Fage International a installé son navire amiral au Luxembourg et dans le Delaware en même temps, en 2012. Aujourd’hui, en attendant de construire son usine, le groupe est logé au 145 rue du Kiem, à Strassen. (Photo: Paperjam)

Fage International a installé son navire amiral au Luxembourg et dans le Delaware en même temps, en 2012. Aujourd’hui, en attendant de construire son usine, le groupe est logé au 145 rue du Kiem, à Strassen. (Photo: Paperjam)

Cela fait quatre ans que Fage attend d’implanter sa première usine au Luxembourg. Elle a dépensé plus de 53 millions d’euros en consultance pour son développement international depuis 2012 et son arrivée au Luxembourg. Des consultants-fantômes.

Ils ne portent pas de costume, de chemise blanche, ni de cravate. Ils n’organisent pas cinquante réunions par jour, ne produisent pas de notes de synthèse et ne finalisent pas de recommandations à l’intention du management. Et pour cause: les consultants de Fage n’existent pas.

Pourtant, selon le dernier rapport annuel de l’industriel grec publié au registre du commerce et audité par EY, Fage a bien signé deux accords de consultance avec deux sàrl luxembourgeoises, Theta Phi et Alpha Phi, depuis 2012. Pour 300.000 dollars par mois chacun (7,2 millions de dollars par an), les deux «consultants» ont accepté, dit le rapport annuel, «de fournir des services de consultants pour soutenir les activités internationales de la société».

Seulement, il y a un «léger» problème. Selon les rapports annuels de Theta Phi et Alpha Phi, les sàrl n’ont jamais employé personne depuis leur immatriculation au Luxembourg en 2012, et n’ont donc – logique – payé ni salaires ni charges sociales, ni supporté aucun autre coût lié à ces salariés.

Luxembourg, porte de sortie avant la faillite grecque

Une fois les huit rapports annuels des deux sociétés décortiqués, ces frais de consultance atteignent 53,4 millions de dollars. Même pour ce prix, difficile d’apporter du conseil sans ces légions de consultants qui font le bonheur des Big Four.

L’idée de consultants pour aider au développement international n’avait rien de saugrenu, en 2012, au moment où la famille Filippou, qui est aux commandes de cette société depuis 1926, décidait de quitter la Grèce: nombreux sont les analystes et commentateurs de l’actualité européenne à prédire une faillite de l’État grec et son retrait de la zone euro.

Dans une analyse, Standard & Poor’s juge même que le groupe grec fait bien de transférer ses opérations névralgiques au Luxembourg pour continuer à accéder aux marchés de capitaux s’il en a besoin. Fage – prononcez FAYe, pour «mange!», en grec – réalise déjà les deux tiers de son chiffre d’affaires à l’international: les Italiens et les Britanniques adorent ses yaourts; et depuis 2008, elle s’est attaquée au marché américain, où les affaires sont nettement moins bonnes qu’elle veut bien le dire.

À ce moment-là, , le maintien de 50% de la production en Grèce peut toutefois être problématique, comme l’analyse également S&P.

Deux soparfi contrôlées par le petit-fils et CEO

Huit ans après leur inscription au registre du commerce luxembourgeois, qui se cache derrière ces deux soparfi, dont deux accounting managers d’Intertrust sont devenus managers-gérants depuis début août?

Première chose, chacune des deux détient 50% des parts de Fage International, la maison mère basée au Luxembourg. 

Ensuite, Theta Phi a pour unique actionnaire une société luxembourgeoise, Kappa Alpha Phi, et Alpha Phi, une autre société luxembourgeoise, Iota Alpha Phi. Ces deux sociétés de gestion d’un patrimoine familial ont le même actionnaire de référence, Iota Kappa, basé dans le Delaware (aux États-Unis) et le même dirigeant… Athanassios-Kyros Kyriakos Filippou.

Le 28 juillet 2016, au ministère de l’Économie qu’il dirige, Étienne Schneider laisse Athanassios-Kyros Kyriakos Filippou annoncer 100 millions d’euros d’investissements et 100 emplois. Une offre devenue 219 millions, et 300 à 400 emplois aujourd’hui, quatre ans plus tard. (Photo: SIP)

Le 28 juillet 2016, au ministère de l’Économie qu’il dirige, Étienne Schneider laisse Athanassios-Kyros Kyriakos Filippou annoncer 100 millions d’euros d’investissements et 100 emplois. Une offre devenue 219 millions, et 300 à 400 emplois aujourd’hui, quatre ans plus tard. (Photo: SIP)

Avant de crier à l’abus de bien social – l’utilisation de fonds de la société Fage, non pas dans son intérêt, mais dans l’intérêt d’un dirigeant ou d’une autre société, selon la loi modifiée de 1915 sur les sociétés commerciales –, il aurait fallu pouvoir éclaircir l’intérêt pour «Filippou Adelfoi Galaktokomikes Epicheriseis» (Fage) de débourser 7,2 millions de dollars par an pour des consultants qui n’existent pas et qui auraient donc du mal à délivrer de précieux conseils.

Ni l’adresse électronique générique vers laquelle renvoie le site internet, ni celle du nouveau directeur financier du groupe, Robert Shea, ne nous ont permis d’obtenir des réponses de la part de la société au moment de boucler cet article.

Fage fait des yaourts et communique peu. Un mot du grand-père, à l’origine du business, en 2012, au moment de migrer vers le Luxembourg. Deux autres de son petit-fils, en 2016, aux côtés du ministre de l’Économie, (LSAP), pour annoncer un investissement de 100 millions d’euros pour une usine à Dudelange-Bettembourg fin 2018… on est très loin de la surcommunication d’Elon Musk et de SpaceX.