«C’était le sujet de ma thèse en doctorat en 2001!» Sean Kim a attendu le tout dernier moment de sa première interview pour dire combien l’ingénieur coréen connaît bien le produit que Circuit Foil s’apprête à lancer avant l’été. Un produit au nom de code en trois lettres: DTH, pour «doublethin», une feuille de cuivre de deux à trois millièmes de millimètre d’épaisseur que le secteur électronique s’arrachera très vite.
Selon la stratégie du nouveau «division leader» que Solus Advanced Materials a nommé au Luxembourg, le produit devrait ramener au moins jusqu’à 17,5 millions d’euros de revenus supplémentaires en 2027. Et faire du site de production de Wiltz un site presque unique au monde.
Reprenons par le début M. Kim. Vous n’êtes pas vraiment un inconnu sur le site de Wiltz?
Sean Kim. – «Je travaille dans l’industrie du cuivre depuis près de 20 ans, mais je suis arrivé à Circuit Foil Luxembourg (CFL) en 2014, au moment où le groupe Dusan a racheté l’usine. Mon rôle était de m’occuper des développements technologiques, de la production et de la qualité.
À ce moment-là, CFL n’était pas dans une très bonne situation en termes de finances ni de cycle de vente. Ma première mission a vraiment été de repenser l’entreprise pour préparer une nouvelle ère de production et de produits. Le rendement de la production était en dessous de 60%. Aujourd’hui, nous l’avons stabilisé à 75%. 50% de nos produits actuels ont été développés à cette époque-là. Ce n’est pas moi qui ai fait tout ce travail et la collaboration avec toutes nos équipes a été très positive.»
Vous êtes de retour depuis fin décembre dernier, après deux ans passés à créer l’usine du groupe en Hongrie. Comment analyser ce retour là où vous étiez directeur opérationnel?
«Nous appartenons à un groupe, Soluce Advanced Materials, dont la partie européenne et bientôt aussi canadienne est dirigée par une entité luxembourgeoise, Volta Energy Solutions. De directeur opérationnel à mon premier passage, je suis devenu division leader, qui comprend la direction du site luxembourgeois.
Vous savez, j’ai un doctorat en science et génie des matériaux de l’Institut supérieur des sciences et technologies de Corée. J’ai de la chance de rester dans le même secteur et d’avoir pu me spécialiser. Chaque site a ses qualités et ses défauts. En Hongrie, on produit en grandes quantités. Le plus important était la productivité. Au Luxembourg, l’importance est la production d’une large de gamme de produits. Il y a plus de technologie ici. C’est une chance pour moi parce que c’est un moment très important pour CFL. Il y a des produits-phares qui vont entrer dans une phase de production de masse avant le lancement officiel.
La Hongrie pour faire baisser les coûts
Vous êtes le leader des deux sites de production, mais qu’ont-ils de différent et de semblable?
«Nous produisons aussi des feuilles de cuivre pour les batteries à Wiltz, mais pas en grandes quantités. La difficulté était de répondre à la demande des clients en termes de prix. C’est pour cela que le groupe a décidé d’ouvrir une usine en Hongrie pour pouvoir proposer un prix plus compétitif pour les commandes en grandes quantités.
Ici, nous proposons vraiment des produits à haute valeur ajoutée, des feuilles de cuivre très fines. En Hongrie, j’étais managing director mais je suis revenu ici en division leader. Il n’y a pas de changement important en termes de responsabilité ni de rôle. C’est la structure du groupe Solus. Entre le siège en Corée et nous, il y a une autre entité, à Luxembourg, et c’est là que nous réfléchissons beaucoup aux stratégies sur les différentes verticales.
Nous bénéficions de beaucoup d’aides de l’État pour la R&D, mais par rapport à ce que j’ai pu voir quand j’ai travaillé en Corée, l’aide du gouvernement coréen est beaucoup plus élevée.»
À la Hongrie le volume, au Luxembourg la valeur ajoutée, c’est cela?
«Entre le Luxembourg et la Hongrie, on partage les technologies importantes. Il y a beaucoup d’échanges. Il est vrai que la technologie concernant les feuilles de cuivre pour les batteries a été transférée en Hongrie pour qu’ils puissent les produire en grandes quantités. Par contre, en Hongrie, ils n’ont pas d’équipements adaptés pour ce que nous produisons ici. Pour produire les feuilles de cuivre qui iront sur les circuits imprimés, il y a un produit chimique qui est essentiel, qui nécessite un équipement spécifique et des autorisations spécifiques. En Hongrie, il n’y a pas ce procédé.
Ce qui rend les deux sites assez différents, quand même. Aux yeux du groupe, il y a une distinction assez nette entre le Luxembourg et la Hongrie. La Hongrie a vocation à produire les produits qu’on ne pourrait pas produire au Luxembourg pour des raisons de coûts. Ce ne serait pas assez rentable.
Même s’il n’y a que deux ans entre vos deux périodes au Luxembourg, est-ce que vous constatez des différences?
«L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué une inflation généralisée et cela impacte l’indexation, trois à quatre fois par an. La plupart de nos concurrents sont situés en Asie, où la main d’œuvre est moins chère et où les problèmes de recrutement sont moins grands. Nous ne pouvons pas développer des produits qui ont un bon prix. L’électricité coûte très très cher et la compétition avec nos concurrents asiatiques devient très compliquée. C’est pour cela que nous nous concentrons, à Luxembourg, sur le développement de technologies de très haut niveau.
