suis faits à moi-même et à mon bien-être pendant deux années de conflits incessants. Cela n’avait pas de sens, cela ne pouvait pas marcher. Cela n’a pas marché. On ne révolutionne pas le CSV. Et aucune équipe au monde, peu importe combien elle est grande, ne changera cet état de fait.»