Dans une vaste interview accordée à Paperjam, Klaus Löber, président du comité de surveillance des contreparties centrales de l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma), a évoqué les objectifs stratégiques et les innovations réglementaires introduites dans le règlement sur l’infrastructure du marché européen n°3 (Emir 3), ainsi que les raisons qui poussent l’UE à renforcer l’autonomie, la résilience et la compétitivité mondiale dans le domaine de la compensation.
Pouvez-vous présenter Emir 3 et son importance pour les marchés financiers de l’UE?
Klaus Löber. – «Emir 3 est un élément central des efforts de l’Union européenne pour renforcer la résilience de notre écosystème de compensation et la stabilité financière. Il s’agit d’une révision du cadre législatif original de l’UE dans ce domaine, qui répond à la nécessité d’un écosystème de compensation européen plus robuste, plus compétitif et plus attractif dans un paysage géopolitique et de marché en mutation. Le règlement introduit des mesures ciblées, telles que l’amélioration de la convergence en matière de surveillance, la rationalisation des processus de surveillance, l’exigence d’un compte actif et une nouvelle base de données centrale. Toutes ces mesures visent à renforcer la capacité de l’UE à gérer les risques financiers en interne et à réduire la dépendance excessive à l’égard des contreparties centrales de pays tiers.
Emir 3 vise à garantir que l’Union européenne dispose d’un écosystème de compensation performant et résilient, capable de soutenir notre union de l’épargne et des investissements (UIE) au sens large et nos ambitions économiques.
Comment Emir réglemente-t-il les contreparties centrales et pourquoi est-ce crucial pour la stabilité financière?
«Après la crise financière mondiale de 2008, les Émirats ont mis en place un cadre global pour les contreparties centrales, définissant des exigences pour leur fonctionnement, leur gouvernance, leur gestion des risques et leurs procédures de défaillance, conformément aux normes mondiales applicables dans ce domaine, à savoir les principes CPMI-OICV pour les FMI. Les contreparties centrales jouent un rôle essentiel dans la réduction du risque de contrepartie, mais ce sont aussi des entités systémiques: nous devons donc tenir compte du fait que leur défaillance aurait des répercussions importantes sur l’ensemble du système financier.
C’est pourquoi Emir vise à garantir que les contreparties centrales puissent remplir leur fonction d’absorption des risques même dans des conditions difficiles, renforçant ainsi la stabilité financière. Avec Emir 3, la dernière révision en date, ce cadre est encore renforcé par la prise en compte des risques transfrontaliers, le renforcement des pouvoirs de surveillance de l’UE et l’amélioration de la transparence. Toutes ces mesures sont essentielles pour préserver l’intégrité de nos marchés.
L’un des principaux changements apportés par Emir 3 est l’accélération du processus d’approbation des nouveaux produits et modèles de risque. Comment garantissez-vous que cette rationalisation ne compromette pas la stabilité financière?
«L’approbation accélérée vise à éviter aux contreparties centrales des retards inutiles dans le lancement de nouveaux produits ou modèles de risque tout en maintenant un examen rigoureux, mais il ne s’agit pas d’éliminer des exigences ou de créer des raccourcis. En fin de compte, l’objectif est de faire en sorte que les nouveaux produits et modèles de risque soient évalués avec le même niveau de rigueur prudentielle, mais dans un délai plus court, afin de refléter le besoin d’efficacité sur les marchés actuels qui évoluent rapidement.
L’Esma, en collaboration avec les autorités nationales compétentes (ANC), continuera d’appliquer des normes d’examen élevées même si le processus est plus court, en tirant parti de son expertise et de ses outils de convergence en matière de surveillance. Le cadre permet d’aller vite, mais sans prendre de raccourcis, afin de préserver la stabilité financière tout en permettant au système de compensation de l’UE de rester compétitif et réactif.
Emir 3 adopte une approche pragmatique pour réduire la dépendance excessive de l’UE à l’égard des contreparties centrales de pays tiers ayant une importance systémique substantielle pour la stabilité financière de l’UE, appelées CCP T2.
Quels avantages voyez-vous à la mise en œuvre de la plateforme de données centralisée?
«C’est l’une des nouveautés introduites par Emir 3 dans le but d’améliorer l’efficacité et la disponibilité des données. La nouvelle base de données centrale constituera une avancée significative dans l’amélioration de l’efficacité de la surveillance et de la cohérence entre les contreparties centrales et les ANC de l’UE.
Elle réduira les doubles emplois, rationalisera les demandes des contreparties centrales et simplifiera les rapports pour les autorités comme pour les participants au marché. Cela permettra d’accélérer la prise de décision, de raccourcir les délais d’approbation et de fournir à l’AEMF une vision globale des activités des contreparties centrales, des risques et des tendances du marché.
Enfin, elle renforcera la surveillance fondée sur les risques tout en allégeant la charge administrative pesant sur les contreparties centrales.
Comment Emir 3 aborde-t-il la question de la dépendance de l’UE à l’égard des contreparties centrales de pays tiers et comment la collaboration avec les pays tiers est-elle menée?
