Circulez, il n’y a rien à voir. Le télétravail n’est pas un sujet pour les analystes économiques. Il existe peu d’études économétriques qui essaient de quantifier l’impact du télétravail sur la productivité et il n’y en a pas pour le Luxembourg spécifiquement, reconnaît avec humilité l’Observatoire de la compétitivité, créé en 2003 pour aider son ministre de tutelle, le ministre de l’Économie, à bien appréhender les réalités économiques du pays.
Dans , publié le 15 décembre, le mot «télétravail» n’est utilisé que trois fois, pour expliquer que si le pays a si bien géré le passage difficile des années covid 2020 et 2021, il le doit en partie à sa capacité à adopter plus largement le télétravail que la plupart des pays européens. Rien de plus. Et dans , le terme a même complètement disparu.
Comme si le sujet avait suffisamment été traité dans le rapport du CNP 2020-2021 et dans la note de conjoncture 2… de 2020, publiée par le Statec. Celle-ci ne donnait que quelques chiffres pour fixer le contexte: «Au deuxième trimestre de 2020, 52% des salariés résidents ont télétravaillé, notamment dans le secteur financier (à raison de 88%), l’éducation (80%) et les métiers liés aux technologies de l’information et de la communication (77%)». En 2021, le taux de télétravail est passé à 38% contre 25% en 2019. La seule chose qui semble avoir changé et la manière dont les cols blancs en profitent: quand ils sont qualifiés, ils sont 66,6% à télétravailler contre 29,6% en 2019.
48% des entreprises considèrent que la mise en place du télétravail massif n’a pas eu d’impact sur leur “productivité”.
Et pour ceux qui auraient remarqué qu’on ne parle ici que des «salariés résidents», un autre chiffre, tiré des Cahiers de la Grande-Région et publié par le Liser en juin, indique que 67% des frontaliers ont télétravaillé au deuxième trimestre 2020, dont 84% pour la première fois de leur carrière luxembourgeoise.
Mais les salariés en télétravail sont-ils plus productifs?
Interrogées par PwC entre octobre 2020 et janvier 2021, à la demande du Conseil national de la productivité, 56 des plus grandes entreprises du pays dans douze secteurs d’activité, représentant 62.395 employés, répondent «manquer de visibilité sur la “productivité” et de moyens de pilotage et technologies spécifiques pour mesurer l’activité et la “productivité” des employés durant des périodes étendues de télétravail. En vue d’un recours plus large et systématique au télétravail à l’avenir (75 % des entreprises pensant pérenniser le télétravail), la question de l’utilisation de technologies et de méthodes de mesure de productivité se pose.»
De cette enquête, il ressort que «les compétences et la formation des employés apparaissent comme l’un des facteurs critiques pour l’amélioration de la “productivité”, mentionné par plus de 60% des entreprises participantes à l’enquête. Cependant, les mesures du niveau de compétences ainsi que du retour sur investissement de la formation restent extrêmement complexes, vagues et peu utilisées.»
Une boîte à outils est indispensable
Sans prendre le moindre gant, les auteurs du rapport expliquent que les managers mélangent tout quand ils parlent de productivité, rentabilité, profitabilité et productivité, ce qui rend impossible le dialogue avec les analystes économiques. Ils suggèrent, outre de nouveaux travaux de recherche, une boîte à outils pour «mieux appréhender les différentes notions de productivité, d’améliorer les méthodologies et les mesures de cette dernière ainsi que leurs évolutions face à ces défis actuels».
Mais… la productivité des salariés en télétravail? Vraiment pas?
En fait, si. Un constat renversant: 48% des entreprises considèrent que la mise en place du télétravail massif n’a pas eu d’impact sur leur «productivité», 26% que la productivité a augmenté et 22% qu’elle a diminué. Plus que ce match nul sans beaucoup d’intérêt, une série d’éléments avancés par ces employeurs mériteraient de rester dans les esprits de ceux qui plancheront sur la fameuse boîte à outils:
- la perte de communication directe entre les équipes entraîne un manque de collaboration alors que l’adversité nourrit l’envie de collaborer davantage;
- la distance n’a pas permis de mener certains projets où l’interactivité est clé pour la créativité et pour la stratégie;
- certains fonctions devaient rester sur site et étaient pénalisées par la distance avec les autres fonctions;
- certains collaborateurs avaient des problèmes de concentration, du fait de la présence de jeunes enfants ou du manque d’une pièce dédiée au télétravail, tandis que d’autres se disent plus concentrés que lorsqu’ils sont au bureau;
- les fonctions qui sont au contact du client ont plus de mal à nouer une relation de confiance à distance;
- beaucoup d’entreprises attendent l’évolution du cadre réglementaire avant d’adapter leurs politiques internes, ce qui crée des flous;
- 52% des managers et 57% des employés n’ont pas eu de formation pour télétravailler [dans une étude de l’OCDE de la même année, un employé sur deux considère comme une priorité… de former les managers, c’est la proposition numéro 1];
- si 75% des entreprises veulent pérenniser le travail, elles sont autant à s’interroger sur l’utilisation de la technologie pour mesurer la productivité, voire l’activité de leurs salariés.
70% des employés veulent «beaucoup plus de télétravail»
Faute d’éléments plus tangibles, l’Observatoire de la compétitivité invite à regarder des études de l’OCDE. Comme celle qui dit que 70% des employés veulent beaucoup plus de télétravail tandis que leurs managers ne sont que 35% à vouloir aussi «beaucoup plus» de télétravail.
Une évolution à laquelle les employés reconnaissent massivement trois avantages (la réduction des dépenses de transport, le moyen de mieux se concentrer sur leurs tâches et le temps gagné, dans l’ordre) et trois inconvénients (le manque d’interactions sociales, la difficulté à «décrocher» du travail et la difficulté de bien travail dans un environnement moins confortable). Et – et c’est là que les deux groupes se rejoignent – leurs managers reconnaissent que la productivité de leurs équipes s’accroit (+60%), qu’elles travaillent plus et – grande peur du patronat luxembourgeois – qu’on peut recruter et travailler de beaucoup plus loin. Pour trois inconvénients majeurs: la disparition du «team spirit», la diminution du sentiment d’appartenance à une entreprise et la difficulté à continuer à entraîner les équipes.
Dans une autre étude, l’OCDE reconnaît ainsi que les entreprises qui sont le plus performantes sont celles qui ont le plus de managers et dont les managers ont les plus grandes compétences. «The human side of the productivity» dit aussi que les entreprises qui ont davantage de femmes et d’étrangers dans le management en tirent de meilleurs bénéfices. L’impact du télétravail n’est abordé que deux fois, une fois pour dire que le télétravail permet d’accéder à des talents qui sont moins locaux et donc d’apporter de la diversité à l’entreprise et une autre pour inviter à considérer les impacts positifs du télétravail (sans aller plus loin).
En s’intéressant à des secteurs aussi divers que variés dans des juridictions plus ou moins exotiques pour en tirer des conclusions sur la situation au Luxembourg, avant de retomber comme un soufflet… Ce «certain pourcentage» est compris entre 2 et 3 jours.