Comment ce bien est-il arrivé dans votre portefeuille et pourquoi avez-vous décidé de reprendre en main ce patrimoine exceptionnel?
François Pauly. – «Il y a tout juste huit ans, j’ai visité cette propriété que je savais en vente. Cela a été un coup de foudre immédiat. Je l’ai fait visiter à Pit Hentgen, mon cousin, et nous nous sommes dit que cette demeure pourrait marquer notre retour en ville. Comme vous le savez, nous avons vendu notre siège historique situé boulevard Royal-Coin Grand Rue à la commune de Luxembourg en 2008. Mais nous sommes quand même des gens de la ville, des ‘Stater’, comme on dit en luxembourgeois, et nous voulions acquérir un bien emblématique pour nos actionnaires. Nous nous sommes alors dit que cette villa correspondait à beaucoup de nos critères. C’est pourquoi nous nous sommes lancés dans cet investissement.
Avez-vous pensé tout de suite à y développer une offre hôtelière?
«Oui, d’autant plus que – et c’était peu connu à l’époque –, nous avions déjà une activité hôtelière en ville avec l’hôtel Le Place d’Armes. Nous nous sommes dit que cette villa pourrait être une adresse complémentaire à cet hôtel. C’est aussi pourquoi nous avons tout de suite opté pour le nom Villa Pétrusse, pour donner une nouvelle identité à ce lieu et faire avancer le projet.
Et c’est donc ainsi que la Compagnie financière La Luxembourgeoise est devenue propriétaire de cette villa historique.
«Oui, et plus précisément, que ce soit les murs du Place d’Armes ou ceux de la Villa Pétrusse, ces deux biens appartiennent à la Compagnie foncière La Luxembourgeoise, qui est détenue par la Compagnie financière La Luxembourgeoise. La Compagnie financière La Luxembourgeoise se structure en fait en trois pôles d’activité : le pôle d’assurance qui est le plus connu, avec La Lux, un deuxième pôle pour des investissements à long terme avec d’autres familles, surtout hors de Luxembourg. Et un troisième pôle qui est le pôle immobilier à travers la Compagnie foncière La Luxembourgeoise. Cette foncière détient un certain nombre d’immeubles, surtout à Luxembourg, mais aussi des terrains de développement au Luxembourg et un tout petit peu à l’étranger.
Quel type de biens la foncière détient-elle?
«En fait, la Compagnie foncière fait des investissements que nos actionnaires ne peuvent pas réaliser à titre privé, vu la complexité et la taille des projets ou l’expertise qu’il faut avoir pour acquérir et développer ces biens. C’est pour cela qu’on trouve dans cette foncière cette activité hôtelière, mais aussi des terrains de développement ou des terrains où il y a déjà des projets dessus, mais qui doivent être restructurés et qui appellent des moyens financiers qui vont au-delà de ce qu’une personne physique actionnaire chez nous peut réaliser.
Est-ce que ce sont des terrains plutôt à vocation mixte, résidentielle ou industrielle?
«Il y a tout un mélange. Donc ça peut être un zoning industriel, du résidentiel, du mixte. En ce qui concerne notre activité d’assurance, là c’est plutôt de l’immobilier de rendement, car il faut s’assurer que les engagements pris au niveau de l’assurance correspondent aux engagements à long terme.
Mener ces hôtels en propre est un choix assez singulier. Pourquoi ce choix?
«C’est plus complexe que cela. Lorsque nous avons racheté Le Place d’Armes, nous n’étions pas l’exploitant au niveau du risque. Nous étions uniquement propriétaires des murs. Mais à un moment donné, le gestionnaire voulait qu’on reprenne aussi le risque. Ce que nous avons fait, avec une reprise des équipes. Donc aujourd’hui, les équipes des deux hôtels sont des salariés de notre groupe. Néanmoins, on profite d’une marque très forte qui est Relais & Châteaux, ce qui nous aide pour les réservations, le positionnement marketing. Et nous avons aussi l’aide des consultants d’Aina Hospitality.
