Dix ans plus tard, Danièle Fonck a accepté de se pencher à nouveau sur le texte qu’elle avait livré à Paperjam en 2010. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Dix ans plus tard, Danièle Fonck a accepté de se pencher à nouveau sur le texte qu’elle avait livré à Paperjam en 2010. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Il y a 10 ans, 24 personnalités partageaient dans Paperjam leur vision de ce que serait le Luxembourg en 2020. En cette fin d’année, la rédaction en a sollicité huit pour voir avec elles quelles sont les avancées réalisées et celles qu’il reste à faire. Place aujourd’hui à Danièle Fonck.

Figure incontournable du monde de la presse luxembourgeoise, l’ancienne rédactrice en chef et directrice du groupe Editpress, Danièle Fonck, avait, des difficultés, enjeux et défis auxquels le Luxembourg devrait faire face. Pragmatique, elle s’inquiétait, à l’époque, pour l’avenir de la presse, pointait du doigt l’incapacité des décideurs à donner des lignes de conduite claires et insistait sur l’importance de l’éducation. La fin de cette décennie est l’occasion de revenir, avec elle, sur ce qui a changé. Ou pas.   

En 2010, la somme des incertitudes que vous recensiez était considérable. Les choses sont-elles, en 10 ans, allées dans le bon sens? 

Danièle Fonck. – «Non, ça n’a pas été dans le bon sens, pour la bonne raison que nos sociétés sont plus divisées que jamais. L’écart s’est plutôt creusé dans les mentalités concernant les problèmes du monde, le fait d’accepter l’autre, de par sa religion, son genre, sa différence. C’est un gros souci. Le virus du Covid-19 a mis en évidence le fait que les sociétés sont finalement très égoïstes. Nous ne savons plus vivre avec nous-mêmes sans avoir ce besoin permanent de bouger, de voyager, de nous distraire, plutôt que de penser, réfléchir. C’est assez terrifiant. D’autant plus que nous n’avons pas trouvé le moyen de réapprendre aux enfants que la vie n’est pas qu’amusement.

Il faudra changer si nous ne voulons pas tout casser, y compris la planète. Quand on parle d’environnement, on parle de température. Mais cela concerne tout autant notre façon de produire que de consommer. Si on regarde les progrès réalisés en 10 ans, je ne considère pas que nous ayons fait de sauts considérables, mais des sauts d’apparence. Même si c’est une bonne chose, ce n’est pas un tram qui va changer la situation.

Vous vous inquiétiez, à l’époque, pour l’avenir de la presse. À raison, lorsque l’on voit la situation sociale dans certains groupes du pays. La presse a-t-elle profité de ces 10 années pour se renouveler?

«Non, elle est à l’image de la société. Et celle-ci râle pour tout, tout le temps et à tout propos. Nous n’avons pas de distance et la presse en est le miroir. Elle est une espèce de victime collatérale des réseaux sociaux et commet l’erreur de rebondir sur tout ce populisme, jusqu’au néo-fascisme, pour en faire des sujets vendeurs. Elle ne répond plus à sa mission première qui est celle d’informer et de faire progresser la société. Ce n’est pas avec des gros titres spectaculaires, en étant contre systématiquement – comme si on ne pouvait plus être positif et modéré –, que les choses vont s’améliorer. Cela donne l’impression qu’il faut constamment rechercher ce qui est négatif, ce qui est mal, il n’y a plus aucune ligne conductrice, or la population a besoin de lignes conductrices.

Alors en pleine crise économique, en 2010, vous rappeliez que les crises étaient cycliques, «tantôt conjoncturelles, tantôt structurelles». Avons-nous retenu des leçons des erreurs du passé?

«Globalement, nous n’apprenons pas suffisamment de nos erreurs. Il suffit de regarder, depuis la crise de 2008, combien de Panama, de ‘leaks’ et autres ‘papers’ ont explosé. Il faut aller plus vite, mais, pour ce faire, il faut du caractère et de la volonté. Tant que les hommes politiques travailleront avant tout pour être réélus, ça ne marchera pas. En revanche, j’ai de l’espoir. Les jeunes semblent assez conscients des problèmes. Toute cette vague du climat, avec des figures telles que Greta – qui peut paraître sympathique ou antipathique à l’un ou l’autre –, ça peut donner de l’espoir. Il existe des personnes qui sont capables de se satisfaire d’autres choses que de distractions superficielles et c’est très important. Par ailleurs, je suis également optimiste dans le sens où la nature est capable de se régénérer par elle-même sans même que nous intervenions. On l’a vu pendant le premier confinement. Il faut peu de choses, mais quand serons-nous prêts à passer le cap?

À quoi ressemblera le Luxembourg de 2030?

