Lydie Polfer: «Il n’y a pas eu de désertion dans les services… Tout le monde s’est serré les coudes et a voulu se rendre utile dans une situation très grave.» (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Lydie Polfer: «Il n’y a pas eu de désertion dans les services… Tout le monde s’est serré les coudes et a voulu se rendre utile dans une situation très grave.» (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Lydie Polfer, députée et bourgmestre DP de Luxembourg-ville, l’avoue: jamais au cours de sa carrière elle n’avait vécu une situation d’urgence comparable à cette crise sanitaire et à ses conséquences. En équipe, il a donc fallu agir vite et prendre parfois des décisions douloureuses, tandis que l’avenir demeure encore incertain en bien des points.

Quelle note pourriez-vous vous attribuer en ce qui concerne la gestion de cette crise?

. – «Ce n’est jamais aisé de se noter soi-même… Nous étions bien préparés, et cela dès fin février, moment où nous avons commencé à réagir. Nous avons sorti une première circulaire à l’intention de nos directeurs et chefs de service le 11 mars. On ne savait pas, alors, que le confinement serait décrété quelques jours plus tard, … Nous avions donc anticipé au maximum. Et identifié très rapidement les risques majeurs au niveau de l’administration. Il fallait savoir quels étaient les services essentiels, vitaux, ceux qui, en période de pandémie, devaient être maintenus, et peut-être justement d’autant plus en période de pandémie: services d’hygiène, d’eau, d’énergie, de transport public, le service de téléalarme pour les seniors, le service informatique, le secrétariat général, les finances… Mais aussi le Bierger-Center, car il y a des gens qui meurent et qui viennent au monde, ou qui veulent se marier, et il faut les enregistrer. Les mots d’ordre ont été efficacité et clarté, pour nous structurer sereinement.

Donc, au final, la perfection n’est pas de ce monde, mais je nous donne une note de 9/10.

La Ville disposait d’une aide précieuse: un plan pandémie datant de 2009…

«Celui-ci avait été élaboré en 2009 suite à l’épidémie de grippe aviaire! On l’a d’ailleurs communiqué aux autres communes du pays via le Syvicol. Cela nous a permis d’avoir un coup d’avance. Tous les services savaient ce que l’on attendait d’eux, et donc, comment, à leur échelle, ils devaient se préparer. Le télétravail a été privilégié pour l’administration, même si, dans certains services, comme le secrétariat, il y a toujours eu au moins une personne présente physiquement par jour. Mais quand les écoles ont fermé, cela a été une autre étape, car les parents qui ont de jeunes enfants ont alors bénéficié du congé pour raisons familiales. Nous avons aussi dû nous adapter en mettant en place ce que j’appelle ‘une mécanique d’appoint’ entre les services. Cela s’est très bien passé, et je tiens encore à féliciter le personnel pour sa flexibilité, j’ai senti beaucoup de solidarité entre les gens.

Il n’y a pas eu de désertion dans les services… Tout le monde s’est serré les coudes et a voulu se rendre utile dans une situation très grave.

Ce genre de situation ramène à l’essentiel.
Lydie Polfer

Lydie PolferBourgmestreLuxembourg-ville

Et au sein du collège communal, l’unité était-elle de mise, dans ce que le président français Emmanuel Macron a appelé «une situation de guerre»?

«On a réorganisé notre salle de réunions, et tous les échevins ont toujours été présents quand cela était nécessaire. Il faut faire front commun, et on veut qu’il y ait une unité dans les décisions. Pas question qu’une partie prenante dise par la suite qu’il aurait fallu faire ceci ou cela… Tout ce qui doit être discuté est discuté, on échange les points de vue et on décide de manière collégiale. Notre équipe fonctionnait déjà très bien avant, mais ce genre de situation ramène à l’essentiel. L’important est toujours que chacun sache pourquoi une décision est prise, et aussi qu’il puisse bien l’expliquer. Quand une seule personne prend une décision sans demander leur avis aux autres, cela suscite toujours des commentaires.

Le regard des résidents sur le personnel de la Ville va-t-il changer, notamment concernant ses services essentiels?

«Absolument, j’en ai d’ailleurs déjà des échos. Les membres du service Hygiène se font parfois rabrouer, car ils encombrent les rues. Désormais, les ouvriers sont remerciés d’être là. Tout le monde s’est aperçu que ces personnes prenaient aussi des risques pour le bien-être des autres, même si toutes les mesures de sécurité étaient respectées. Il y a une prise de conscience. J’espère que cela va rester. Tout d’un coup, des choses qui paraissaient évidentes sont devenues importantes.

Communiquer n’est pas toujours facile dans une grande ville cosmopolite comme Luxembourg?

«Comme on voyait beaucoup les ministres, les gens ont cru qu’on avait déserté, certains nous ont donc dit ensuite qu’ils étaient heureux de nous revoir, notamment . On a sous-titré ces vidéos en français et en luxembourgeois. Il y a eu des demandes pour d’autres langues, mais tout n’est pas possible. Mais la communication a eu lieu, de manière efficace.

