«L’IA n’est pas vraiment une révolution. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large, celui d’une demande croissante pour plus de données, plus de technologie et des processus plus rapides. Elle s’intègre ainsi aux grandes tendances qui façonnent depuis toujours l’industrie quantique», déclare David Wright, responsable des investissements quantitatifs chez Pictet Asset Management, le 6 mai 2025. Dès le début des années 2010, précise-t-il, l’apprentissage automatique — un sous-ensemble de l’intelligence artificielle — fait partie des axes explorés par Pictet, au même titre que les données alternatives et le traitement du langage naturel. «L’un des atouts de la quantification, c’est sa capacité à réduire les risques de biais et de subjectivité. Une fois les processus codifiés, les décisions peuvent être prises très rapidement, avec rigueur», souligne-t-il.
David Wright explique que le fonds Quest AI de Pictet repose sur une approche d’investissement en actions mondiales pilotée par l’IA, structurée comme une «stratégie indicielle améliorée» évolutive. Conçue pour reproduire les caractéristiques de risque d’un indice tout en visant une surperformance active, cette approche allie discipline quantitative et ambition de rendement.
Depuis son lancement en mars 2024, le fonds Quest AI de Pictet dépasse le milliard de dollars d’actifs sous gestion. Selon le matériel de marketing de la société, il affiche une surperformance nette de frais de 3,21% en avril 2025 par rapport à son indice de référence, le MSCI World. Cette performance est obtenue tout en maintenant une faible tracking error — actuellement de 1%, pour un objectif maximal de 2%. L’objectif de surperformance est fixé à 1,5% par an, brute de frais, lesquels varient entre 0,90% et 1,60%, auxquels s’ajoutent des commissions de performance. David Wright précise que le fonds conserve «toujours les caractéristiques de risque de l’indice de référence», avec un portefeuille composé de 400 actions et des écarts limités par rapport aux pondérations de l’indice, qu’il s’agisse des pays, des secteurs ou des titres. «Les expositions au style — momentum, valeur, qualité — sont exactement les mêmes que celles de l’indice de référence», assure-t-il.
Dans le détail
«L’apprentissage automatique […] nous permet de faire des prévisions à court terme plus précises… pour la sélection des titres», affirme M. Wright. Selon lui, cette technologie permet à Pictet de traiter une masse considérable de données issues d’un grand nombre de sources, de signaux et de caractéristiques propres aux entreprises analysées. Elle offre également la capacité d’exploiter des données à plus haute fréquence pour déceler des relations complexes entre variables, comme «des interdépendances difficiles à identifier, même avec des modèles traditionnels», et de tester le modèle sur plusieurs décennies.
«L’apprentissage automatique […] nous permet de faire des prévisions à court terme plus précises […] pour la sélection des actions.
Le modèle de prévision boursière fondé sur l’IA fonctionne au quotidien. Il anticipe, à 20 jours (un mois), les rendements spécifiques des actions composant le vaste univers d’investissement de Pictet, soit quelque 1.600 sociétés. M. Wright précise que le modèle repose sur 300 caractéristiques d’entrée, dérivées de nombreuses sources : prévisions des analystes, données de marché (prix, volumes), positionnement des investisseurs (fonds communs de placement, ventes à découvert), effets de calendrier, etc. Le modèle se concentre davantage sur les dynamiques d’offre et de demande que sur les fondamentaux. «Qui détient une action? Qui l’achète? Qui la vend? Qui la vend à découvert? Comment cela évolue-t-il au fil des mois?»
Signe des temps, M. Wright souligne que le modèle intègre un élément ESG dans la stratégie. Il insiste sur le fait que l’objectif est de s’affranchir des moteurs de performance classiques, comme l’exposition sectorielle ou géographique, ou encore le style d’investissement (momentum, value), des dimensions déjà couvertes par des modèles factoriels. Le modèle est entraîné à partir de données remontant aux années 1980, la version en direct s’appuyant sur les douze dernières années, avec un réentraînement tous les trimestres.
La principale technique utilisée est le gradient boosting, un algorithme basé sur des milliers d’arbres de décision séquentiels, où chaque arbre apprend à corriger les erreurs des précédents. Le coût du réentraînement du modèle sur l’infrastructure cloud d’Amazon Web Services se situe entre 20.000 et 30.000 euros, selon M. Wright.
Une fois les prévisions établies — y compris les scores ESG — Pictet construit chaque semaine un portefeuille diversifié, en appliquant des contraintes strictes par rapport à l’indice de référence. «Nous pénalisons certains risques liés aux styles et à la rotation afin de ne pas trop négocier ni générer de frais excessifs», indique M. Wright. Le taux de rotation annuel se situe néanmoins entre 150% et 200%. Avant exécution, le portefeuille final est systématiquement examiné par les gérants afin de tenir compte de toute information de dernière minute.
Les humains ne sont pas si loin
M. Wright précise que le processus d’élaboration de la stratégie a duré environ quatre ans avant son lancement, avec un fort accent sur l’intervention humaine à chaque étape : du choix des techniques — comme la comparaison entre le gradient boosting et les réseaux neuronaux — à la sélection des données, jusqu’à la conception de la stratégie elle-même. Pictet privilégie les données financières traditionnelles, en raison de leur profondeur historique et de leur couverture étendue, qui offrent une base solide pour l’entraînement du modèle. Le gestionnaire d’actifs explore toutefois l’intégration de données alternatives, comme les recherches en ligne ou l’activité sur les réseaux sociaux.
Malgré une approche fondée sur la réduction de l’intervention humaine, celle-ci continue de jouer un rôle clé dans le déploiement de la stratégie. M. Wright souligne que ce sont les gestionnaires de portefeuille spécialisés — les mêmes qui ont conçu et formé le modèle — qui sont responsables de son exécution quotidienne. «Cela nous apporte un levier supplémentaire de gestion des risques, de surveillance et d’appropriation, indispensable lorsqu’on gère l’argent des clients», affirme-t-il.
Ces gestionnaires examinent les résultats du modèle en se demandant, par exemple, si la distribution des prévisions est cohérente avec ce qui est généralement attendu, ou si les variations les plus marquées restent dans un ordre de grandeur raisonnable. «Nous n’agissons sur la base du modèle que lorsque nous sommes à l’aise avec ses résultats… chaque intervention humaine vise à réduire le risque, pas à créer de l’alpha», insiste M. Wright.
«Avant même de construire le modèle, nous nous sommes concentrés sur la manière d’en ouvrir la boîte noire pour comprendre le positionnement qui en découle, et donc les facteurs à l’origine de la stratégie», explique-t-il. Il détaille la contribution des différents signaux à la surpondération ou à la sous-pondération d’une action. Grâce à des outils d’attribution de performance, Pictet peut identifier si une position provient, par exemple, d’un biais vendeur à long terme, d’un effet de momentum lié à une pression vendeuse à court terme, ou encore de changements fondamentaux au sein d’une entreprise. Pour M. Wright, seule une approche fondée sur l’apprentissage automatique permet de capter ces relations complexes entre les données.
Cet article a été rédigé initialement en anglais et traduit et édité en français.