La crise du coronavirus refaçonne le paysage de l’investissement, observe Gisèle Dueñas Leiva, directrice de BlackRock Luxembourg. (Photo: Blackrock)

La crise du coronavirus refaçonne le paysage de l’investissement, observe Gisèle Dueñas Leiva, directrice de BlackRock Luxembourg. (Photo: Blackrock)

Comment investir dans un monde en crise sanitaire et économique? Jim Barry, directeur des investissements chez BlackRock Alternative Investors et Gisèle Dueñas Leiva, directrice de BlackRock Luxembourg, abordent les différences de la crise actuelle par rapport à celle de 2008, ainsi que les principales tendances d’investissement sur les marchés privés.

La crise du coronavirus a eu un effet accélérateur sur les tendances structurelles telles que l’e-commerce et la durabilité, tout en intensifiant les phénomènes de démondialisation et de fragmentation géopolitique. Elle pourrait générer un choc générationnel dans le monde émergent. Ces tendances refaçonnent fondamentalement le paysage d’investissement. Parmi les actions que doivent entreprendre les investisseurs dès aujourd’hui, la plus importante consiste à réévaluer la répartition stratégique de leurs actifs pour s’assurer que leurs portefeuilles soient résilients à ces macro-tendances.

Dans ce contexte très incertain, garantir la résilience des portefeuilles implique bien plus que de prendre en compte les corrélations entre les diverses catégories d’actifs des marchés publics. Les marchés privés offrent cette option, notamment par l’exposition aux technologies émergentes et d’autres tendances de l’économie réelle qui sont moins accessibles par le biais des marchés publics. 

Impact de la pandémie sur l’investissement sur les marchés privés

La taille des marchés privés a triplé depuis 2007: ils représentent 8.000 milliards de dollars aujourd’hui contre 2.500 milliards de dollars à l’époque. Ils constituent de fait un vaste pan de l’univers des investissements.

Cette croissance se manifeste également au Luxembourg, où l’industrie des fonds alternatifs ne cesse de se développer. Depuis 2018, la taille du fonds de private equity moyen domicilié au Luxembourg a augmenté de 50% et les actifs sous gestion des fonds de dette privée au Luxembourg ont également augmenté de 40% en l’espace de deux ans pour atteindre 56 milliards d’euros d’actifs sous gestion. 

Selon nous, l’accroissement de la taille globale des marchés privés et la variété accrue de types d’investissements vont se traduire par une plus grande proéminence du capital privé dans la reprise économique à venir. Ces marchés offrent en effet des opportunités d’investissement rapides et flexibles, et le capital obtenu par les entreprises par ce biais peut contribuer à financer des projets qui ne pourraient pas l’être sur les marchés publics. 

Tester la résilience des marchés alternatifs d’investissement

La pandémie constitue une épreuve permettant de tester la résilience des marchés alternatifs d’investissement qui incluent des actifs tels que le private equity, les infrastructures, les crédits immobiliers et les hedge funds. Il s’agit d’investissements à long terme. L’anticipation de périodes de crise et la recherche de stratégies d’allocation offrant des caractéristiques de résilience font donc partie intégrante du processus d’investissement. Cette résilience s’est illustrée dans la valorisation des actifs sur les marchés privés au premier trimestre et lors de la reprise relative du deuxième trimestre . L’investissement sur les marchés privés a poursuivi son cours, surtout pour les actifs diversifiés, ainsi que les actifs reposant sur des fondamentaux solides et ceux liés à des tendances à long terme comme la transition énergétique mondiale. 

On a observé une bifurcation entre, d’une part, les actifs les plus sévèrement impactés tels que ceux liés au secteur du tourisme, l’immobilier et le transport, et de l’autre, les actifs dont les fondamentaux sont restés stables comme la technologie, une partie du secteur de la santé et les centres de distribution.

Tendances d’investissement émergentes dans un contexte marqué par l’incertitude

Tout d’abord, précisons que les mesures politiques prises pour atténuer l’impact du virus sont inédites. Leur mise en œuvre n’est pas sans risque, mais si elles portent leurs fruits, même dans les scénarios les plus pessimistes, les dommages économiques cumulés devraient être inférieurs à ceux connus dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008.