Ce développement de l’hospitality était un choix volontaire de diversification ou une opportunité?
«Il faut savoir qu’historiquement, notre groupe était très investi dans le secteur brassicole qui, par ricochet, était lié à une activité de restauration. Nous étions par exemple impliqués dans le Pôle Nord, lieu où venait tout Luxembourg entre les années 1950 et 1970, puisqu’il était géré par une brasserie où nous étions l’actionnaire de référence. Mais nous avons cédé cette activité en 1999.
Toutefois, lorsque nous avons racheté Le Place d’Armes en 2015, nous nous sommes dit qu’il y avait un besoin à Luxembourg pour une hôtellerie qui se positionne sur un autre segment que ceux occupés par les grands groupes d’hôtellerie, de revenir à une hôtellerie plus classique, très orientée client, dans des sites d’exception. Avant de devenir un hôtel, Le Place d’Armes était une ancienne imprimerie. Aujourd’hui, tout le monde pense que cet hôtel est là depuis toujours. Nous avons su inculquer un nouveau souffle à ces immeubles. C’était un peu la même envie que nous avons eue pour la Villa Pétrusse. Et, de manière objective, il n’y avait pas non plus 36 solutions pour lui donner une nouvelle vie, et aussi offrir un accès à ce patrimoine historique aux gens de la ville et à ceux qui viennent de plus loin.
«C’est une demeure, une villa qui reflète un historique très important tout en faisant un pas vers la modernité.»
Est-ce que ce projet a été bien accueilli auprès des membres du conseil de la Compagnie?
«Lorsque nous avons présenté ce projet au conseil, c’était en 2017 et, comme expliqué, nous pensions symboliquement à notre retour en ville pour nos 100 ans. La proposition a été bien accueillie, et même si ce projet a été bien entendu discuté par nos membres, comme tous nos projets d’investissement, la décision a été unanime.
Quel a été le grand défi du chantier de cet hôtel?
«Ce n’est pas un hôtel classique ni un établissement où on essaie d’optimiser chaque centimètre carré. C’est plutôt une demeure, une villa qui reflète un historique très important tout en faisant un pas vers la modernité. Il y a eu des défis liés au chantier, comme dans toute rénovation. Un de nos grands défis a été de pouvoir intégrer la technique moderne dans cette maison historique. Cela a été possible grâce au travail du bureau d’architectes Jim Clemes Associates, avec les ingénieurs d’auCARRE et Jean Schmit Engineering.
Au sein de votre portefeuille, est-ce que la Villa Pétrusse est un produit risqué?
«Il y avait un risque opérationnel important, c’est certain, car toute rénovation et transformation de bâtisse historique comporte des risques. Au niveau des risques financiers, nous avons pris une autre grille de lecture pour la rentabilité. Ici, la rentabilité bénéficiera non pas à nos enfants, mais à nos petits-enfants. Donc ça change quand même par rapport à des investissements immobiliers classiques.
Pouvez-vous nous donner une idée de l’investissement que vous avez dédié à ce projet?
«Nous allons frôler les deux millions par chambre. Ce sont des investissements très importants. En fait, Villa Pétrusse est un investissement proche des prix d’investissement d’un palace parisien.
Considérez-vous le travail que vous avez réalisé presque comme un acte de mécénat?
«Le mécénat signifie que l’on confie le projet à un autre et qu’on n’a pas de vue sur le retour sur investissement. Ce n’est pas le cas ici. C’est plutôt un acte de citoyenneté, car cet immeuble, qui est très visible et emblématique, était vide pendant près de 30 ans. Habituellement, nous ne parlons pas de nos investissements, mais pour ce projet, nous voulions quand même dire que nous avons fait cet effort, que nous nous sommes «fait plaisir» pour notre centenaire, que nous avons recréé une adresse en plein centre-ville. Nous espérons aussi attirer des personnes qui vont découvrir Luxembourg d’une façon différente. Et, à terme, il y aura peut-être une plus-value sur cet investissement. Mais c’est de la restauration historique, ce sont d’autres critères. Quand vous prenez conscience que les pierres extérieures ont été déposées, nettoyées, restaurées, reposées, avec le coût de la main-d’œuvre à Luxembourg, vous pouvez facilement imaginer que ce n’est pas un investissement de moindre mesure.