Certaines décisions ont-elles été plus difficiles à prendre que d’autres, comme l’annulation de la Schueberfouer?

«, affectivement parlant, cela a en effet été difficile. La décision a été prise plus tard, mais à partir du moment où le gouvernement , on savait que ce serait difficile de voir 100.000 personnes chaque jour au Glacis, d’autant que le confinement était strict. On venait justement d’écrire aux forains choisis pour la Schueberfouer. J’avais demandé à ce qu’il soit mentionné que la situation empêcherait peut-être la tenue de la fête. À raison… On avait aussi décidé qu’il n’y aurait , cela aurait été irresponsable. Mais ces décisions ont été difficiles à prendre. Ce sont aussi ces événements qui font de Luxembourg la ville qu’elle est.

La braderie ne pourra pas avoir lieu comme d’habitude.
Lydie Polfer

Lydie PolferBourgmestreLuxembourg-ville

Qu’en sera-t-il des événements à venir: braderie, marché de Noël...?

«La braderie ne pourra pas avoir lieu comme d’habitude, mais on est en train de voir avec l’Union commerciale s’il est possible de trouver des alternatives. Mais tout tient aussi à la manière dont la pandémie va évoluer. Si on arrive presque à ce que tout soit sous contrôle, ce sera autre chose. Ce sera aussi une bonne chose pour les magasins, dans lesquels les restrictions sont importantes. Je me demande même parfois si ce n’est pas trop, et si on saura respecter cela longtemps, tant c’est contraignant. C’est une question de solidarité. Il est maintenant encore plus qu’avant important d’être responsable, pour soi et pour les autres. Si on respecte les mesures, on pourra bénéficier de nouvelles libertés.

Le commerce est économiquement très impacté. Comment l’aider?

«, ce qui a . On a dit aussi qu’on voulait garder notre marché ouvert, pour éviter une concurrence de la part des supermarchés. Mais cela a eu tellement de succès qu’il a fallu réorganiser les stands, car il y avait trop de files devant certains! Preuve que la décision était bonne.

On a aussi évoqué d’autres aides aux commerçants, dont une prime directe?

«C’est vrai, et nous sommes occupés à analyser la faisabilité de cette mesure. . Pour cela, ils doivent remplir certains critères: chiffre d’affaires, sécurité sociale… Ce sont des données auxquelles nous n’avons pas accès et que nous ne pouvons pas contrôler. La solution serait que nous puissions nous raccrocher à des aides du gouvernement. Cela afin de dire: ceux qui ont reçu cette aide sont aussi éligibles à notre aide communale.

Mais on nous a alertés sur le fait qu’il existe une réglementation européenne qui impose une limite aux aides que les commerces peuvent recevoir. Il faudra donc savoir qui a atteint la limite, et qui peut encore être aidé. Certains disent aussi que c’est hors du champ de compétences communal. J’ai donc demandé à la ministre de l’Intérieur de nous dire si elle approuvera une décision éventuelle du conseil communal.

Vouloir aider, ce n’est pas simple… L’autre idée, qui me semblait bien pour tous et très simple, était celle d’un bon d’achat majoré. Le consommateur achète un bon à 100 euros, et on le valorise à hauteur de 110 euros. Cela semble simple et logique. , que nous finançons chaque année à hauteur de 150.000 euros. On a déjà eu plusieurs réunions à ce sujet, et cela semble… très, très compliqué. On a rencontré d’autres difficultés ces derniers mois et on ne se laisse pas décourager, mais rien n’est simple.

Vous êtes inquiète pour les cafés et restaurants de votre ville?

«Ce sont des lieux importants de convivialité, importants pour la Ville de Luxembourg. Pourquoi venir en ville entre midi et deux heures si ces lieux sont fermés? J’espère que les gens seront assez respectueux pour que tout se passe bien. Les acteurs du secteur auraient voulu ouvrir plus tôt, mais à chaque étape de la sortie de confinement, il y a des contrôles. Il faut donc du temps.

Pour aider l’horeca à respecter les mesures de distanciation sociale, certaines villes en Europe envisagent de leur laisser plus largement accès à l’espace public, pour y mettre des tables. Est-ce aussi en réflexion à Luxembourg?

«Je veux rappeler qu’outre les loyers, , calculée selon différents critères, pour toute l’année. Après, on verra où les choses sont possibles. Quand l’horeca sera à nouveau ouvert, il y aura plus de camions pour les livraisons. Place d’Armes, c’est parfois compliqué en temps normal. Il faut que l’espace public reste aussi disponible pour le bon fonctionnement de la ville. Mais il y a certainement des endroits où des choses seront aménageables. Il y a aussi de nouvelles manières d’utiliser l’espace public.

Je lance un appel: soutenons nos commerçants, nos restaurateurs et cafés… Retournons là où on allait avant.
Lydie Polfer

Lydie PolferBourgmestreLuxembourg-ville

Par exemple?