«Emir 3 adopte une approche pragmatique pour réduire la dépendance excessive de l’UE à l’égard des contreparties centrales de pays tiers ayant une importance systémique substantielle pour la stabilité financière de l’UE, appelées contreparties centrales T2, qui sont actuellement au nombre de deux, toutes deux situées au Royaume-Uni. Elle introduit l’obligation pour les contreparties de l’UE de maintenir un compte de compensation actif auprès d’une contrepartie centrale de l’UE, représentatif de leur activité de compensation extra-territoriale pour les principaux contrats de produits dérivés. Cette exigence de compte actif vise à rééquilibrer les flux de compensation vers l’Union sans perturber l’accès au marché mondial.
Dans le même temps, la coopération avec les pays tiers reste essentielle. Nous continuons à collaborer étroitement avec nos homologues internationaux, tels que la Banque d’Angleterre et d’autres entités internationales, afin de garantir une surveillance efficace des contreparties centrales de niveau 2 et de préserver la stabilité financière.
Notre objectif à long terme est de soutenir le développement du SIU, faire de l’UE un centre de compensation mondial.
Selon vous, quelles sont les principales priorités sur lesquelles l’Esma devrait se concentrer pour assurer la pérennité du système de compensation de l’UE dans les années à venir?
«Envisageant l’avenir, notre priorité immédiate est la mise en œuvre efficace et opportune d’Emir 3, y compris le développement de 28 normes techniques réglementaires et lignes directrices mandatées dans Emir 3, malgré des délais difficiles. À l’heure actuelle, nous prenons en compte les réactions des parties prenantes à notre première série de consultations et nous remettrons bientôt plusieurs projets de normes techniques réglementaires (RTS) à la Commission européenne.
Par ailleurs, nous continuerons à renforcer la surveillance fondée sur les données et les risques, notamment grâce à de nouveaux outils tels que le mécanisme de surveillance commun (MSC), qui est chargé de surveiller les risques découlant de l’interconnexion des différents acteurs financiers.
Enfin, la promotion de la convergence dans l’application d’Emir 3 et l’accent mis sur la résilience opérationnelle restent nos priorités à moyen terme, compte tenu notamment de l’évolution des cyber-risques, de l’innovation technologique et des changements dans la structure des marchés. Notre objectif à long terme est de soutenir le développement du SIU et de faire de l’UE une plaque tournante mondiale de la compensation.
Emir 3 visait à renforcer la convergence en matière de surveillance et à réduire la dépendance à l’égard des contreparties centrales de pays tiers. Comment ces mesures renforcent-elles l’attrait, la compétitivité mondiale et la résilience des marchés financiers de l’UE?
«En renforçant la convergence en matière de surveillance, Emir 3 améliore la cohérence, la prévisibilité et l’efficacité de la surveillance dans l’UE, réduisant ainsi la complexité et la fragmentation pour les participants au marché. D’une manière générale, en harmonisant nos pratiques de surveillance et en réduisant les délais de mise sur le marché pour les nouvelles initiatives des contreparties centrales, le cadre de compensation de l’UE devient plus prévisible et plus cohérent, ce qui permet aux participants au marché de bénéficier de clarté et de certitude.
Cela améliore l’attractivité globale de l’écosystème de compensation de l’UE. Nous visons à réduire la dépendance excessive à l’égard des contreparties centrales de pays tiers et à accroître notre résilience en gérant mieux les risques systémiques et les dépendances externes. Ensemble, ces mesures contribuent à créer un environnement plus robuste et plus compétitif qui, nous l’espérons, attirera de nouvelles entreprises, soutenant ainsi l’ambition de l’UE d’approfondir ses marchés de capitaux et son autonomie stratégique.
La fragmentation risque de miner la confiance, d’augmenter les coûts et de réduire l’efficacité du marché.
Au vu de la fragmentation géopolitique croissante, quelle est la pertinence du maintien de l’adhésion aux normes mondiales de sécurité? Dans quelle mesure le maintien de l’adhésion aux normes mondiales et de la coopération réglementaire est-il important pour garantir un écosystème de compensation attrayant dans l’UE?
«Le maintien de l’adhésion aux normes mondiales et de la coopération réglementaire est plus important que jamais. La fragmentation risque de miner la confiance, d’augmenter les coûts et de réduire l’efficacité du marché. Les cadres réglementaires mondiaux, élaborés par les organismes de réglementation internationaux, ont joué un rôle crucial dans la préservation de la stabilité des marchés mondiaux et dans l’accès aux marchés transfrontaliers.
Pour l’UE, le respect de ces normes et la mise en place d’un écosystème de compensation national solide ne s’excluent pas mutuellement. C’est précisément grâce à la coopération internationale que nous pouvons mieux gérer les risques systémiques, promouvoir la résilience et faire en sorte que l’UE reste un marché attrayant et compétitif intégré dans le système financier mondial.
Alors qu’Emir 3 nous fournit les outils pour construire un système interne résilient afin de réduire la dépendance à l’égard des CCP de pays tiers, la coopération avec les pays tiers reste essentielle, et l’Esma s’engage à renforcer ces accords de coopération, comme le montre par exemple le dernier protocole d’accord signé avec nos contreparties britanniques.
Cet article a été rédigé initialement et traduit et édité en français.