Alain Hondequin, Directeur, BRP Bizzozero & Partners Luxembourg. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Alain Hondequin, Directeur, BRP Bizzozero & Partners Luxembourg. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

La banque privée est une fois de plus en transition, alors que le métier était déjà en transformation structurelle ces dernières années en raison de l’inflation réglementaire (entraînant une nette augmentation des coûts humains et matériels, notamment de conformité), ainsi que de la pression sur les marges (avec la transparence accrue sur les revenus et les taux d’intérêt bas, voire négatifs).

Il y aura cependant clairement un avant et après (ou BC «before coronavirus» et AD «after domestication», comme s’amusait à le dire The Economist), même si nous sommes pour le moment encore entre les deux et que les effets se feront sentir pendant de — nombreux mois encore.

Confrontées à une situation jusqu’alors inconnue, les banques privées – mais pas seulement – ont dû, de manière quasi immédiate, prendre des mesures urgentes de gestion de crise, notamment en:

- assurant la continuité de leur fonctionnement tout en étant soucieuses de la santé de leurs collaborateurs, par le déploiement massif, à très court terme, du travail à distance à travers tous les domaines, et par l’octroi d’accès sécurisés aux systèmes et services en ligne (avec les contraintes matérielles qui en découlent);

- intensifiant les interactions avec la clientèle par le biais de tous les canaux digitaux de communication possibles, et ce dans un contexte de turbulences des marchés: exécution d’ordres, rééquilibrage des portefeuilles, appels de marge, besoins en financement;

- révisant, à brève échéance, un nombre important de processus, temporairement inadaptés à cette nouvelle donne: gestion des risques (surtout les business recovery and continuity plans), documentation à distance des contrats et des ordres, acquisition de nouveaux clients (video onboarding, remote KYC, e-signatures), etc.

Ainsi, en l’espace d’un peu plus de deux mois, la banque privée a dû gérer de manière plus aiguë et extrême ce fameux paradoxe qui consiste à pouvoir, de manière efficace et sécurisée, concilier la proximité avec le client tout en gardant (forcément) ses distances. Mais une vidéoconférence, aussi bien organisée et efficace soit-elle, remplacera-t-elle la spontanéité ou l’intuitu personae d’un entretien en personne, ou encore le plaisir du partage d’un bon repas ou un événement culturel ou sportif? Ce paradoxe n’a cependant rien de fondamentalement nouveau pour le banquier privé au Luxembourg puisque l’essentiel de ses activités se fait avec des clients non résidents.

Les banquiers privés seraient pourtant bien avisés de mettre à profit cette période exceptionnellement propice au changement pour:

– intégrer, tant dans les processus internes que dans l’offre de produits et services, le changement de comportement des clients plus disposés qu’auparavant à adopter des modes d’interaction digitaux, bien que toujours demandeurs de conseils personnalisés adaptés;

faire de la digitalisation non seulement un accélérateur, mais également un pilier de la stratégie de la banque, visant le développement ou la mise à niveau des infrastructures informatiques et l’intégration d’outils digitaux (notamment via API);

– optimiser et accélérer les processus opérationnels (organisation et gestion des risques) et revoir les modèles d’affaires existants, voire développer de nouveaux modèles sur base d’une gestion plus poussée et dynamique des données – internes comme externes –, notamment en exploitant au mieux les possibilités offertes par les algorithmes et l’intelligence artificielle;

– acquérir de nouveaux clients en voyageant peut-être moins, mais en étant surtout mieux préparés, en maîtrisant ex ante toutes les contraintes réglementaires ou fiscales, tant celles de la banque que des clients (entre autres par le biais d’outils intégrés);

– investir dans leurs ressources humaines en formant les collaborateurs aux outils — digitaux et aux plates-formes d’e-learning, ainsi qu’en acquérant les talents nécessaires au développement de la banque.

Pour être concurrentiels dans ce «nouveau monde», les banquiers privés devront trouver le juste équilibre entre la value proposition de services personnalisés délivrés en personne et l’impérative nécessité de digitaliser et automatiser tous les processus.

Encore faudra-t-il que ces banques disposent des capacités (financières et humaines) pour investir de manière sélective et accélérée dans les développements technologiques, alors que toutes ne sont pas sur un pied d’égalité, comme l’ont montré de récentes études ABBL/EY sur le coût de la conformité. Le fait que la hausse des revenus de trading après rééquilibrage des portefeuilles ne compensera probablement pas l’érosion ou le tassement des revenus liés à la taille des actifs ne viendra pas arranger les choses. Les risques préexistants de consolidation dans le secteur ne sont donc pas à écarter.

Personnellement, je persiste à croire que des systèmes informatiques ou des services digitaux, aussi performants ou «personnalisés» soient-ils, ne remplaceront jamais — l’humain. Ils resteront à son service.

Sortiront ainsi gagnantes de cette crise les banques privées qui auront su intégrer de manière équilibrée l’excellence dans — l’expérience client, tant par voie digitale qu’humaine, car le conseil et la relation humaine resteront toujours au centre des métiers de la gestion patrimoniale.