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Nouveau CEO de SES

SES, le dernier challenge d’Adel Al-Saleh



Adel Al-Saleh aura un nouveau challenge dans un contexte complètement différent de ceux qu’il a connus entre 2012 et 2017 chez NIS et entre 2018 et 2023 chez T-Systems. (Photo: Deutsche Telekom/Norbert Ittermann)

Adel Al-Saleh aura un nouveau challenge dans un contexte complètement différent de ceux qu’il a connus entre 2012 et 2017 chez NIS et entre 2018 et 2023 chez T-Systems. (Photo: Deutsche Telekom/Norbert Ittermann)

Mi-octobre, le conseil d’administration de SES a puisé dans la shortlist d’un chasseur de têtes l’Américano-Britannique Adel Al-Saleh pour trouver un successeur à Steve Collar. Un nouveau challenge dans un contexte très différent pour celui qui a construit sa légende à redresser des géants mal en point sans vraiment convaincre chez T-Systems.

Cinq ans après son arrivée et avec 10.000 personnes en moins sur le payroll, personne ne s’est étranglé: mi-juin, après avoir passé six domaines au crible, Top Employer désigne T-Systems comme le meilleur employeur d’Allemagne. «T-Systems a obtenu des résultats particulièrement bons dans les domaines du leadership, de la carrière, de la stratégie RH, de l’organisation et du changement, des ressources humaines numériques, de l’environnement de travail, de la marque employeur et de l’éthique et de l’intégrité. Nous sommes très heureux de recevoir ce prix, car des conditions de travail exceptionnelles combinées à des tâches passionnantes constituent la base d’une carrière réussie et épanouissante», se félicite un communiqué.

Ce n’était pas gagné pour Adel Al-Saleh, débauché de chez Northgate Information Solutions en 2018 pour sa capacité à «gérer le changement», autrement dit pour couper les branches pourries de l’entreprise allemande. Même le d’habitude très prolixe syndicat Ver.di refuse aujourd’hui de dire du mal de celui qui avait décidé de se passer de 30% de l’effectif…

Et pourtant, tout commence mal en janvier 2018: c’est sur l’intranet qu’Adel Al-Saleh annonce aux employés qu’il a l’intention de séparer l’entreprise, née en 2000 de la fusion de Daimler et des ingénieurs de Telekom, au moins en deux entités, sans imaginer une seconde qu’il aurait mieux fait de passer par l’obligatoire case «comité d’entreprise». Dans un communiqué, le syndicat lui rappelle alors qu’il n’est plus dans un contexte anglo-saxon mais en Allemagne et Ver.di alimente régulièrement l’image d’une «bad bank», une structure pour les parties déficitaires tandis que les parties bénéficiaires pourraient mieux se développer.

«Du heavy metal dans une maison de retraite»

«Beaucoup d’énergie, beaucoup d’émotion, une stratégie claire», disait le message vidéo. Adel Al-Saleh se tient entouré de dirigeants et demande: «Sommes-nous prêts, dirigeants? Ses gens lèvent le poing: “Ouais!”», raconte le mensuel allemand Manager Magazin, comparant la scène à «du heavy metal dans une maison de retraite».

Pour alléger T-Systems, Deutsche Telekom va externaliser certaines activités et leur associer quelques 5.000 employés de T-Systems, invités à prendre leurs responsabilités. En juillet 2020 – six mois après un accord avec le comité d’entreprise –, rebelote, Adel Al-Saleh intègre les services de télécommunications de T-Systems dans le segment de clientèle professionnelle de Telekom Deutschland et «gagne» encore 3.000 employés.

À peine deux ans après son arrivée, ce diplômé de l’Université de Boston en 1987 (bachelor en sciences en génie électrique) et de la Florida Atlantic University en 1990 (MBA) a presque déjà atteint son objectif de départ mais il ne convainc pas. Ce n’est d’ailleurs qu’en avril 2022 que le conseil de surveillance finit par prolonger son contrat pour un second mandat jusqu’à fin 2027. «Adel est un leader confirmé qui a jeté les bases de la croissance et d’un avenir rentable chez T-Systems», s’enthousiasme le CEO de Deutsche Telekom, Tim Höttges, à ce moment-là, avant de devoir une nouvelle fois voler au secours de son dirigeant, fin novembre 2022, en coupant court à des semaines de rumeurs sur la vente de T-Systems. Elle restera bien dans le giron de l’opérateur allemand mais… sans Multimedia Solutions (MMS), à son tour transférée à Telekom Deutschland, tout comme 1.700 autres employés.

