Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency 2019)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Degroof Petercam/Blitz Agency 2019)

Que nous réserve l’économie mondiale? Tout au long de l’été, différents experts en économie vont analyser la situation économique post-Covid et nous présenter leurs perspectives pour la deuxième partie de l’année. Cette semaine, Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg, fait le point sur le soutien aux États par la Banque centrale européenne.

Les plans de soutien économique des gouvernements vont aggraver considérablement l’endettement public des pays de la zone euro cette année. Au travers de son programme d’achat pandémique, la Banque centrale européenne absorbera les nouvelles émissions obligataires des États membres de l’euro, facilitant ainsi le financement de ces programmes d’aide. Le surcroît d’endettement public de 2020, qui est l’héritage de la crise actuelle, sera donc détenu par la BCE.

Le rôle déterminant des banques centrales

À partir du mois de mars, les principales banques centrales du monde ont lancé des opérations de création monétaire inédites en vue de racheter des dettes publiques, ce qui limite toute hausse des taux d’intérêt sur les emprunts des gouvernements. La Banque centrale européenne, qui avait initialement fixé en mars la taille de son programme d’achat pandémique à 750 milliards d’euros, a augmenté celui-ci de 650 milliards lors de sa réunion monétaire du mois de juin. Cette action des banques centrales peut être une source d’inquiétude, car certains épisodes de monétisation des déficits budgétaires ont conduit à des périodes d’hyperinflation dans le passé, et donc à une baisse rapide du pouvoir d’achat de la monnaie. Ce fut le cas de la République de Weimar en 1922, du Venezuela en 2017, du Zimbabwe au début des années 2000, etc.

Peu d’inflation générée par les interventions monétaires qui ont suivi la crise financière

La théorie quantitative de la monnaie permet d’expliquer la relation entre l’offre de monnaie et le niveau des prix. Cette dernière stipule que, toutes choses égales, lorsque la quantité de monnaie augmente, le niveau général des prix à la consommation doit s’adapter à la hausse. Or, en économie, le statu quo est rarement la norme. Durant les années qui ont suivi la crise de 2008, la hausse de la quantité de monnaie des banques centrales, qui ont acheté des dettes publiques en contrepartie, ne s’est pas traduite en augmentation du niveau des prix des biens et services, car la vélocité de la monnaie a baissé. Ce dernier paramètre dépend principalement de la confiance des agents économiques. La fréquence moyenne des transactions pour une unité de monnaie avait diminué, car les ménages s’étaient constitué une épargne de précaution. Toutefois, à défaut de générer de l’inflation, ces programmes d’achat des banques centrales ont supporté le prix de certains actifs financiers en exerçant une pression sur les taux longs et en gonflant ainsi leurs valorisations.

Il est donc peu probable que l’on assiste à une envolée des prix à court et moyen terme.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

L’inflation n’est pas seulement un phénomène monétaire, d’autres forces l’influencent également. Parmi celles-ci, notons la différence entre le niveau d’activité économique et le potentiel de production de l’économie. Comme la crise de 2009 avait créé des surcapacités importantes dans nos économies, la création monétaire à elle seule ne suffisait pas à raviver le prix des biens et services. De même, la crise actuelle laissera des traces à moyen terme sur le niveau d’activité économique, que ce soit sous forme d’une hausse du taux de chômage ou d’une perte de revenus pour une frange de la population. Il est donc peu probable que l’on assiste à une envolée des prix à court et moyen terme.

Création monétaire permanente ou temporelle?

La situation de plein emploi et le caractère répétitif du financement direct des déficits budgétaires par les banques centrales étaient des conditions nécessaires aux périodes d’hyperinflation passées. Ces conditions ne sont pas réunies aujourd’hui. Premièrement, malgré les moyens déployés par les États afin de sauver au maximum l’emploi, des emplois disparaissent, et deuxièmement, le recours à la planche à billets dans cette ampleur par les banques centrales répond à une situation exceptionnelle. Rappelons également que le statut des banques centrales du 21e siècle leur confère une indépendance vis-à-vis des gouvernements.

Or, les situations d’hyperinflation du passé provenaient bien souvent de ce manque d’indépendance qui incitait les gouvernements à créer de la monnaie pour financer des déficits budgétaires croissants. De plus, la forme permanente de la création monétaire actuelle n’est pas acquise. En effet, si la menace inflationniste réapparaissait à plus long terme, les banques centrales pourraient décider a posteriori de réduire l’offre de monnaie en ne réinvestissant pas les échéances des dettes gouvernementales qu’elles détiennent, ce qui de facto réduirait la quantité de monnaie émise. De ce fait, la création monétaire actuelle ne serait donc in fine qu’un phénomène temporaire et réversible. La banque centrale américaine a d’ailleurs montré, de 2018 à septembre 2019, qu’il était possible de réduire la taille de son bilan.

La création monétaire actuelle ne serait donc in fine qu’un phénomène temporaire et réversible.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Les banques centrales ont appris les leçons du passé. Étant donné la sévérité inédite du choc sur l’activité, le manque d’interventionnisme des autorités monétaires aurait sans aucun doute accentué la crise. Le financement indirect des nouveaux déficits budgétaires par la création monétaire était souhaitable et ne doit pas être craint dans la situation présente de fort recul de l’activité économique, de hausse du taux de chômage et de faiblesse de l’inflation. Cela étant dit, le risque de réapparition de l’inflation à échéance plus lointaine augmente si cet outil monétaire est utilisé de manière systématique aux moindres secousses économiques futures.

Certains se demandent pourquoi les banques centrales n’annulent pas purement et simplement la dette publique qu’elles détiennent, ce qui réduirait de facto l’endettement public. Une telle opération signifierait que la Banque centrale européenne, dont le capital est détenu par les États membres, opérerait en capitaux propres négatifs puisqu’elle subirait une perte sèche sur son actif. Cette situation supposerait un renflouement du capital de la BCE par les États membres, ce qui ne changerait rien au problème d’endettement public, l’État devant trouver un autre créancier pour injecter du capital dans la banque centrale. D’un autre côté, si la BCE maintient des capitaux propres négatifs, la réaction des marchés des changes et obligataires est hautement incertaine, de même que la légalité de cette situation. Mais d’un point de vue purement économique, je doute que cela ait des conséquences majeures. Par contre, il est entièrement possible que les obligations d’État détenues par la Banque centrale soient renouvelées perpétuellement et ne soient donc jamais vraiment remboursées par les États. Cela me paraît être le scénario le plus probable dans l’environnement actuel.