Le niveau d’incertitude d’autres facteurs est toutefois plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était avant la crise du coronavirus. On peut citer notamment le risque potentiel d’une deuxième vague, les tensions géopolitiques et le résultat incertain du scrutin présidentiel américain de novembre. Le financement à long terme des transactions doit donc demeurer robuste dans ce contexte.

Deuxièmement, les changements que connaîtra l’économie sont susceptibles d’être bien plus marqués que ceux que nous avons connus à la suite de la grande crise financière mondiale. On constate d’ores et déjà que cette crise a un effet accélérateur sur certaines tendances telles que le déclin des points de vente physiques, tandis que d’autres tendances s’inversent à l’instar de notre dépendance vis-à-vis de chaînes d’approvisionnement mondiales optimisées. Les investisseurs qui procèdent à des investissements illiquides sur le long terme dans des entreprises et des actifs réels doivent prendre en compte la manière dont ces tendances et ces risques vont évoluer.

Le troisième concept-clé est celui de la durabilité. Certains affirment qu’il s’agit d’un luxe que nous ne pouvons pas nous autoriser en temps de crise. Nous ne sommes pas de cet avis. Si le Covid nous a appris quelque chose, c’est précisément à quelle vitesse un risque non financier peut devenir financier. À nos yeux, la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les stratégies d’investissement permet de mieux appréhender les risques financiers. Cela implique notamment la prise en compte des risques liés au changement climatique et l’impact sur les politiques et les marchés, et ce tout particulièrement pour les investissements illiquides et de long terme. 

Opportunités d’investissement

Nous observons des opportunités d'investissement sur les marchés du private equity, du crédit, des actifs réels et des hedge funds. Ces opportunités incluent:

- Les liquidités relais (liquidity bridges): injections de capitaux pour les entreprises de premier rang qui ont perdu leurs financements bancaires ou ont besoin d’un «relais» en raison de problèmes de liquidités. À ce titre, il est intéressant de noter que, dans l’éventualité où la crise viendrait à se prolonger, les dommages subis par l’économie réelle se manifesteront dans les actifs sous pression et que les marchés privés peuvent injecter des capitaux au travers de solutions d’investissement ou dans une situation de crise.

- Les ventes forcées: les vendeurs vont vouloir se défaire de leurs actifs et la rapidité, la confiance et la confidentialité seront dès lors essentielles. Nous nous attendons par conséquent à ce que des actifs de qualité deviennent disponibles à un bon prix. 

Des opportunités se dégagent

Le marché secondaire du private equity représente en ce sens l’une des opportunités les plus en vue. À mesure que l’année avancera, nous nous attendons à voir augmenter le nombre de transactions à l’initiative des limited partners (LPs) qui souhaiteront vendre leurs intérêts dans des fonds de private equity. Certaines de ces transactions seront provoquées par «l’effet dénominateur» au cours duquel les investisseurs cherchent à rééquilibrer leurs portefeuilles après une dévalorisation sur le marché public.

L’accélération des tendances structurelles engendre l’apparition d’investissements complémentaires dans certains secteurs. On observe de fait des opportunités dans les domaines des soins de santé, de la transition énergétique, des technologies et de l’immobilier. Le secteur des soins de la santé nous fournit un bon exemple d’opportunité avec la télémédecine. Ces opportunités apparaissent sur les marchés du crédit privé et du private equity.

La transition vers une économie bas carbone en est un autre bon exemple. Les investissements dans les actifs liés à la production d’énergie solaire et éolienne ont prouvé leur résilience pendant la crise et présentent l’avantage d’être intrinsèquement liés à un changement structurel de long terme vers des capacités de production plus vertes s’appuyant sur une économie attrayante et un changement des mentalités au sein de la société.

En conclusion, nous anticipons davantage d’opportunités d’investissement sur les marchés privés tant en matière de tendances structurelles que de transactions. Les investisseurs ayant accès à des transactions réalisées rapidement et prenant en compte les spécificités du marché local seront à même de créer de la valeur et d’accéder à des rendements attractifs dans le nouvel environnement.

BlackRock Investment Institute, données de Preqin, juin 2020

The ALFI/Deloitte Private Equity and Venture Capital Investment Fund Survey 2019, Juin 2019

The ALFI/KPMG Private Debt Fund Survey 2019

[4] Au Q1 les placements privés ont chuté de 10 à 15% avec certaines variations selon les secteurs. L'immobilier et le crédit privé ont connu des baisses plus modérées de maximum 5%…


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