Pour Sophie Casanova, «la mise en œuvre d’une cible pour les rendements obligataires de trois à cinq ans pourrait avoir des atouts non négligeables». (Photo: Edmond de Rothschild)

Pour Sophie Casanova, «la mise en œuvre d’une cible pour les rendements obligataires de trois à cinq ans pourrait avoir des atouts non négligeables». (Photo: Edmond de Rothschild)

Sans surprise, compte tenu de l’ampleur du soutien monétaire déjà déployé depuis mars, la Réserve fédérale américaine (Fed) n’a pas procédé à de nouvelles annonces lors de sa réunion du 29 juillet 2020. Néanmoins, elle a maintenu la porte ouverte à l’adoption de nouvelles mesures en réaffirmant qu’elle était déterminée à utiliser tous les outils à sa disposition pour soutenir l’économie, explique Sophie Casanova, économiste, directeur adjoint de la recherche économique du groupe Edmond de Rothschild.

Si Jerome Powell, lors de sa conférence de presse, n’a pas évoqué, cette fois, les nouveaux instruments que pourrait déployer la Banque centrale, les discours récents de Lael Brainard et John Williams ont confirmé que le contrôle de la courbe des taux demeurait une option supplémentaire envisagée par la Fed.

Cette mesure, visant à établir un niveau maximal pour les rendements obligataires de court et/ou de moyen terme, n’est certes pas une stratégie nouvelle. Cet outil non conventionnel de politique monétaire avait été mis en place aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale: la Fed avait alors établi des niveaux cibles, tant pour les rendements de court terme que ceux de long terme, dans le but de stabiliser à un bas niveau le coût de financement de l’État.

Plus récemment, la Banque centrale du Japon a adopté en 2016 une cible pour le rendement souverain à 10 ans proche de 0.0%, afin d’être en mesure de poursuivre durablement sa politique de taux directeur négatif sans générer d’inversion marquée de la courbe de taux.

Enfin, depuis l’émergence de la crise sanitaire en 2020, la Banque centrale d’Australie a quant à elle adopté un objectif pour le rendement gouvernemental à trois ans de 0.25%, pour renforcer sa «forward guidance», c’est-à-dire son engagement à maintenir son taux directeur durablement bas.

Besoins de financement obligataire en hausse

On pourrait cependant s’interroger sur l’utilité de l’adoption prochaine d’une telle mesure aux États-Unis, compte tenu des actions déjà entreprises par la Fed et de l’extrême faiblesse des taux d’intérêt et de leur volatilité qui en résulte.

À titre d’exemple, au 30 juillet, les rendements gouvernementaux Treasuries 2 ans, 5 ans et 10 ans étaient pour la plupart à leurs plus bas niveaux historiques, à respectivement 0.12%, 0.23% et 0.55%, tandis que l’indice MOVE de leur volatilité, à 42, atteignait également le plus bas niveau de son historique qui remonte à 1988.

Cette inertie et faiblesse des taux d’intérêt sont bien sûr d’autant plus frappantes que, dans le même temps, suite aux mesures budgétaires mises en œuvre, le besoin de financement obligataire pour l’année 2020 a crû, jusqu’à présent, de près de 3.300 milliards de dollars pour atteindre 4.483 milliards de dollars, selon les estimations du Trésor américain.

Toutefois, une atonie durable des taux d’intérêt américain n’est pas acquise. Alors que le PIB s’est contracté de -9.5% en glissement annuel au deuxième trimestre, après n’avoir progressé que de 0.3% au premier trimestre, la reprise de l’activité qui pourrait prévaloir dans les prochains mois pourrait amener les investisseurs à anticiper que, même si la politique monétaire devait rester accommodante encore de nombreux mois, elle pourrait être à moyen terme normalisée.

Ainsi, la partie «moyen à long terme» de la courbe de taux Treasuries pourrait redevenir plus volatile dans un contexte qui devrait, malgré tout, demeurer incertain.

Cible de rendement

De fait, la mise en œuvre d’une cible pour les rendements obligataires de trois à cinq ans pourrait avoir des atouts non négligeables, selon notre analyse.

En premier lieu, elle permettrait de renforcer la ‘forward guidance’ de la Fed quand l’effet de cette dernière porte généralement sur un horizon de court terme de deux à trois ans.

La réduction de la volatilité des taux d’intérêt sur un horizon proche de cinq ans qui en résulterait réduirait l’incertitude quant aux futures conditions de financement pour les ménages et les entreprises, ce qui serait favorable à un renforcement de la demande.

En outre, et surtout, l’adoption d’un contrôle de la courbe des taux pourrait permettre à la Fed de réduire progressivement le rythme d’expansion de la taille de son bilan sans générer de forte volatilité sur les taux de long terme.

En effet, l’adoption d’une cible de rendement, si elle est jugée crédible par les investisseurs, ne nécessite que des interventions marginales de la Banque centrale, comme en témoignent notamment la stabilité des rendements obligataires ciblés et la réduction concomitante des achats de titres au Japon depuis 2016, ou bien encore en Australie au cours des derniers mois.

Contrôle à prévoir

L’instauration d’un contrôle de la courbe des taux pourrait ainsi permettre à la Fed de ralentir progressivement ses achats de titres Treasuries, qui s’élèvent à ce jour à, au moins, 80 milliards de dollars par mois, sans donner l’impression d’un moindre degré d’accommodation de la politique monétaire.

L’adoption de cette mesure pourrait ainsi limiter le rythme d’augmentation du bilan de la Fed, qui s’élève déjà à près de 70% depuis la fin 2019, tout en évitant une volatilité inopportune des rendements obligataires telle que, à titre d’exemple, celle advenue en 2013 lorsque Ben Bernanke avait suggéré une réduction à venir des achats de titres de la Banque centrale.

Ce moindre gonflement de la taille de son bilan permettrait à la Fed de renforcer ses marges de manœuvre pour pouvoir, si nécessaire, continuer d’intervenir durablement sur les marchés d’actifs privés via des achats d’obligations et/ou de crédits d’entreprises.

Ainsi, même s’il n’y a, bien sûr, pas d’urgence pour la Réserve fédérale à adopter une politique de contrôle des taux d’intérêt compte tenu de la faiblesse actuelle des rendements obligataires, nous continuons d’anticiper qu’une telle mesure pourrait être mise en place d’ici fin 2020.

Elle permettrait à la Banque centrale américaine de renforcer ses marges de manœuvre dans un environnement économique et sanitaire encore incertain tout en contenant durablement la volatilité des taux d’intérêt.