L’Okaju (Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher) Charel Schmit (ici au premier plan), a présenté son rapport annuel ce mardi 15 novembre devant la Chambre des députés. (Photo: Chambre des députés)

L’Okaju (Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher) Charel Schmit (ici au premier plan), a présenté son rapport annuel ce mardi 15 novembre devant la Chambre des députés. (Photo: Chambre des députés)

Charel Schmit, médiateur de l’enfance et de la jeunesse  (Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher) a présenté ce mardi 15 novembre son rapport annuel, avec pour thème principal la situation et l’accueil des enfants issus de l’exil au Luxembourg, dans des structures pas toujours adaptées. 

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Luxembourg a accueilli environ 5.000 personnes, dont de nombreux enfants. Si leur prise a charge s’est mise en place rapidement, ce n’est pas le cas de tous les demandeurs de protection internationale encore mineurs. Dans le cadre de son rapport annuel «Une enfance mise en suspens», l’Okaju (Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher) Charel Schmit, dresse le bilan de l’accueil et de la situation des enfants issus de l’exil dans le pays.

Pourquoi avoir choisi ce thème?

Charel Schmit. – «Ce choix est motivé par l’urgence et le manque de visibilité que les enfants et les jeunes ont pour le moment dans les structures de primo-accueil ou les structures temporaires provisoires. Depuis des années, un tiers de la population des structures d’hébergement sont des mineurs pour lesquels le quotidien c’est la vie dans des structures collectives, avec des douches et des toilettes collectives. Donc leur vie se différencie des autres enfants au Luxembourg.

La guerre en Ukraine et l’arrivée des réfugiés vous ont également poussé à choisir ce thème?

«Oui, il faut dire qu’avec l’accueil des réfugiés ukrainiens, on a également innové en matière de politique d’asile, d’accueil, et de gestion. Il faut donc se demander quelles sont les bonnes pratiques que l’on a mises en place ces derniers mois pour les appliquer dans la gestion des autres populations qu’on accueille.

Vous sous-entendez donc qu’il y a une différence de traitement entre les réfugiés ukrainiens et les réfugiés d’autres pays comme l’Afghanistan par exemple?

«Oui, les demandeurs et bénéficiaires de la protection internationale d’Ukraine sont accueillis à bras ouverts, et à juste titre d’ailleurs. Mais avec le statut de protection temporaire, ils ont plus de droits que les demandeurs d’autres zones de conflit. Un jeune homme qui fuit Kaboul pour échapper aux bombes n’est pas traité de la même manière que les quelque 5.000 Ukrainiens arrivés au Luxembourg.

La Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies ne fait, elle, pas de différence, elle ne connaît pas de distinction entre différents types d’enfants selon leur statut juridique. Pour nous, c'est important de veiller à ce que dans l’accueil direct des enfants et des jeunes, il n’y ait pas de discrimination, ni de traitement inégal.

Nous n’avons pas de chiffres arrêtés, mais nous avons des dossiers individuels que l’on accueille chez nous, que l’on accompagne, de personnes qui vivent dans la clandestinité avec leurs enfants.
Charel Schmit

Charel SchmitMédiateur de l’enfance et de la jeunesseOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher

1.134 mineurs ont déposé une demande de protection internationale au Luxembourg entre le 1er janvier 2020 et le 31 août 2022. 235 d’entre eux ont obtenu le statut de réfugié, et 157 ont bénéficié de la protection subsidiaire. Qu’advient-il des 742 mineurs restants?

«Ils sont encore dans la procédure pour la plupart. Les mineurs qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié peuvent recevoir le statut conféré par la protection subsidiaire. S’ils n’y parviennent pas, en théorie, ils devraient être renvoyés chez eux, avec la notification d’un ordre de sortie du territoire. Dans beaucoup de cas, cet ordre ne peut pas être exécuté faute de moyens, et il y a des situations difficiles pour les enfants. Il y a des familles qui se retrouvent dans la clandestinité.

Combien sont-elles?

«Nous n’avons pas de chiffres arrêtés, mais nous avons des dossiers individuels. Des personnes que l’on accueille chez nous, que l’on accompagne, qui vivent dans la clandestinité avec leurs enfants.

Quel est leur avenir?

«Dans le rapport, nous sommes justement demandeurs de l’instauration d’une commission pour traiter les cas exceptionnels, une commission qui peut étudier les situations très complexes, notamment celles où des enfants ou des jeunes sont présents. Pour donner une priorité à une réponse humanitaire et humaniste au lieu d’appliquer stricto sensu les règlements. Pour l’instant, ce pouvoir discrétionnaire appartient toujours au ministre compétent – (LSAP), ministre des Affaires étrangères, ndlr – qui l’applique de manière régulière, et c’est bien aussi.

Pour réaliser votre rapport, vous vous êtes rendu dans des structures d’hébergement?

«Oui, durant les mois de juillet et d’août, nous avons visité 13 structures sur les 55 que compte le pays, soit 23%, qui sont gérées par l’Office national d’accueil. Il faut savoir qu’aujourd’hui, elles affichent un taux d’occupation moyen de 94,4%, avec des conditions d’accueil hétérogènes – structures de différentes tailles, de 5 à 350 lits, anciens bâtiments reconvertis, nouvelles constructions, tentes, ou encore hôtels. Dans une partie de ces structures, ce sont Caritas et la Croix-Rouge qui assurent l’encadrement social des personnes.

