En fonctionnement depuis 2015, le site logistique automatisé de Recy, dans la Marne, alimentera les 27 magasins rachetés par Leclerc au Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

En fonctionnement depuis 2015, le site logistique automatisé de Recy, dans la Marne, alimentera les 27 magasins rachetés par Leclerc au Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

Le leader français de la grande distribution, dont l’installation au Luxembourg est imminente, s’appuie sur une organisation coopérative inédite dans le pays et mobilise une spectaculaire force de frappe logistique. Visite sur place.

Un ballet de fureur et de mécaniques. Des engins connectés qui voltigent dans les airs, des palettes qui glissent au sol sans personne pour les tracter. Des escaliers métalliques, beaucoup d’escaliers. Des marches, beaucoup de marches. Et encore des escaliers. Qui grimpent, qui bifurquent, qui dégringolent à pic. Vertigineux. Et labyrinthique.

Bienvenue à l’entrepôt de Recy, à quelques minutes de voiture de Châlons-en-Champagne (Marne), centre névralgique de la Scapest, la centrale d’achats et de logistique de l’enseigne Leclerc d’une grosse partie de l’est de l’Hexagone qui, dans les prochains mois, servira de base arrière aux 27 magasins Cora, Match et Smatch rachetés au groupe Louis Delhaize par le numéro 1 français de la grande distribution. La Scapest a tenu un rôle majeur dans la transaction.

Ici, c’est ailleurs. Ici, c’est nulle part. Une anonyme zone industrielle sans âme ni beaucoup de verdure, coiffée d’un ciel gris en ce jeudi après-midi où, à la radio, les flashs d’information alimentent la chronique de la crise agricole en cours. En France, des centrales d’achats comme celle-ci ont été ciblées par les manifestants, symboles à leurs yeux de l’influence des grosses enseignes sur leurs difficultés à vivre du fruit de leur labeur. «Mais les revendications concernent essentiellement l’État, très peu les distributeurs», relève le président de la Scapest, Serge Febvre, par ailleurs propriétaire de l’hypermarché Leclerc de Thionville, depuis 1994.

En mode coopératif

Ici, c’est en fait chez lui. Un gigantesque bâtiment construit à partir de l’été 2013 et mis en service moins de deux ans plus tard, à l’automne 2015. Sa particularité: tout ou presque y est automatisé, une intervention humaine n’étant nécessaire que pour environ 3% des produits réceptionnés. L’un des rares entrepôts à fonctionner de la sorte en Europe et le fleuron de la Scapest, l’une des 16 centrales régionales des établissements Leclerc en France.

Serge Febvre (à d.), président de la Scapest, et Olivier Fache, le directeur, au cœur de l’entrepôt où 95% des produits ne demandent aucune intervention humaine. (Photo: Maison Moderne)

Serge Febvre (à d.), président de la Scapest, et Olivier Fache, le directeur, au cœur de l’entrepôt où 95% des produits ne demandent aucune intervention humaine. (Photo: Maison Moderne)

Pour saisir son fonctionnement, il faut d’abord comprendre le modèle Leclerc, très différent de celui des groupes intégrés type Carrefour ou Auchan, avec une présidence et un pool d’actionnaires et décisionnaires sous la coupe desquels sont placés les directeurs de magasin. Chez Leclerc, les décisionnaires sont les adhérents. À savoir des commerçants indépendants, puisque propriétaires de leur bébé.

Deux entités chapeautent le réseau coopératif de 1.386 points de vente en France (dont près de la moitié d’hypermarchés) représentant 624 adhérents, 132.000 salariés, 23,2% de part de marché et un chiffre d’affaires de 43,9 milliards d’euros (hors carburants) en 2022. D’une part, il y a l’ACDLEC (pour Association des centres distributeurs E. Leclerc), une association loi 1901 présidée par le big boss du mouvement, Michel-Édouard Leclerc, «là où l’on prend toutes les grandes orientations stratégiques», indique Serge Febvre, qui y a son rond de serviette en tant que président de la Scapest, comme ses 15 autres homologues. D’autre part, il y a le Galec (pour Groupement d’achats E. Leclerc), qui assure l’ensemble des missions commerciales. «On est dans l’opérationnel.»