Le consensus à peine positif

Si, à coup d’incantations des grands gourous de la communication et de formations, le dirigeant est parvenu à réduire la coûteuse masse salariale et à réorienter l’entreprise, le deuxième objectif, son bilan financier, est plus contrasté. Après la séparation d’une partie des activités, la cible des revenus est passée de 7 à 4 milliards d’euros. Ou plutôt autour de 3,8 milliards. À l’heure d’une digitalisation galopante, le consensus ne lui fait aucun cadeau et table aujourd’hui pour une stagnation des revenus, de 3,855 milliards en 2023 à 3,915 milliards en 2027, pour 304 à 322 millions d’euros d’ebitda ajusté.

«Sur T-Systems, il existe un défi structurel. Et nous sommes très ouverts à cela. Ils orientent leur entreprise vers des solutions numériques. Les solutions numériques sont une entreprise axée sur les personnes. Ça va être un défi, notamment sur le segment européen et chez T-Systems. Et encore une fois, nous devons accélérer la numérisation afin de nous assurer que nous sommes engagés vers une réduction durable de la structure des coûts», reconnaît le directeur financier de Deutsche Telekom, Christian Illek, en février dernier lors de la publication des résultats annuels.

Le CEO de T-Systems, qui avait renoncé à son grand bureau pour l’open space à son arrivée, multipliant les allers-retours avec Londres où il réside, n’aura pas l’occasion de voir ni de profiter d’un éventuel bénéfice historique: les résultats annuels de Deutsche Telekom ne seront publiés que le 24 février 2024, un mois après qu’il ait rejoint le leader mondial des opérateurs de satellites, SES, ses ambitions à 2 milliards d’euros de revenus annuels et ses 680 employés (au 1er janvier dernier).

Américain et désormais rodé à l’Allemagne, celui qui est devenu un Londonien pur jus aura les clés culturelles des deux plus gros marchés pour l’opérateur luxembourgeois mais pas seulement; il connaît aussi parfaitement le monde du cloud, T-Systems ayant même lancé une offre de Quantum-as-a-service en début d’année. Ce dernier sujet intéresse potentiellement SES non seulement pour la circulation des données via les satellites mais aussi pour son projet de distribution de clés quantiques destinées à garantir la cybersécurité des informations en transit.

Une dette et des satellites à surveiller

Si le fleuron luxembourgeois ne parvient pas à imposer son rang – de numéro un mondial en chiffre d’affaires ou en infrastructures – face aux monstres de communication que sont Starlink, Amazon Kuiper et autres Eutelsat-OneWeb, il a profité des 3 milliards de dollars de la 5G américaine avant impôts pour assainir sa situation financière. De quoi permettre au président du conseil d’administration, Franck Esser, de tenir sa promesse de début 2023: l’an prochain, SES maintiendra sous les 3x la dette nette ajustée par rapport à l’ebitda ajusté (4x en 2022 et 3,5 x attendus cette année).

Dans un contexte où tout va toujours plus vite, le nouveau CEO devra aussi veiller à respecter le calendrier. La pépite perd du temps avec les problèmes rencontrés par les O3b mPower de Boeing: la nouvelle génération s’interrompt de manière impromptue et le CEO intérimaire et ancien directeur technologique, Ruy Pinto, a dû trouver un accord avec Boeing pour que tous les satellites soient mis à jour sans que cela ne dépasse l’enveloppe financière que SES comptait consacrer à ces satellites du futur. Les numéros 5 et 6 seront finalement lancés début novembre pour une mise en service au deuxième trimestre 2024 avec six mois de retard sur les plans.

Et chez SES, il n’y a pas de planches pourries. L’ex-CEO, Steve CollarSteve Collar, avait déjà rationalisé les coûts devant les échéances financières et technologiques à venir. À 60 ans, Adel Al-Saleh aura les coudées franches pour faire briller l’étoile luxembourgeoise pour un dernier challenge.