«Un restaurateur m’a contactée, car, face à son restaurant, il y a une zone de livraison. Elle doit évidemment être libre, pour lui et les autres. Mais à partir de 18h, il n’y a plus de livraisons. S’il veut y mettre quelques tables, ce sera possible. Il faut du bon sens, voir ce qui est possible et où. C’est quand il y a un manque qu’on se rend compte à quel point certaines choses sont importantes. Aider, c’est bien, mais un de nos conseillers, qui est restaurateur, nous l’a dit: il faut avant tout faire revenir les clients. Je lance un appel: soutenons nos commerçants, nos restaurateurs et cafés… Retournons là où on allait avant.

Certaines grandes villes songent à étendre leur réseau destiné aux vélos. Et Luxembourg?

«Dans les grandes villes, il y a plus de possibilités. Et à Luxembourg, beaucoup de choses ont été faites. Il y a le vélo, mais on aura aussi bientôt le tram, qui ira jusqu’à la gare et qui va changer la mobilité. Je rappelle que Luxembourg est une ville forteresse. On doit aussi penser à laisser des accès aux bus, aux camions pour les commerces… Mais là, on peut continuer à donner de la place au vélo, on le fera, et c’est prévu. Mais même le ministre (Déi Gréng) ne veut pas remplacer toute la circulation par le vélo, car tout ne peut pas se faire à vélo.

La rentrée des classes de l’enseignement fondamental a dû être un casse-tête?

«Luxembourg, c’est 19 écoles et 360 classes… qu’il fallait dédoubler. Et chaque école est un peu différente. Donc il a fallu trouver pas mal de locaux. Tout a été plus facile quand les parents ont fait part de leur intention: enfant qui reste l’après-midi ou pas, enfant qui reste à la maison… Ensuite, il a fallu équiper toutes ces classes. Là aussi, on a fait jouer la solidarité. Pour déménager ces locaux, on a par exemple fait appel à l’équipe du Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg. Quant au personnel, il fallait aussi savoir combien d’enfants allaient venir avant de savoir de combien de personnes nous aurions besoin. Rien n’a été simple. Une dizaine de jours avant la rentrée, nous n’avions pas d’indications pour les crèches, si ce n’est qu’il y aurait au maximum 5 enfants. Dans nos crèches, les groupes sont de 15 enfants. Le problème était évident.

Quel sera l’impact de la crise sur les finances communales?

«On s’attend à un grand impact. Le Conseil supérieur des finances communales a annoncé une perte de plus de -90 millions d’euros (l’échevin des Finances [CSV] a ensuite annoncé le montant de 110,8 millions, ndlr). Mais il y a aussi d’autres recettes qu’on aura en moins, comme, par exemple, les loyers commerciaux, auxquels nous avons renoncé, tout comme les taxes des terrasses, ou encore des taxes d’enlèvement des ordures. D’autre part, il y aura des dépenses en moins, comme les fêtes autour du 23 juin et d’autres festivités.

Il faudra faire des choix en ce qui concerne les projets communaux, notamment la Porte de Hollerich, la place de l’Étoile...?

«Nous verrons. Mais il faut tenir compte du fait que les entreprises du secteur de la construction sont aussi un peu ralenties, que des retards existent… Puis, le budget ne peut inclure que ce que l’on peut payer. Luxembourg a des finances saines…

C’est vrai, et on ne va donc pas diminuer nos investissements. Mais encore faut-il que ce que l’on souhaite puisse être fait. Mais tout cela dépend de la reprise de la machine économique.

Vous commandez encore des masques pour le moment?

«Non, on en a assez. Les stocks étaient là pour pouvoir fournir notre personnel, notamment celui des foyers scolaires…

Faut-il, selon vous, tester la population?

«La ministre de la Santé avait dit cela, puis a dit que cela n’était pas possible. À la fin, plus personne ne s’y retrouvait, puis il y a eu la polémique sur les tests. Je laisse les responsables sanitaires répondre à cela.

Certains projets ne vont pas avancer aussi vite que souhaité.
Lydie Polfer

Lydie PolferBourgmestreLuxembourg-ville

On est à mi-mandat. Quel est le bilan de votre équipe?

«Très bon, et nous étions bien partis. Mais là, on va malheureusement être confronté au fait que certains projets ne vont pas avancer aussi vite que souhaité, c’est certain. Mais on reste sur la même ligne. C’est la grande différence avec le gouvernement: notre collège est vraiment un collège. J’y tiens beaucoup. Certes, les échevins ont des ressorts dont ils sont responsables, mais les décisions sont prises au niveau du collège. Aucune décision importante n’est prise de manière individuelle, cela nous donne une vraie cohésion, même si cela n’empêche pas les discussions. Ce serait trop beau, mais aussi trop ennuyeux. Une discussion menée de bonne foi est toujours profitable à tous.

Si des projets sont en retard, on imagine que vous aimeriez tout de même les voir aboutir. Serez-vous candidate à un prochain mandat?

«C’est une question que je ne vais pas aborder avant décembre 2022. Cette crise nous montre que les choses sont fragiles, qu’il faut faire preuve d’humilité et de modestie. Ce qui est là un jour peut changer le lendemain, d’un seul coup. Tout le monde a pu le constater de manière très concrète.»