Pour le gouvernement, cette semaine était signe d’analyse de sa gestion de la pandémie de Covid-19. La ministre de la Santé (LSAP) et le Premier ministre (DP) ont en effet assisté, ce mercredi 5 octobre, à la présentation du , et c’est ce vendredi 7 octobre que le Conseil économique et social (CES) a publié son avis annuel 2022, intitulé «Les leçons spécifiquement luxembourgeoises à tirer de la crise sanitaire de la Covid-19».
Dans les 87 pages que compte le document du CES, plusieurs thèmes sont abordés: la gestion de la crise sanitaire, l’ampleur des mesures et aides de lutte contre le Covid-19, la qualité de la communication tout au long de la pandémie, ou encore les défis économiques mis en avant par la crise sanitaire. Dans ce dernier chapitre, le CES évoque notamment le télétravail, ses chiffres et ses répercussions sur le modèle économique luxembourgeois.
La pandémie a en effet complètement changé la donne sur le télétravail. En 2019, 11,6% des personnes actives (âgées entre 15 et 64 ans) résidentes au Luxembourg déclaraient télétravailler régulièrement à domicile (au moins un jour par semaine). Pendant le lockdown, la part des personnes actives (à l’exclusion des personnes étant en chômage partiel et celles étant en congé pour raisons familiales) pratiquant le télétravail a littéralement explosé, avec 69% du total des personnes actives, selon les résultats d’une enquête ad hoc menée par le Statec.
Pour autant, l’enquête de la Chambre des salariés , citée par le CES, révèle qu’en 2021, seulement 29% des travailleurs résidant au Luxembourg sont favorables au télétravail, alors qu’en revanche 53% des frontaliers français, 42% des frontaliers allemands et 43% des frontaliers belges préfèrent travailler à domicile. «Le régime de télétravail peut comprendre des risques tant pour l’employeur, sur un plan de performance et de productivité, que pour les salariés, sur un plan d’organisation du travail. Aussi, la pression sur le logement n’en serait guère amoindrie, ne serait-ce que parce que les besoins de confort, de connectivité, de chauffage et de climatisation à l’intérieur des logements augmenteraient», commente le CES.
En première position en matière de «télétravaillabilité»
Dans son analyse, il précise que le Luxembourg a un positionnement particulier au sein de l’Union européenne. Parmi tous les pays européens, le Grand-Duché se trouve, avec 57%, en première position en matière de «télétravaillabilité». Ce pourcentage élevé s’explique en grande partie par la structure économique du pays, qui est fortement développée et concentrée sur les services, et plus particulièrement les services financiers (la totalité des services comptant pour près de 90% du PIB au Luxembourg). «La question est de savoir si la situation ‘expérimentale’ en termes de télétravail déclenchée par la pandémie persistera dans le futur et amènera, tel qu’exprimé par le Statec dans son rapport, ‘une percée du télétravail en tant que véritable forme de travail alternative’», ajoute le Conseil économique et social.
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Le CES tient toutefois à attirer l’attention sur les répercussions que ce mode de travail alternatif aurait non seulement sur l’économie locale du fait de la diminution de la consommation – –, mais aussi sur l’actuel modèle économique et social ainsi que sur les finances publiques, notamment sur le budget de l’État dont l’ampleur dépendrait, entre autres, des conventions bilatérales convenues avec les pays voisins. À court terme, le CES réitère d’ailleurs sa recommandation «à viser et mettre en place, de concert avec les trois pays frontaliers, un alignement vers le haut des seuils de tolérance fiscaux et de sécurité sociale».
Des «arrangements» à trouver avec les pays voisins
Il pointe aussi le fait que l’accès à un lieu de travail luxembourgeois est devenu difficile, «voire irréaliste pour des salariés venant de loin, ceci tant pour des raisons de difficultés liées au transport que pour l’inaccessibilité d’un logement à l’intérieur du pays. Cette réalité nouvelle place l’économie luxembourgeoise devant un goulot d’étranglement fatal. Il devient plus facile pour un jeune talent bien formé qui habite Metz de chercher un emploi sur Paris avec trois jours de télétravail et deux jours de trajets en TGV, que de s’arranger avec les conditions luxembourgeoises.»
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«L’employeur grand-ducal devra au moins être d’accord d’ignorer les seuils fiscaux, ce qui signifie des tracas administratifs – surtout avec la France à cause de son obligation de retenue à la source – et des pertes pour le budget de l’État luxembourgeois. Si les employeurs se voyaient acculés à admettre le dépassement du seuil de la sécurité sociale, les pertes pour le Grand-Duché deviendraient telles que le modèle actuel d’attraction de main-d’œuvre étrangère serait remis en question. À l’inverse, si le gouvernement cherchait des arrangements avec les pays voisins, de tels accords viseraient sans doute un partage des recettes.»
Le modèle luxembourgeois semble donc être plus vulnérable à ces développements que d’autres pays de plus grande taille. «Déjà, l’économie luxembourgeoise doit importer le capital, une bonne partie des idées commerciales ainsi que toutes les matières premières et intermédiaires, en contrepartie desquels elle exporte l’énorme majorité de sa valeur ajoutée, (…) et elle importe aussi, tous les jours à nouveau, la moitié de sa main-d’œuvre. Si une partie non négligeable de la main-d’œuvre ne travaillait plus qu’accessoirement sur le territoire luxembourgeois, il y aurait lieu de poser la question de savoir où serait la substance qui justifie de considérer la production comme localisée dans le pays, donc comme ‘nationale’», remarque le CES.