Gerard Lopez, en 2010, espérait que le Luxembourg se mette en quête de nouveaux talents: «Des entrepreneurs, des gestion­naires de fonds qui créent de l’emploi, des chercheurs et autres cerveaux s’intégrant à notre économie.» (Photo: Maison Moderne/Archives)

Gerard Lopez, en 2010, espérait que le Luxembourg se mette en quête de nouveaux talents: «Des entrepreneurs, des gestion­naires de fonds qui créent de l’emploi, des chercheurs et autres cerveaux s’intégrant à notre économie.» (Photo: Maison Moderne/Archives)

Il y a 10 ans, 24 personnalités partageaient dans Paperjam leur vision de ce que serait le Luxembourg en 2020. En cette fin d’année, la rédaction a choisi d’en republier huit pour voir à travers elles quelles sont les avancées réalisées et celles qu’il reste à faire. Place aujourd’hui à Gerard Lopez.

Fondateur et managing partner de Mangrove Venture Capital en 2010, s’était livré à un exercice périlleux pour Paperjam: tracer les contours du Luxembourg de 2020, comme il les devinait.

Le texte de Gerard Lopez

«PaperJam m’a demandé, il y a quelques semaines, de porter mon regard sur le Luxembourg dans le cadre de son 10e anniversaire. Tout en sachant que cela me prendrait du temps, chose la plus chère à mes yeux, je n’ai pas hésité un instant à répondre par la positive, pour PaperJam, mais surtout pour l’opportunité qui m’est donnée de quelque part remercier le Grand-Duché en tant que terre d’accueil pour mes parents, mais aussi d’y porter un regard honnête, plein d’aspects positifs, mais aussi de certaines craintes pour le futur, qui sont autant d’opportunités pour le Grand-Duché.

J’écris donc ces quelques mots dans un avion – mon autre domicile – en prenant le temps de réfléchir au Luxembourg tel que je l’ai connu dans mon enfance, tel que je le connais aujourd’hui à l’intérieur de ses frontières, mais aussi tel que je le connais à l’étranger au travers de mes voyages.

Ma jeunesse au Luxembourg a été marquée par un permanent aller-retour entre la Galicie, ma terre d’origine et ses verdures, et Esch-sur-Alzette avec, à l’époque, ses bâtiments noircis par la sidérurgie. J’ai ainsi eu l’occasion, dans les années 70 et 80, de devoir expliquer à ma famille en Espagne, à mes amis là-bas que le Luxembourg n’était ni la Belgique, ni la France ou l’Allemagne. Et je le faisais avec une certaine fierté. Mes horizons géographiques ayant été élargis depuis, je me retrouve encore aujourd’hui à toujours expliquer la même chose dans d’autres pays, mais toujours avec la même fierté. Je suis donc un Espagnol, fier de représenter le Luxembourg dès que l’occasion se présente.

Il faut que le Luxembourg réfléchisse à créer de la valeur par le biais de la créativité et non pas en attente d’une loi attirant la prochaine industrie de services.
Gerard Lopez

Gerard Lopezfondateur et managing partnerMangrove Venture Capital

Cette fierté provient de l’observation que j’ai faite sur la capacité du Luxembourg à toujours paraître plus grand et plus fort que sa taille ne pourrait le laisser présager. Un peu comme un boxeur poids mouche se battant avec des poids lourds… et remportant ses combats! Cette image découle d’une réussite méritée sur les dernières décennies, nourrie d’une capacité à prendre des décisions rapides et souvent en avance par rapport à des développements macroéconomiques au niveau européen ou mondial, mais aussi d’une étroite collaboration entre les partis politiques et d’un modèle social éprouvé.

J’ai pu ainsi, dans ma jeunesse, m’apercevoir que les façades des maisons à Esch-sur-Alzette blan­chissaient au même rythme que des commerces ouvraient ou que des banques s’installaient au Luxembourg. Le pays sortait de l’ère industrielle pour arriver dans l’ère des services et cela était visible, même pour un adolescent plutôt insouciant.

Cette évolution durant ma jeunesse a dicté nombre de carrières de mes amis, les amenant à travailler dans des banques ou au sein des institutions gouvernementales. Aujourd’hui, bon nombre d’entre eux y sont encore, et cela me permet de continuer à avoir une vue, plus actualisée, de l’intérieur du pays.

