En 2010, Robert Dennewald présidait la Fedil. (Photo: Maison Moderne)

En 2010, Robert Dennewald présidait la Fedil. (Photo: Maison Moderne)

Il y a 10 ans, 24 personnalités partageaient dans Paperjam leur vision de ce que serait le Luxembourg en 2020. En cette fin d’année, la rédaction a choisi d’en republier huit pour voir à travers elles quelles sont les avancées réalisées et celles qu’il reste à faire. Place aujourd’hui à Robert Dennewald.

En 2010, était le président de la Fedil. Il avait tenté de décrire le portrait du Luxembourg 10 ans plus tard.

Le texte de Robert Dennewald

«Développer une vision sur 10 ans pour son entreprise n’est pas un exercice inhabituel pour un chef d’entreprise. Si ce processus comporte un intérêt incontestable, il connaît aussi des limites. L’exercice devient bien plus difficile quand il s’agit de notre pays, étant donné que le nombre de facteurs à évaluer est beaucoup plus grand et beaucoup plus aléatoire, rien qu’en prenant en compte le contexte européen.

Profonde mutation

Développer une vision du Luxembourg à l’horizon 2020 consiste, entre autres, à évaluer l’impact de l’évolution des grands facteurs macro­économiques qui influenceront nos entreprises, tels que la situation sur le plan de l’énergie, des matières premières, de la disponibilité et de la qualification de la main-d’œuvre.

Aussi ne faudra-t-il pas oublier les grandes mutations dans notre société, comme la résolution du problème de gouvernance politique auquel le Luxembourg a été confronté depuis les années 2000, à savoir une population active du Luxembourg se composant, d’un côté, des ressortissants luxembourgeois qui disposent du pouvoir politique du pays et, de l’autre côté, des ressortissants étrangers qui constituent essentiellement les forces vives contribuant à la richesse de notre pays du fait qu’ils représentent entre 80 et 90% des effectifs des entreprises, mais n’ayant pratiquement aucun pouvoir politique.

Faire une projection à l’horizon 2020 implique aussi l’hypothèse que le Luxembourg réussira à résoudre la quadrature du cercle que constituent un déficit budgétaire et, partant, une dette publique en forte augmentation au cours de la période 2009-2014, combinés à des défis conséquents sur le plan de la sécurité sociale, tant pour ce qui est de l’équilibre du secteur de la santé que du financement à long terme des régimes de pension. Il faudra se rendre compte que l’État providence n’existe plus.

Finalement, il s’agira d’évaluer les conséquences de la perte en compétitivité de l’économie luxembourgeoise dans un contexte international, perte dont les premiers effets se sont fait ressentir à la fin de la première décennie du 21e siècle. Il faudra d’ailleurs essayer d’imaginer la faculté des acteurs économiques à faire face à cette situation dégradée.

J’ai pris une approche résolument optimiste en ce qui concerne le développement de ma vision pour l’année 2020. Forts des expériences des crises précédentes, les Luxembourgeois ont toujours su se tirer d’affaire et sont toujours retombés sur leurs pieds.

Un important défi sera de convaincre les citoyens luxembourgeois qu’il faudra trouver de nouvelles ressources pour financer le train de vie auquel ils se sont habitués pendant les années fastes et d’adapter, le cas échéant, leur train de vie aux ressources financières disponibles de façon récurrente. La crise financière des années 2009-2010 a ébranlé le Luxembourg jusque dans ses fondations et incitera les décideurs politiques à prendre les mesures appropriées afin de tenir compte des changements fondamentaux intervenus.

Les niches du savoir et du savoir-faire

Nul n’ignore qu’en 2020, la globalisation aura métamorphosé l’économie mondiale. Cette globalisation mettra le Luxembourg devant de nouveaux défis. La dilution progressive du secret bancaire aura réduit l’apport financier du secteur bancaire au trésor de l’État, sans pour autant mettre en cause la survie du secteur financier, pouvant se prévaloir de nombreux atouts par rapport à celui des pays voisins. Les potentiels de puisement dans les gisements que constituent les niches de souveraineté vont cependant s’essouffler.

La perte en compétitivité du Luxembourg par rapport aux autres économies ne facilitera pas la lourde tâche d’une diversification économique. La brutalité de la crise financière de 2010 a de nouveau démontré les risques d’une structure économique trop monolithique, axée principalement sur le secteur financier.

Devant cette perspective et dans un souci de diversification, il sera primordial de maintenir, voire de développer l’activité dans le secteur secondaire. C’est la raison pour laquelle il faudra préparer l’économie luxembourgeoise aux défis qui l’attendent à l’horizon 2020. Il est impératif de mettre en œuvre dès maintenant une stratégie en faveur d’un maintien de l’activité industrielle, englobant aussi bien des aspects comme la compétitivité-coût, la recherche, l’innovation, la simplification administrative que la formation, la promotion de l’entrepreneuriat, le respect de l’environnement ou l’approvisionnement en matières premières.

La dualité entre la fonction publique et la carrière privée sera réduite de façon significative.
Robert Dennewald

Robert Dennewaldprésident en 2010 de la Fedil

 Les centres de recherche publics, l’Université du Luxembourg, de concert avec Luxinnovation et les entreprises, joueront un rôle capital dans la consolidation et le développement de niches du savoir et du savoir-faire. Ils devront réunir leurs compétences dans les domaines qui feront partie des grands enjeux du monde à venir, c’est-à-dire l’énergie, l’environnement, la santé et l’alimentation. Pour le Luxembourg, il sera essentiel de mettre l’accent notamment sur les techniques environnementales innovantes, le healthtec et le biotech. Il faudra continuer à développer les pôles de compétences, tels que les matériaux, pour lesquels le Luxembourg peut se prévaloir d’une longue expérience.