Le développement de produits ne peut pas s’arrêter au niveau de la recherche et du développement (R&D), nous devons pouvoir les mettre en production. Nous bénéficions de beaucoup d’aides de l’État pour la R&D, mais par rapport à ce que j’ai pu voir quand j’ai travaillé en Corée, l’aide du gouvernement coréen est beaucoup plus élevée. Entre 1991 et 2013, où j’ai dirigé la R&D, c’est ce que je retiens. Au Luxembourg, il y a des aides très précieuses, mais elles pourraient être renforcées.
Qu’implique le fait que la concurrence est de plus en plus féroce en Asie?
«L’an dernier, les chiffres d’affaires ont baissé, mais cette difficulté était à la fois liée à la guerre en Ukraine, au prix de l’électricité et à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine [les revenus sont passés de 149,6 millions d’euros en 2021 à 132 millions d’euros en 2022, avec des prévisions qui se situent à 155,6 millions pour 2023, ndlr.]. Notre site de production est en Europe, mais nos clients sont en Asie. C’est pour cette raison que nous avons renforcé notre équipe de vente en Asie.
Un leader mondial sous pression
Mais la véritable plus-value reste dans les produits à haute valeur ajoutée. Pourriez-vous détailler un peu pour ceux qui pensent qu’une feuille de cuivre est une feuille de cuivre?
«Nous avons notamment deux gammes de produits, les “loss” et “high frequency” sont des produits très importants, notamment utilisés dans les centres de données. Par exemple, Amazon pour ses datacenters ou Cisco sont deux entreprises qui utilisent beaucoup nos produits.
Nous étions très bien positionnés, mais la concurrence asiatique arrive de plus en plus, il y a de la pression pour baisser les prix. Nous allons essayer de conserver cette position de leader. Il y a trois sociétés principales en compétition dans ce secteur. Ces produits sont utiles pour le cloud computing, pour les capteurs automobiles et pour les antennes pour la 5G et pour la 6G. Les feuilles de cuivre sont aussi utilisées pour les satellites ou pour protéger les avions de la foudre.
Et vous, vous attendez à mettre sur le marché votre tout nouveau produit…
«L’un de nos produits-phares, en ce moment, est la feuille de cuivre utilisée pour fabriquer des semi-conducteurs. Nous nous préparons à jouer un rôle important dans le cadre européen, le Chip Act. Nos produits sont utilisés dans un procédé très spécifique. Nous nous concentrons sur la finesse de nos feuilles de cuivre, indispensable à une bonne interconnexion. Nous finissons une étape de qualification – l’approbation de la part du client – auprès d’un des leaders mondiaux de semi-conducteurs.
Actuellement, une société japonaise détient quasiment le monopole de cette feuille de cuivre très très fine, entre deux et trois microns [deux à trois millièmes de millimètre, ndlr.]. Nous avons consacré presque dix ans pour développer un produit concurrent et nous commençons à avoir un consensus de nos clients autour de ce produit. Notre qualification devrait être terminée fin juin.
C’est la longue histoire de Circuit Foil Luxembourg qui permet de produire ce genre de produit. Et c’est pourquoi nous sommes la seule qui pourrait venir concurrencer la société japonaise qui monopolise ce marché.»
Qu’a-t-il comme caractéristique si puissante, ce nouveau produit?
«Les propriétés du DTH, comme “double thin”, sont très spécifiques. Pour l’instant, il n’y aura que deux sociétés qui peuvent sortir des produits qui pourront être commercialisés. La rentabilité est quatre à cinq fois plus élevée que celle des produits standards. Ce produit-phare pourrait garantir l’avenir de Circuit Foil Luxembourg. Parce qu’il sera développé via un modified semi additive process (MSAP), qui permet un degré élevé d’automatisation, des rendements élevés et une fabrication allégée.
Plus la feuille de cuivre est fine, plus les circuits sont intenses sur une surface réduite. Intense, ça veut dire que la distance entre les lignes est vraiment très faible. Aujourd’hui, on produit de plus en plus d’appareils plus fins et plus petits. Ils ont de plus en plus de fonctionnalités. Pour produire ces appareils, il est nécessaire de passer par tous ces procédés. À moyen terme, notre stratégie est d’utiliser ce produit. C’est très prometteur pour nous.
Le procédé sous-entend davantage de robots pour avoir une qualité constante du produit?
«Il faut avoir le très bon équipement pour le faire. Nous concevons nous-mêmes la plupart de nos équipements. C’est du 50-50. Il faut absolument avoir des managers et des opérateurs expérimentés pour veiller à ce que ces équipements fonctionnent bien! Si cela n’est pas assez bien surveillé, les défauts arrivent très vite dans ces produits. L’intervention humaine est très importante.
Mais dans toutes les industries, la question est la même: comment amener de l’automatisation dans la production. L’objectif est de réduire les erreurs humaines. Une partie de l’automatisation devrait apporter cela. Typiquement, s’il y a très peu d’entreprises qui peuvent se lancer dans des produits comme le DTH, c’est justement parce qu’on ne peut pas produire cela uniquement avec des robots ou des machines. Les propriétés très spécifiques nécessitent une intervention humaine. C’est la longue histoire de Circuit Foil Luxembourg qui permet de produire ce genre de produit. Et c’est pourquoi nous sommes la seule qui pourrait venir concurrencer la société japonaise qui monopolise ce marché.»