Michel Wurth veut donner les manettes aux jeunes et souhaite une meilleure intégration de la région transfrontalière. (Photo: Mike Zenari/archives)

Michel Wurth veut donner les manettes aux jeunes et souhaite une meilleure intégration de la région transfrontalière. (Photo: Mike Zenari/archives)

Il y a dix ans, comme 23 autres décideurs, Michel Wurth, le président d’ArcelorMittal Luxembourg, nous avait fait part de sa vision de ce que pourrait être le Luxembourg en 2020. Après avoir relu ses propos, il revient sur sa vision de l’époque et lance de nouvelles balises pour 2030.

Comment évaluez-vous rétrospectivement votre analyse prospective d’il y a dix ans?

. – «L’intitulé de mon analyse, il y a 10 ans, était une citation de l’auteur du ‘Guépard’, Giuseppe Tomasi di Lampedusa: ‘If we want things to stay as they are, things will have to change’. Elle faisait allusion à la sacro-sainte devise des Luxembourgeois ‘Mir wëlle bleiwe wat mer sinn’ et était une ode au changement, alors que le Luxembourg était déjà au zénith du bien-être économique. Et j’y esquissais deux scénarios macroéconomiques dont l’optimiste tablait sur un PIB de 56 milliards (prix de 2010), un emploi de 485.000 personnes dont 390.000 frontaliers et résidents étrangers, et une population totale 560.000 habitants.

La réalité est un peu en dessous au niveau du PIB, et au-dessus quant à la population, ce qui illustre que la productivité n’a pas été au rendez-vous, mais que le vent du changement a bien soufflé: nouveau gouvernement, stratégie Rifkin et brassage d’idées nouvelles, modernisation des infrastructures, regain de l’esprit et de la création d’entreprises, réformes de l’école et consolidation de la langue luxembourgeoise dans une société de plus en plus internationale, accent sur la qualité de vie et les services sociaux… En d’autres termes, le modèle de développement économique et social luxembourgeois a marché encore une fois, et le pays a progressé plus vite que la (presque) totalité des autres membres de l’Union européenne.

Comment qualifieriez-vous la décennie qui vient de s’écouler au niveau du développement du pays?

«Si les résultats sont probants, il n’en reste pas moins que les tensions déjà perceptibles en 2010 sont devenues plutôt plus fortes et nous mettent devant le défi d’y prendre garde: l’intégration et la place des résidents étrangers et des frontaliers dans la société luxembourgeoise alors qu’ils représentent près de la moitié de la population et plus des trois quarts de ceux qui travaillent et créent de la richesse; le cloisonnement politique et écologique du territoire qui est la cause première de l’explosion du coût de l’immobilier et de celui du droit au logement alors qu’une des leçons de la crise du Covid est qu’il faudrait moins de frontaliers et plus de résidents; le déséquilibre croissant du calcul actuariel de notre système de pension qui s’analyse comme un terrible ‘trade-off’ en défaveur des jeunes générations; l’augmentation du nombre de pauvres, qui illustre davantage l’inefficience des transferts et politiques sociaux qu’une répartition devenue plus inégalitaire des revenus, elle-même conséquence de notre modèle économique où les non-Luxembourgeois créent l’essentiel de la richesse.

Si les résultats sont probants, il n’en reste pas moins que les tensions déjà perceptibles en 2010 sont devenues plutôt plus fortes.
Michel Wurth

Michel WurthPrésidentArcelorMittal Luxembourg

Si vous deviez à nouveau vous projeter dix ans dans le futur, comment verriez-vous le Luxembourg en 2030?

«Le titre de l’analyse serait pratiquement le même: ‘what needs to be done if we want things to stay as they are’. Ce serait un autre appel au changement: changement des mentalités vers une société plus respectueuse des ressources et contribuant à la réussite de l’accord de Paris sur le changement climatique, introduction d’un véritable statut unique sur le marché du travail et la fusion de celui du salarié avec le statut de la fonction publique, gouvernance politique tendant à remettre en cause la réalité actuelle où les retraités et les salariés du secteur public sont majoritaires dans le corps électoral, mise en place d’une politique financière de l’État évitant qu’à l’occasion de la prochaine pandémie ou crise économique, l’endettement public n’augmente à 40% du PIB.

Parmi les pistes à suivre, il convient de continuer à développer les secteurs porteurs de l’économie – en ce compris également l’industrie et l’innovation technologique – puisque notre pays aura toujours besoin d’une croissance forte, jeter les premiers jalons d’une profonde et originale intégration de la région transfrontalière dans le modèle de croissance du Luxembourg et, finalement, donner les manettes aux jeunes. 2030.lu leur appartient, et ce sont eux qui pourront proposer les modes d’emploi pour imaginer le modèle de croissance du futur et réduire les tensions perceptibles en 2020 afin qu’elles ne brisent l’élan qui faisait le succès du Luxembourg depuis la fin du 19e siècle avec l’éclosion de la sidérurgie suivie par celle de la place financière au sens large.»


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