L’association des différents acteurs du monde de la recherche devra habiliter le Luxembourg à occuper des niches dans ces domaines et à se distinguer comme centre d’excellence au niveau européen, tout en considérant une diversification de l’économie nationale. Les investissements dans les infrastructures ICT par exemple, qui ont été mises en place au Luxembourg dès 2007, pourront permettre au Luxembourg d’accéder au rang de leader européen dans ce secteur, si les acteurs arrivent à se démarquer dans une économie du savoir. Avec les infrastructures de data center, le réseau à large bande et les infrastructures de communication satellitaire existantes, les bases pour un tel développement sont déjà en place. Le cloud computing constitue une des niches qu’il s’agira d’exploiter, de même que le Green IT, où le Luxembourg est bien placé pour se faire un nom en tant que centre d’excellence en matière de développement de data center à basse énergie.

Les vertus d’une industrie forte

En 2020, les décideurs politiques et les citoyens luxembourgeois auront redécouvert les vertus d’une économie fondée, entre autres, sur une activité industrielle forte. Ils auront réalisé que c’est la présence d’une industrie forte, au sens large du terme, qui donne à un État ses lettres de noblesse en tant qu’État souverain.

La politique de recherche et d’innovation, couplée à une politique de simplification administrative, de mise à disposition d’infrastructures efficaces, de zones d’activités attrayantes, aura été le moteur de cette nouvelle relance de l’activité industrielle au Luxembourg.

Les Luxembourgeois se seront rendu compte de l’importance de l’entreprise dans le tissu économique, en général, et de celle d’une industrie diversifiée, créatrice d’emplois s’adressant à la fois à des demandeurs d’emploi qualifiés et moins qualifiés, synonyme de garant de la paix sociale.

Le Luxembourg aura, par une politique de croissance, réussi en 2020 le formidable défi de réduire le chômage qui a atteint des sommets sans précédent au cours des récentes années de crise. Les décideurs politiques auront eu la chance de faire en sorte que la détérioration du niveau de compétitivité ait pu être enrayée grâce au maintien des charges salariales patronales, au découplage de l’évolution des salaires, de l’indice du coût de la vie et de l’aménagement d’une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail.

Le défi de l’énergie et des matières premières

Les entreprises auront à affronter, au cours des années 2010-2020, l’important défi d’un coût de l’énergie qui augmentera fortement, d’une raréfaction et d’un renchérissement des matières premières et d’un renforcement des prescriptions environnementales et réglementaires.

Les entreprises auront poursuivi leurs efforts d’une utilisation rationnelle de l’énergie et auront appris à produire plus avec une énergie devenant de plus en plus chère. Le Luxembourg aura trouvé des solutions pour atteindre les objectifs de la stratégie «20/20/20», définie par la Commission européenne au cours des années 2009-2010. L’économie luxembourgeoise aura découvert des solutions économiquement défendables pour réduire son empreinte CO2 et aura fait d’une nécessité une vertu, dans le domaine des techniques des énergies renouvelables et des économies d’énergie, notamment dans l’habitat.

Politique sociale et formation

La dualité entre la fonction publique et la carrière privée sera réduite de façon significative. La grille de salaires de la fonction publique, mise en place par le gouvernement, prévoira des salaires d’entrée comparables à ceux du secteur privé. L’ouverture de la grille de salaires vers le haut permettra de fixer la rémunération des hauts fonctionnaires en adéquation avec leur niveau de responsabilité.

L’une des clés du succès du Luxembourg résidera dans le rétablissement de la compétitivité-coût de l’économie luxembourgeoise. Une suppression, ou du moins une modulation, de l’indexation automatique des salaires sera un élément capital dans ce contexte, puisque l’évolution des salaires doit être couplée à l’évolution de la productivité et non pas à l’évolution du coût de la vie. Le maintien du système d’indexation automatique des salaires con­duira indubitablement à terme le Luxembourg dans une impasse.

Les campagnes de sensibilisation du gouvernement et des organisations patronales pour intéresser les jeunes à l’entrepreneuriat auront porté leurs fruits d’ici 2020. Le nombre de créations d’entreprises aura augmenté de façon significative, notamment dans les domaines innovants, comme ceux des énergies renouvelables, des techniques du secteur de la santé et des techniques environnementales. Les acteurs du monde économique auront contribué activement à l’éducation et à la formation des jeunes par une présence plus poussée dans le milieu scolaire.

Les entreprises, hélas, resteront confrontées à une pénurie d’ingénieurs qui a commencé à se manifester dès 2000 dans tous les pays industrialisés. Les entreprises doivent dès à présent inciter les jeunes à s’intéresser au métier d’ingénieur. L’Université du Luxembourg, installée désormais à Esch-Belval, contribuera largement à cet effort de formation d’ingénieurs. La disponibilité d’ingénieurs de toutes spécialités et de tous niveaux de formation deviendra un élément-clé de croissance pour notre pays. Une bonne orientation des jeunes dans le choix de leur carrière universitaire permettra de parer au fléau que constitue le chômage des jeunes diplômés.

Le défi auquel le Luxembourg sera confronté dans la prochaine décennie est de taille. Le pays devra rétablir l’équilibre budgétaire, continuer à maintenir un haut niveau d’investissements publics, résoudre le déficit chronique du secteur de la santé, pérenniser le financement des retraites, le tout en rétablissant la compétitivité de l’économie. Si l’effort que le Luxembourg devra consentir est un effort collectif, la responsabilité de définir et de mettre en place les réformes indispensables incombera au monde politique. La société civile y contribuera par son désir d’entreprendre, d’investir, d’innover, le tout dans un esprit de développement durable et de responsabilité sociale.» 


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