Le 19 juillet 2023, la Chambre des députés s’est prononcée en faveur du projet de loi 6539A qui traite de la préservation des entreprises et de la modernisation du droit de la faillite. Après le vote, Delano s’est entretenu avec Sébastien Binard,
Clara Mara-Marhuenda et
Matthieu Taillandier d’Arendt & Medernach pour en savoir plus sur ce texte et ce qu’il signifie pour les entreprises du Luxembourg.
Trois mesures d’assainissement préventif
La loi comprend trois nouvelles procédures, détaille Mme Mara-Marhuenda, avocate qui se consacre aux litiges relatifs aux entreprises et à la finance, à la recherche d’actifs, à l’arbitrage et à la médiation, ainsi qu’à l’insolvabilité et à la restructuration. Il s’agit de la conciliation, de la procédure de réorganisation judiciaire et de la réorganisation par accord mutuel. Cette dernière option est une «procédure extrajudiciaire et le tribunal n’intervient qu’à la fin de la procédure pour approuver l’accord».
«Le point fort est d’avoir, dans une seule loi, un ensemble de mesures préventives diverses pour éviter la faillite.
Dans le cadre de la réorganisation judiciaire, il existe encore trois types de procédures, en fonction de l’objectif poursuivi, déclare Mme Mara-Marhuenda. La première est un accord mutuel: «vous avez simplement un “sursis “ pour que le débiteur puisse négocier un accord avec ses créanciers. Vous pouvez aussi conclure un accord collectif, avec un plan de réorganisation qui doit être approuvé par les créanciers. Et il y a la possibilité d’un transfert par décision de justice. Cette troisième option consiste à vendre tout ou partie des actifs du débiteur à un ou plusieurs tiers», explique Mme Mara-Marhuenda. «Le point fort est d’avoir, dans une seule loi, un ensemble de mesures préventives pour éviter la faillite.»
«La nouvelle loi stipule expressément que l’état de faillite du débiteur n’est pas en soi un obstacle à l’ouverture ou à la poursuite d’une procédure de redressement. Il s’agit donc d’un changement important», dit-elle encore.
Importance de la préservation des entreprises
«Jusqu’à présent, nous avions une loi sur les faillites. Maintenant, nous avons une loi sur la préservation de l’entreprise et la faillite», compare M. Taillandier, soulignant l’importance de la partie du texte relative à la préservation de l’entreprise. L’avocat conseille ses clients sur les opérations de financement, telles que les prêts bancaires, les financements d’acquisition, les financements d’actifs et de fonds, et se spécialise également dans les opérations de titrisation. «C’est ce qui est très, très différent. Cela ouvre de nombreuses perspectives aux entreprises qui rencontrent des difficultés.»
«Jusqu’à présent, si une entreprise avait des problèmes financiers, il existait des mesures, mais en fin de compte, tout ce qui était imposé par le tribunal était une faillite», déclare M. Taillandier. «Aujourd’hui, il existe également des procédures judiciaires et organisées pour la préservation, ce qui est un point essentiel.»
Un long chemin à parcourir
Les chiffres du Statec montrent que 556 entreprises ont été déclarées en faillite et que 407 ont été liquidées au cours du premier semestre 2023, le nombre de faillites ayant augmenté de 13% par rapport à la même période en 2022. Cette nouvelle loi pourrait être une réponse à un récent pic de faillites, peut-être provoqué par la pandémie de Covid-19 ou la crise énergétique.
Le projet de loi «a été très long à élaborer», a déclaré M. Binard, qui se spécialise, lui, dans le droit des sociétés, les fusions et acquisitions, les opérations de capital-investissement, ainsi que la restructuration et l’insolvabilité. Un projet de loi visant à réformer le droit de la faillite avait été déposé pour la première fois en 2013, mais les progrès se sont arrêtés au fil des ans.
Il s’agissait en fait d’une question de compétitivité du pays.
M. Binard a décrit ce processus comme un train luxembourgeois quittant la gare, puis se faisant dépasser par un train bruxellois – qui représente la directive européenne de 2019 sur les cadres de restructuration visant à accroître l’efficacité des procédures et «ayant le même objectif que les mesures proposées en vertu de la loi luxembourgeoise». La directive européenne devait également être mise en œuvre à l’échelle nationale, et «c’était donc une bonne occasion de faire d’une pierre deux coups».
La modernisation était «absolument nécessaire»
La législation luxembourgeoise était «obsolète» et la modernisation était «absolument nécessaire», déclare l’avocat. «Plus que cela, il s’agissait vraiment d’une question de compétitivité du pays. En fait, le Luxembourg perd des points dans chaque étude concurrentielle parce que sa loi sur l’insolvabilité, au sens large, a été jugée non compétitive ou, du moins, inadéquate.»
Cette loi s’inscrit également dans une «tendance générale au niveau européen à opter pour des procédures d’assainissement», explique M. Binard. «Si l’on peut sauver l’entreprise avec les bons outils, plutôt que de la liquider, c’est mieux pour l’économie en général.»
Les États-Unis ont des procédures de type «chapter 11», le Royaume-Uni a des plans de restructuration et la France a son plan de sauvegarde. Ces outils se sont avérés «très efficaces», selon M. Binard, mais le Luxembourg n’avait pas vraiment de tels outils auparavant. «Aujourd’hui, nous disposons de plus d’options et d’outils.»
Une caractéristique intéressante de la loi, qui existe dans d’autres juridictions, est la possibilité d’«écraser les créanciers dissidents», ajoute M. Binard. «Cela signifie que si certaines catégories de créanciers ne sont pas d’accord avec la restructuration proposée – parce qu’ils perdraient, par exemple, leurs créances ou beaucoup d’argent – le tribunal a le pouvoir d’imposer le plan de restructuration à ces créanciers, mais à condition que certaines garanties soient respectées.»
L’objectif est de maintenir les procédures de restructuration au Luxembourg
«Il est très important de garder à l’esprit qu’il s’agit d’une question de compétitivité du pays. La loi s’adresse à tous les Luxembourgeois, qu’il s’agisse d’acteurs de la grande distribution ou d’entités plus importantes et plus internationales», déclare M. Taillandier.
L’idée – et l’espoir – est également d’amener et de maintenir une partie de ces restructurations qui sont pour l’instant faites hors du Luxembourg.
Dans le passé, lorsque ces grands acteurs rencontraient des difficultés, ils procédaient à une «sélection du marché» pour trouver une autre juridiction dans laquelle effectuer leur restructuration «parce que nous n’avions pas les bons outils au Luxembourg», explique encore l’avocat. «Les seuls outils disponibles étaient en fait la faillite. Beaucoup de ces restructurations ont donc été effectuées à l’étranger, sous d’autres lois qui offraient plus de flexibilité. L’idée – et l’espoir – est également d’amener et de maintenir une partie de ces restructurations qui sont pour l’instant faites hors du Luxembourg.»
Bien qu’il soit difficile de voir comment la loi sera mise en œuvre dans la pratique, «il faut également noter que le marché de la restructuration est beaucoup plus professionnel aujourd’hui qu’il ne l’était il y a quelques années au Luxembourg», considère M. Taillandier. «Le Luxembourg est très bien équipé en professionnels dans ce domaine.»
Cet article a été rédigé par Delano en anglais, traduit et édité par Paperjam en français.