Mais cette vue actuelle est moins joyeuse, moins positive. Non pas parce qu’elle n’est plus celle d’un adolescent – je reste quelqu’un de positif et, j’espère, jeune – mais parce que le Luxembourg vit dans un monde global, en souffre autant que ses voisins plus grands, mais n’a pas d’autres moyens de faire face aux grands défis de cette nouvelle décennie, en dehors de son capital humain et de son historique capacité à s’adapter pour ensuite se développer. Pire, je pense que le Luxembourg aura plus de défis que les autres.

Est-ce que ceci sonne – a sonné – la fin d’une époque glorieuse, de croissance, de certitudes? J’en suis convaincu. Mais je suis aussi convaincu des opportunités que cela engendre. Elles se trouvent dans des domaines qui sont soit trop «petits» pour les autres, soit trop spécialisés ou qui requièrent une adaptation rapide du cadre légal, social, voire économique.

Le Luxembourg a su prendre ce genre d’initiatives dans le passé, la dernière fois en mutant de l’industrie au bancaire. Mais il y a une différence importante: le pays l’a fait pour des raisons stratégiques, mais aussi par nécessité pour sa population. Cette même population n’est, en surface, pas dans une situation de nécessité aujourd’hui, mais le besoin de changement, d’adaptation est pourtant important, sans doute plus que par le passé. Car aujourd’hui, un pays comme le Luxembourg et son économie sont dépendants de centres de décision à l’étranger.

Pour en revenir à mes collègues d’études, ils ont la possibilité de faire partie de ce changement avec le support actif du gouvernement. La réponse réside en partie (mais partie plus qu’importante) dans l’esprit d’entreprise. Il faut que le Luxembourg dans sa totalité – et pas simplement le gouver­nement, mais aussi toute la population – réfléchisse à créer de la valeur par le biais de la créativité et non pas en attente d’une loi attirant la prochaine industrie de services et, donc, vague d’emplois.

Être entrepreneur ne veut pas dire avoir une société à son nom. C’est voir les opportunités là où elles existent, y compris là où l’on est employé. C’est aussi adapter un système d’éducation qui montre cette voie alternative. Et, finalement, c’est supporter cette créativité par l’investissement financier (le rôle des instances gouver­nemen­tales).

Le flux migratoire devra aussi changer pour attirer des gens qui peuvent soutenir ce plan, apporter leur expérience, leurs réseaux et donc accélérer ce développement.

Mes parents sont arrivés au Luxembourg à la fin des années 60, partant d’un pays sous régime dictatorial et pauvre, pour essayer de réussir leur vie dans un pays accueillant et leur offrant la possibilité d’avoir un travail et une famille. Ils constituent le portrait classique d’une famille d’immigrants qui cherche à travers le travail et l’intégration à assouvir le rêve d’une certaine indépendance économique et de sécurité. Je suis fier d’eux et de leur réussite.

Ces familles continueront d’arriver au Luxem­bourg, qui doit rester une terre d’accueil. Mais le pays doit maintenant attirer aussi d’autres types de profils, des entrepreneurs, des gestion­naires de fonds qui créent de l’emploi, des chercheurs et autres cerveaux s’intégrant à notre économie. Il est de notre responsabilité, y compris celle de Mangrove Capital ou de Genii Capital, de participer à la création de cette attractivité. Mais il faut aussi que le gouvernement y participe à travers l’argument le plus direct: la capacité d’investir dans des projets. Je suis sûr que nos politiciens le savent et qu’ils savent que le laps de temps qui nous est donné est très court et se réduit de jour en jour.

Je pense donc que le Luxembourg se définira, dans les mois à venir, non pas pour ces dix prochaines années, mais pour bien plus long­temps. Nous ne sommes, à travers nos sociétés, pas uniquement des spectateurs, nous devons être des acteurs actifs et privilégiés de ce changement.

Je serai extrêmement fier, si pour le 30e anniversaire de paperJam, le fils ou la fille d’un de ces immigrants, chercheur diplômé ou fils d’ouvrier, prend sa plume pour décrire son optimisme et sa fierté d’avoir été élevé(e) au Luxembourg, comme j’ai apprécié de le faire.»


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