La puissance est informatique. Un colis répond à cinq algorithmes.
Olivier Fache

Olivier FachedirecteurScapest

Dans les faits, il s’agit d’un système circulaire. Prenons l’exemple des 180 magasins (dont 47 hypers et supermarchés) du bassin de chalandise de la Scapest, qui s’étend jusqu’en région parisienne et s’apprête, dans les prochains mois, à conquérir le Luxembourg. Chaque magasin exprime ses besoins auprès de la Scapest. Celle-ci massifie les commandes, fait le lien avec les fournisseurs, réceptionne la marchandise, puis prépare les colis avant d’en assurer la livraison. Cela concerne environ deux tiers des références présentes dans les rayons.

Palettes et Tetris

Le site de Recy est d’autant plus impressionnant qu’il accueille quotidiennement entre 4.000 et 4.500 palettes, d’un poids de 500kg chacune. Entre 100 et 150 camions en repartent, chaque jour, à destination des magasins Leclerc. Dans l’intervalle, la principale problématique aura été de constituer ce que le directeur de la Scapest, Olivier Fache, compare à «un Tetris», à savoir un colis dûment ficelé et agencé de manière à répondre aux besoins de l’organisation physique de chaque magasin. «La puissance informatique» de cet entrepôt ayant nécessité le travail d’un demi-millier d’ouvriers, «elle se concentre sur la constitution de ces Tetris. Un colis répond à cinq algorithmes», indique le directeur.

L’intervention humaine que l’on évoquait se limite au déchargement puis au chargement des véhicules. Pour le reste, les produits suivent tous le même circuit, du point d’entrée à la sortie, passant tour à tour entre les «griffes» de transtockeurs capables de les déplacer ou d’aller les récupérer jusqu’à une vingtaine de mètres de hauteur, de neuf postes de défilmage, d’une hotte aspirante chargée de défaire une à une les couches de chaque colis, d’un séquenceur leur attribuant leur zone de destination et d’une filmeuse composée de quatre appareils, pouvant gérer chaque jour 1.000 Tetris. Une salle de contrôle informatique se situe dans les étages. Les yeux rivés à trois écrans géants proposant en simultané jusqu’à une trentaine de vues, un agent de contrôle peut à tout moment intervenir en cas de dysfonctionnement.

On ne va pas faire venir du Luxembourg de la marchandise locale pour ensuite la faire repartir.
Serge Febvre

Serge FebvreprésidentScapest

Bientôt, c’est ici que seront réceptionnées les commandes et préparés les colis des deux hypermarchés Cora et 25 magasins Match et Smatch tombés, depuis l’été dernier, dans l’escarcelle de Leclerc. Le calendrier de déploiement est en voie de finalisation, à ce stade il n’a pas été divulgué. Tout devrait être bouclé d’ici la fin du premier semestre 2024. L’écueil numéro un réside dans la mise en place informatique propre à l’enseigne française.

Leclerc l’affirme depuis le départ, son intention est de s’appuyer sur le savoir-faire local des équipes déjà en place chez Cora, Match et Smatch (le plus d’un millier d’emplois est d’ailleurs conservé) et sur une partie de l’organisation sur place. Sur le plan logistique, cela signifie qu’en dehors de quelques aménagements, la Scapest, qui dessert déjà 403.000 mètres carrés de surface de vente côté français, n’aura guère besoin de pousser les murs. Concernant la marchandise luxembourgeoise, par exemple, l’activité sera assurée dans les entrepôts de la société Arthur Welter, à Leudelange. «On ne va pas faire venir du Luxembourg de la marchandise locale pour ensuite la faire repartir», résume le président de la Scapest, Serge Febvre.

La révolution est en cours, quoi qu’il en soit, avec l’importation au Grand-Duché d’un modèle coopératif qui verra bientôt des adhérents luxembourgeois, mais aussi belges, français ou allemands, détenir en leur nom un ou plusieurs points de vente parmi les 27 cédés par Delhaize. L’occasion pour la Scapest de «grossir» encore. Avec 3,9 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 10%, la structure fondée en 1975 pour l’approvisionnement de… six magasins à l’époque, s’enorgueillit de peser pour 8,4% du chiffre d’affaires national du géant Leclerc.