Quelle est votre vue sur le marché de l’hôtellerie de luxe à Luxembourg, qui comptera bientôt deux nouveaux hôtels haut de gamme avec l’ouverture de l’Hôtel des Postes et le Marriott Hotel Alfa?
«Si je considère le nombre de chambres que nous avons dans la Villa Pétrusse, je crois que nous n’aurons pas beaucoup de problèmes au niveau de l’occupation des chambres. L’établissement aura la spécificité de marier à la fois une hôtellerie différente – le site est entouré d’un écrin de verdure – avec une gastronomie de très bonne qualité. Je considère que nous ne sommes pas tout à fait sur les mêmes créneaux de marché.
Quelle interaction y aura-t-il entre la Villa Pétrusse et Le Place d’Armes?
«Ce sont deux hôtels gérés avec un management opérationnel différent. La direction de la Villa Pétrusse sera assurée par Stéphanie Raimbault. Il y aura bien entendu des synergies administratives, pour la comptabilité, la maintenance technique et informatique, etc. Mais pour le client, ce seront deux expériences différentes, y compris au niveau de la gastronomie. Les deux maisons ont un positionnement suffisamment large pour avoir plusieurs acteurs.»
Stéphanie Raimbault

Stéphanie Raimbault: «Faire l’ouverture d’un établissement est le rêve de tout hôtelier.» (Photo: Nader Ghamavi)
Née dans une famille de restaurateurs dirigeant un Relais & Châteaux doublement étoilé, la general manager développe très tôt sa passion pour l’hospitalité. Après des études à l’École hôtelière de Lausanne, elle forge son expérience dans des établissements prestigieux, palaces internationaux et Relais & Châteaux. Ces 12 dernières années, elle a occupé différents postes chez Four Seasons à Genève, Londres et Los Angeles. Elle a également une expérience en haute gastronomie (La Dame de Pic Londres). «Faire l’ouverture d’un établissement est le rêve de tout hôtelier, confie la jeune femme. Pouvoir le faire dans un hôtel à taille humaine est une grande chance, d’autant plus dans une telle villa, si pleine d’histoires.» Elle dirige une équipe de 40 personnes.
Une maison pleine d’histoire

L’historien Robert Philippart entre Pit Hentgen et François Pauly. (Photo: Nader Ghavami)
L’historien Robert Philippart revient sur l’histoire de la villa: «La Villa Pétrusse est située sur l’ancien territoire des domaines militaires. Après le démantèlement de la forteresse (1867), et alors que Luxembourg devient une nouvelle capitale, Henri-Eugène de Kerckhoff, marchand de tissu ayant fait fortune, achète en 1880 ce terrain et confie à Pierre Kemp (également auteur du Casino Bourgeois ou de la Fondation Pescatore, entre autres) la réalisation de sa villa le long du nouveau parc dessiné par Édouard André. L’architecte conçoit alors cette maison comme un château miniature, ce qui reflète les attentes de la bourgeoisie de la fin du XIXe siècle, qui est cultivée et qui a voyagé à travers le monde. C’est pour cela qu’on retrouve un brassage des styles dans la maison, avec des salons dont les références vont de l’Antiquité au style Henri VII.
L’hygiène est aussi une nouvelle préoccupation, d’où les grandes fenêtres verticales, l’installation de la cuisine dans la cave, l’établissement des écuries à l’extérieur. Il y a de plus une recherche d’intimité, avec le salon des Dames, le fumoir, le pavillon dans le parc… La maison est ensuite reprise par le fils Albert qui meurt jeune et dont la veuve s’est remariée au docteur François Baldauff (d’où son nom de Villa Baldauff pendant un temps). Elle est rachetée par la Compagnie foncière La Luxembourgeoise en 2017.»
Historique et contemporain
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 24 avril. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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