Article mis à jour le mercredi 6 mai à 17h avec les réponses du ministère de l’Éducation nationale.
Il existe plusieurs catégories d’enseignants au Luxembourg, en particulier au niveau fondamental. «Il y a les personnes détentrices au minimum d’un bachelor, souvent en sciences de l’éducation, qui passent le concours pour accéder au statut A2 de la Fonction publique. Et il y a les employés de l’État, qui ont le niveau baccalauréat, qui ont le statut B1 et après une formation d’une soixantaine d’heures deviennent chargés de cours. Ils occupent les mêmes postes auprès des enfants à l’école mais n’ont pas les mêmes avantages», explique le secrétaire central adjoint du SEW/OGBL, Gilles Bestgen.
Plus en détail, ils sont 813 chargés de cours (chiffres de la rentrée 2024-2025) à enseigner dans les écoles fondamentales du pays, soit 12,6% de l’ensemble des enseignants du fondamental (6.438). 623 sont en CDI (ils sont nommés ‘chargés membres de la réserve de suppléants’ par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse) et 190 sont en CDD (nommés ‘chargés remplaçants’). «Même pour ceux qui sont en CDI, la situation n’est pas parfaite. En termes de salaire, un enseignant qui a la statut A2 démarre en début de carrière avec un brut à 6.470 euros, contre 4.474 euros pour un chargé de cours. Certes, ils n’ont pas les mêmes connaissances et le même diplôme, mais au final, ils font aussi cours devant les enfants.»
Contacté par Paperjam, le service communication du ministère de l’Éducation nationale répond que «dans l’enseignement fondamental, le recours à des CDD s’avère indispensable pour répondre à des besoins ponctuels, en raison d’absences temporaires d’instituteurs en charge de la gestion d’une classe. Ces contrats constituent également une opportunité pour les jeunes d’explorer la profession enseignante dans le cadre d’une orientation professionnelle, et de déterminer s’ils souhaitent s’y engager à long terme.»
Douze ans de CDD
Les chargés de cours, employés comme remplaçants temporaires ou permanents, peuvent se retrouver à enchaîner les CDD. «Nous avons déjà eu un cas d’une personne qui a enchaîné des CDD d’un an durant douze ans, c’est insensé.» Comme l’explique l’ITM, «un CDD peut être renouvelé deux fois pour une durée déterminée (…) et la durée d’un CDD, renouvellement et période d’essai compris, ne peut pas excéder 24 mois.»
«Mais cette loi ne s’applique pas pour les chargés de cours», dénonce Gilles Bestgen. «Les chargés de cours sont donc confinés dans une spirale de CDD successifs, qui, à cause d’une exception dans la loi relative aux CDD qui n’a jamais été remise en question, peuvent être renouvelés sans fin. Ces contrats précaires, sans perspective de stabilité, placent les enseignants dans une situation de vulnérabilité financière et professionnelle permanente.»
Le ministère de l’Éducation nationale répond que «le Code du travail prévoit explicitement une dérogation (à ces) dispositions. Ainsi les contrats de travail pour, entre autres, les chargés de cours peuvent être renouvelés plus de deux fois, même pour une durée totale dépassant vingt-quatre mois, sans être considérés comme contrats de travail à durée indéterminée.»
138 régularisations
Les chargés de cours en CDD peuvent accéder, au bout de trois ans, au CDI, après obtention du stage de la fonction publique. «Mais s’ils le ratent, ils ont le risque d’être licenciés. Pourquoi ne pas leur accorder le CDI sans passer le stage sachant que cela fait trois ans qu’ils font un très bon travail?», interroge le secrétaire central adjoint du SEW/OGBL. «Cette absence de reconnaissance de leur travail et de leur expertise est inacceptable. Au lieu d’offrir un cadre de travail stable et respectueux, le MENJE continue à exploiter cette main-d’œuvre précaire, alors que le travail ne manque pas.»
Là encore, le ministère de l’Éducation nationale répond que «dans le cadre de ces CDD, des régularisations sont effectuées de manière régulière. Au cours des trois dernières années, 138 agents qui avaient cumulé trois contrats consécutifs et sollicité un CDI auprès des services compétents du MENJE, ont bénéficié d’un contrat à durée indéterminée. Selon l’expérience des services en charge du recrutement des agents en question, certains de ces agents optent délibérément pour un statut de CDD, car ils envisagent des perspectives professionnelles alternatives dans d'autres domaines et souhaitent ainsi conserver une certaine flexibilité», justifie le ministère, qui ajoute qu’aucune dérogation au principe général du stage de la fonction publique n’est actuellement prévue, comme le demande le SEW/OGBL.
Un accès impossible d’employé à fonctionnaire
«Même ceux qui obtiennent un CDI ne pourront jamais accéder au statut de fonctionnaire A2 tant qu’ils n’ont pas au moins un bachelor, et ce même s’ils parlent les trois langues administratives du pays. Cela se faisait avant, mais plus désormais. Il n’y a pas de vraie volonté politique de changer les choses, même si nos rapports sont très bons avec les ministères de la Fonction publique et le MENJE», ajoute Gilles Bestgen.
Or, selon le site de la Fonction publique, l’employé de l’État peut être admis au statut de fonctionnaire de l’État suivant quatre conditions, comme le fait d’avoir «accompli au moins 15 années de service, à temps plein ou à temps partiel, à compter de la date d’engagement auprès de l’État en qualité d’employé», ou encore d’avoir «réussi à l’examen de carrière». Mais là encore, «cela ne fonctionne pas pour le secteur de l’enseignement». Erreur, selon le ministère, qui explique que «les différents groupes de traitement/d’indemnité auprès de l’État exigent différentes conditions d’accès quant aux conditions minimales d’études. Pour accéder à un emploi du groupe A2, les candidats doivent être titulaire d’un bachelor ou de son équivalent. Le principe de la fonctionnarisation n’y change rien.»
Des avancées ces dernières années
Autre point soulevé par le SEW/OGBL dans son communiqué du 6 mai, les retards de paiement que subissent les employés nouvellement embauchés. Certains ne sont pas rémunérés pendant plusieurs mois après leur prise de fonction, faute de dossier incomplet, de l’impossibilité d’avoir un rendez-vous auprès du médecin de contrôle, etc. «Mais le MENJE les fait toutefois travailler pendant des mois avant qu’ils ne soient payés. Ces retards de paiement mettent en péril leur stabilité financière et leur quotidien. Cette situation est non seulement dégradante, mais aussi indigne de la part d’un service public», explique encore le syndicat.
Le SEW demande donc la fin de l’exception dans la loi relative aux CDD et la mise en place d’un cadre de travail «stable pour les chargés de cours»; «le respect des délais de paiement pour tous les enseignants, afin qu’ils puissent être rémunérés à temps pour leur travail. Pour cela, il faut que leur dossier administratif soit en règle avant qu’ils ne commencent à travailler à leur nouveau poste.»
Gilles Bestgen se félicite toutefois «qu’il y a eu des avancées ces dernières années pour les chargés de cours. Auparavant, les CDD d’un an s’arrêtaient à la fin de l’année scolaire et redémarraient au 15 septembre. Ces enseignants n’avaient donc pas de contrat durant les deux mois de vacances ni de protection sociale. Nous avons obtenu que les CDD soient d’une année pleine, de sorte qu’il n’y ait pas de ‘creux’ durant l’été.»