Les professionnels du terrain font tout leur possible pour gérer l’impossible donc nous avons vu un engagement énorme des équipes pour organiser cet accueil.
Charel Schmit

Charel SchmitMédiateur de l’enfance et de la jeunesseOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher

Combien étiez-vous lors des visites?

«Nous étions trois de l’Okaju, dont moi, car je dois toujours être présent dans le cadre de mes attributions dans la loi, et également un traducteur pour parler avec les familles et les enfants.

Vous prévenez à l’avance de votre visite?

«Pas du tout, nous venons à l’improviste, on avait un laissez-passer pour toutes les structures.

Quelles conclusions en faites-vous?

«Les professionnels du terrain font tout leur possible pour gérer l’impossible donc nous avons vu un engagement énorme des équipes pour organiser cet accueil. Le nombre de demandeurs d’asile est également en nette augmentation depuis la fin de la pandémie, de sorte que les capacités d’hébergement sont presque épuisées et que le personnel d’encadrement travaille à la limite de ses capacités depuis des mois. Je crois qu’il faudra revoir la politique d’asile en elle-même, et essayer d’apprendre du travail des dernières années, pour donner plus de liberté, de subsidiarité aux acteurs du terrain pour prendre en charge les populations à accueillir. Ce qui est également important, c’est que ce domaine n’est pas régi par les règlementations qui comptent pour les autres structures sociales, cela est dû à l’urgence, mais c’est un peu un effet boomerang parce qu’on a des infrastructures qui ne sont pas très bien adaptées aux familles ou aux mineurs non accompagnés.

À Mersch notamment, la structure d’hébergement ne semble pas du tout adaptée à des enfants…

«En effet, elle ressemble un peu à une prison avec un grand couloir en bas, des passerelles en fer à l’étage. Au début c’était temporaire mais comme souvent le temporaire dure, il faudrait donc mettre en place des structures adaptées et permanentes. Il s’agit en fait d’anciens ateliers mécaniques qui ont été transformés. Les sanitaires sont en dehors des bâtiments, dans un hangar dans la cour. 16 “chambres” cellules fermées sont présentes par étage, sans fenêtre ni lumière du jour, et sont utilisées comme dortoirs pour quatre personnes, sans clés pour fermer. Un des soucis est que les monoparentaux sans titres de séjour y restent très longtemps.

Que manque-t-il pour que ces structures soient adaptées aux mineurs?

«Les cabines de douche par exemple, ne peuvent généralement pas être verrouillées, il y a donc un risque pour l’intimité et la sécurité. De nombreuses installations sanitaires sont également inadaptées aux familles avec enfants. Dans l’ensemble, l’étroitesse permanente, la tension, le bruit et le manque d’espace de retrait sont des déclencheurs de disputes et de conflits, qui peuvent être stressants pour les enfants. Il faudrait donc des structures d’hébergement adaptées aux familles et aux enfants.

De manière générale l’accès à l’éducation est quelque chose qui s’organise assez rapidement. C’est important, c’est un droit des enfants qui est garanti.
Charel Schmit

Charel SchmitOkajuOmbudsman fir Kanner a Jugendlecher

La crise du logement rejoint la crise des migrants?

«Oui, c’est pour ça qu’il faut beaucoup plus mobiliser les différents acteurs, et que chaque commune contribue à une solidarité nationale pour mobiliser du logement social, et qu’une partie de ce logement social soit attribuée aux bénéficiaires de protection internationale. À la Chambre des députés ce matin (lire mardi, ndlr), j’ai dit qu’il était inévitable d’introduire des quotas de répartition pour avoir une répartition équitable dans le pays.

Le Luxembourg fait tout de même beaucoup par rapport à sa taille?

«Oui, je crois qu’il y a beaucoup de ressources humaines et financières qui sont mobilisées, il faut faire une réflexion par rapport à l’approche que l’on choisit, profiter du temps où les personnes se trouvent dans les procédures et attendent leur décision, pour maintenir leur autonomie, favoriser leur indépendance, les responsabiliser dans leur vie quotidienne, afin qu’ils puissent se préparer à s’intégrer dans la société luxembourgeoise. Il faut un changement de paradigme, je compare cela avec la politique que l’on a faite en matière de chômage il y a une trentaine d’années, lors de laquelle on a plutôt géré l’inactivité des gens au lieu de leur donner les possibilités d’être acteurs de leur changement.

Au Luxembourg, un des premiers objectifs à l’arrivée des réfugiés sur le territoire est la scolarisation ou l’entrée en crèche, une bonne chose selon vous?

«Oui, tous les enfants vont dans des écoles et c’est quelque chose qui fonctionne bien. Parfois nous intervenons auprès des communes lorsqu’il y a des difficultés parce que les gens n’ont pas encore tous les papiers, mais de manière générale l’accès à l’éducation est quelque chose qui s’organise assez rapidement. C’est important, c’est un droit des enfants qui est garanti. On l’a vu notamment avec l’arrivée des réfugiés ukrainiens. Ça, c'est une bonne pratique et ça montre la réactivité de ce système éducatif.»