Ce vendredi s'est ouvert à Bruxelles, par la constitution du jury populaire, une session de Cour d’assises exceptionnelle. Exceptionnelle parce qu’elle doit s’attarder sur un «délit de presse», que l’histoire judiciaire belge n’a connu qu’une fois depuis 1945. Jean Nicolas, le Luxembourgeois bien connu pour ses écrits et éditions, est le principal accusé. Et entre donc dans l’histoire pour en avoir raconté beaucoup.
L’homme de l’«Investigateur» et de «Lëtzebuerg Privat», entre autres publications, sait ce que signifient les déboires judiciaires – au Luxembourg mais aussi en Belgique déjà, dont il s’abstint tout un temps de franchir la frontière sous peine de retrouver les geôles du royaume qu’il a brièvement connues dans les années 90.
Pourquoi les Assises aujourd’hui? Il faut remonter à octobre 2001 et à la sortie d’un livre, édité à l’époque par Flammarion: «Dossier pédophilie. Le scandale de l’affaire Dutroux». Jean Nicolas en est l’in(ve)stigateur, mais partage l’affiche avec un co-auteur, Frédéric Lavachery, un citoyen français qui se dit le fils biologique du vulcanologue Haroun Tazieff.
Période très trouble
Le bouquin surfait sur la vague d’horreur, de révulsion populaire et de remise en cause de l’appareil judiciaire de l'époque en Belgique. Jean Nicolas, durant cette période très trouble de l’histoire contemporaine belge (l’affaire Dutroux a éclaté en 1996, le procès s’est tenu à Arlon au printemps 2004) de la justice et du journalisme, où tout était «grand complot» et dénonciation du voisin, a abondamment puisé dans cette veine, explorant dossiers d’enquêtes lancées parfois tous azimuts et coulisses pas très propres, enchaînant «révélations» et «divulgations» dans quelques médias du royaume notamment. Puis quelques livres saupoudrant témoignages douteux, documents exhumés et accusations contre un tas de gens, de préférence connus et/ou bien placés dans la société.
Dans le livre de 2001, les auteurs jetaient notamment en pâture Paul Vanden Boeynants, un ex-Premier ministre emblématique belge (décédé en janvier 2001, quelques mois avant la sortie du bouquin), accusé d'avoir participé à de sombres et occultes «ballets roses» pour nantis…
Ce sont les héritiers de Paul Vanden Boeynants qui ont enclenché la procédure judiciaire.
Affaire hors normes
L’affaire, dont a été saisie la Cour d’assises depuis un renvoi ordonné par la Chambre des mises en accusation de Bruxelles, à la fin janvier 2011 seulement, est donc exceptionnelle. Dans le droit belge, un délit de presse, qui se commet par voie de diffusion publique écrite ou parlée (radio, télévision, journaux, livres…), est passible, depuis la Constitution de 1831, de la Cour d’assises. Le législateur en avait décidé ainsi, souhaitant protéger les journalistes et les écrivains en leur permettant de se défendre devant un jury populaire. Mais depuis 1945, il n'y en a eu qu'un seul, mené contre des membres d’un groupuscule d’extrême-droite accusés d’avoir publié des écrits racistes. «Et encore, on ne trouve presque rien sur cette affaire, à laquelle il est donc difficile de se référer», souligne Me Antoine Leroy, un des avocats bruxellois de Jean Nicolas, joint par paperJam.lu.
Dans la pratique, ces écrits délictueux arrivent rarement devant le juge de fond. Et les textes calomnieux ou injurieux font l’objet de plaintes au civil, où tout se solde en général.
L’affaire est complexe aussi. Il y a deux co-auteurs et aucun n’est installé en Belgique, ce qui rend les poursuites et les responsabilités en cascade plus compliquées. Au passage, on peut noter que Jean Nicolas s’est plus d’une fois appuyé sur un second personnage, un co-auteur comme ici ou un éditeur responsable (jadis, un patron de bar à champagnes belge a été propulsé éditeur responsable pour un des «brûlots» de Nicolas publié à compte d’auteur). Dans le cas de «Dossier pédophilie» et surtout des passages incriminés par la famille Vanden Boeynants, la défense de Jean Nicolas fait valoir que le Luxembourgeois n’en est précisément pas l’auteur. «C'est ce que M. Nicolas dit depuis le début. Mais il y a au moins une dizaine de questions qui se posent. C'est une affaire hors normes», résume l'avocat belge.
L'éditeur, Flammarion, n'est pas à la cause quant à lui.
Prescription?
Et puis, c’est une affaire qui, notamment pour toutes ces raisons de procédures et de responsabilités à déterminer, a pris beaucoup de temps – 13 ans – pour arriver devant la Cour d'assises. Antoine Leroy dit, en gros, que ce procès n'a pas de raison d'être: «Mon point de vue rejoint celui du Parquet général qui a fixé la date de la prescription à juin 2012», dit-il. «J'estime que les faits sont prescrits.» En deuxième lame, la notion de «délai raisonnable» du traitement judiciaire par rapport aux faits pourrait être invoquée.
Les parties civiles estiment, elles, qu’il y a débat sur la question. Au moment du renvoi par la Chambre des mises en accusation, les faits n'étaient pas prescrits. Dans tous les cas, Me Véronique Laurent, un des avocats de la famille Vanden Boeynants, estime que le procès doit avoir lieu: «Ce qui est important, c'est de laver l'honneur de M. Vanden Boeynants, de dire que les faits sont établis et qu’après, on discute d'une éventuelle peine et/ou d’une indemnisation au civil.»
Pas sûr que Jean Nicolas, malgré le côté historique de la chose, aille humer l’air de Bruxelles pour suivre le procès, qui démarrera mercredi avec les premiers débats fixés. Son avocat indique ne disposer d'aucun élément sur la présence ou non de son client.