«Je l’ignore. Le changement demande forces et capacités. Il faut aborder les choses autrement que par le biais de l’argent. Il faudrait faire d’énormes efforts sur l’éducation, de sorte que nous puissions former au mieux les enfants. Il faut que nous soyons capables de produire des choses utiles et pas seulement du financier. Il ne faut pas voir la production en termes archaïques, revenir dans le passé. Mais il y a d’énormes besoins en termes de connaissances scientifiques. Si on laisse les moyens à l’université de se développer, il y a des pôles d’excellence qui permettront de changer l’image du pays. Cela exige que l’on se donne les moyens, mais aussi qu’on laisse la liberté d’aller dans le bon sens.»

Le texte de Danièle Fonck en 2010

«À défaut d’être un expert»

«Il en faut de l’audace pour affirmer ce que sera le Luxembourg en 2020, a fortiori quand on ignore de quoi sera fait demain. Or visiblement, ni le gouvernement, ni les partis politiques d’opposition, ni les acteurs économiques ne sont en mesure de donner des indications claires à moyenne échéance.

N’étant pas devin, il m’est par conséquent impossible de décrire l’état d’un pays, fût-il le mien et fût-ce pour l’anniversaire d’un confrère, à un moment où ce pays est en profonde mutation démographique, culturelle, sociale et sociétale.

Ce serait manquer d’humilité que de clamer – à cette place – des certitudes qui tiendraient de la malhonnêteté intellectuelle. Du moins quand on n’est pas un expert étranger, patenté «spécialiste ès études chèrement payées».

Même si l’univers des médias vit à son tour des changements fulgurants qui dépassent en ampleur et en rapidité les évolutions intervenues lors du passage de l’ère Gutenberg à celle de l’offset et de l’ordinateur, je demeure persuadée que la presse dite écrite finira par remporter la partie. Il lui faudra pour cela une assise financière solide, de la créativité et… de la patience. Car c’est elle, et elle seule, qui dispose des contenus, des journalistes en nombre, du savoir-faire et du réalisme pragmatique.

Certes, je ne saurais dire si Paperjam existera en 2020. Je le souhaite à l’équipe, dynamique, sympathique. Je ne doute pas en revanche que des maisons de presse traditionnelles et centenaires aient de bonnes chances d’être là où il faut être, à la condition sine qua non que leurs personnels aillent, soudés, de l’avant. Pour le reste…

Les dangers de la rigueur

Quelques idées simples, en forme de recommandations à ceux qui ont à charge de préparer 2015, 2020, 2030…: les crises sont cycliques, tantôt conjoncturelles, tantôt structurelles. S’en sortent ceux qui ne paniquent pas et qui réussissent à maintenir la confiance de leurs populations.

Le Luxembourg souffre ces temps-ci. Pas tant parce que la place financière n’est plus un sanctuaire, car cela était attendu un jour ou l’autre, mais parce que le pouvoir manque de sérénité et a la fâcheuse tendance à écouter des conseillers venus d’ici et d’ailleurs, hommes et femmes qui pourtant n’ont rien vu venir et continuent de prêcher des remèdes qui, pourtant, ont largement contribué au fiasco mondial actuel.

Je suis plutôt optimiste. Parce que j’ai choisi de l’être.
Danièle Fonck

Danièle Fonckdirectrice adjointe du groupe Editpress en 2010Editpress

Qui dit qu’un petit pays ne peut pas se permettre quelques années de déficit? Quel démiurge? Quel dieu? Déficit zéro signifie cure de rigueur et cure de rigueur signifie atteinte à la croissance et perte de pouvoir d’achat. Rigueur signifie réductions de personnels et ces dernières impliquent une hausse massive du chômage. Qui paie le chômage? L’État pour une grande partie. Lequel, par conséquent, doit dépenser beaucoup d’argent qu’il avait cru économiser. Chômage veut dire une société qui gronde, donc insatisfaction, jalousie et montée de la criminalité. Voilà qui coûte cher, en termes d’argent, de cohésion, de solidarité sociétale. Bref, il urge de changer de cap, n’en déplaise à l’establishment économico-financier et aux politiques en apparence si sûrs d’eux et si oublieux du mandat électif qui est le leur.

Enfin, lorsque l’on n’est que 280.000 dans un Etat de 500.000 et que l’on sait que demain les «locaux» seront minoritaires, on s’empresse de changer du tout au tout les méthodes éducatives et l’on se bat pour que le seul et unique but de l’instruction publique soit de faire des têtes bien pleines dès le plus bas âge.

À quoi sert de faire plaisir aux lobbies financiers et de leur livrer des personnels «clés en main»? Car quand ces lobbyistes auront déserté leurs beaux immeubles en verre après-demain, que ferons-nous des seconds couteaux des back-offices libellés de «cadres»? Nul n’est prophète en son pays, dit-on. Qu’on le sache toutefois: je suis plutôt optimiste. Parce que j’ai choisi de l’être. »