Comme ici, dans la chambre à vide thermique, les tests se terminent pour SES-17, qui sera expédié à Kourou, en Guyane, la semaine prochaine, pour un lancement dans la nuit du 22 au 23 octobre et une mise en service en juin 2022. (Photo: Thales Alenia Space)

Comme ici, dans la chambre à vide thermique, les tests se terminent pour SES-17, qui sera expédié à Kourou, en Guyane, la semaine prochaine, pour un lancement dans la nuit du 22 au 23 octobre et une mise en service en juin 2022. (Photo: Thales Alenia Space)

Le monde ne jure que par Elon Musk? Qu’à cela ne tienne: avec un an de retard sur le programme, Thales Alenia Space en termine avec les tests de SES-17, le nouveau bijou de technologie de SES qui sera lancé fin octobre et doit entrer en fonction en juin 2022. Le premier des cinq satellites de SES lancés cette année.

Le drapeau luxembourgeois flotte avec force aux côtés du drapeau français et de celui de Thales Alenia Space. Du côté du bout de «plage» ensoleillé de Cannes, des seniors et des couples avec des enfants en bas âge paressent sur le sable encore brûlant. De l’autre côté de la route, à la limite de la zone industrielle, dans l’ancienne usine d’hydravion, créée par les frères Romano en 1929, une dizaine d’ingénieurs en blouse blanche et coiffés d’une charlotte effectuent les derniers réglages de SES-17.

Mardi prochain, l’énorme satellite luxembourgeois mettra le cap sur Kourou, en Guyane, d’où il devrait être lancé dans la nuit du 22 au 23 octobre par Arianespace. En zone blanche, totalement aseptisée, où l’on entre avec autant de difficultés qu’on pénétrerait dans un hôpital en pleine pandémie de Covid, le satellite de 6,4 tonnes – il aurait dû en peser 10 sans le moteur à propulsion électrique – voit le bras à deux récepteurs se replier doucement devant deux autres de ces gros disques gris, soutenus par trois énormes ballons «zéro G», destinés à simuler les conditions du satellite dans l’espace.

«C’est excitant!», glisse tout doucement, comme si sa voix pouvait casser quelque chose, le directeur technique de SES, Ruy Pinto. «Nous sommes dans une phase où nous allons retenir notre souffle tous les jours. Quand le satellite sera emmené à l’aéroport de Nice, quand il sera dans l’avion, quand il sera livré sur le site d’Arianespace, quand il filera vers son orbite, quand il déploiera ses ailes, quand nous effectuerons la mise en service et, enfin, quand il délivrera les premiers gigabytes de nos clients.»

SES à huit mois d’une rupture technologique

Soit à peu près en juin 2022. Un long tunnel de huit mois qui doit permettre à SES d’entrer dans une nouvelle ère. Car le bijou construit par Thales Alenia Space est doté de technologies de rupture. «Ce temps est étrange: le marché de l’espace n’a jamais été autant disrupté… ce qui crée autant d’opportunités! Ce n’est pas la guerre de la basse orbite contre la moyenne orbite ou la haute orbite. C’est la guerre des services que vous pouvez rendre avec une technologie!», rectifie M. Pinto.

Et même si les médias les plus prestigieux ne louent que les charmes d’Elon Musk, SES a des arguments à faire valoir: son existant de clients, d’abord, de tous types, qui lui permettent de gérer les trous d’air des uns ou des autres; sa flotte de satellites éprouvée, et ses partenariats, qu’ils soient avec Amazon, Google, Boeing ou Thales Alenia Space. Aucun de ces mêmes médias ne se demande jamais si la faible latence – le faible temps mis par le signal pour aller de son objectif au satellite et inversement – est une donnée si importante. Alors, SES bosse. Challenge partenaires et talents autour d’une idée: une infrastructure ouverte, adossée au cloud, qui puisse offrir tous les services de connectivité au meilleur prix, exprimé ici en euros par bytes.

À deux pas du futur SES-22 qui a commencé à être assemblé dans un hangar voisin du fournisseur français, la visite s’éternise, chacun y allant de son optimisme ou de ses réserves, tant le marché est concurrentiel. SES lancera SES-17 fin octobre, puis les quatre premiers O3b mPOWER en décembre, comme un pari sur son avenir non sans similitude avec le pari par les politiques luxembourgeois pour lancer cette société en 1985.

Un «cerveau» pour modifier la distribution en temps réel

Ce premier satellite entièrement en bande Ka en orbite géostationnaire (GEO) de la flotte de SES aura une capacité de traitement totale de 200GHz et une charge utile entièrement numérique connectée à environ 200 faisceaux, capables de maintenir un débit de 2Gb/s par connexion.

Parmi ses innovations, son «digital transparent processor» (DTP), d’abord. «Une sorte de gros routeur», explique le leader du projet, depuis la commande du satellite en 2016, Jean-Philippe Bernardin. «Imaginez qu’il y ait un gros tremblement de terre à San Francisco. Avec ce satellite entièrement digitalisé, on pourra réallouer des capacités de connectivité là où on en a besoin pour aider les secours. Le signal qui arrive en mode analogique est transformé en signal numérique, découpé en tranches et recomposé en fonction des disponibilités et des besoins.» La transformation du marché va tellement vite que c’est la quatrième génération du DTP qui devait l’équiper, mais il a finalement reçu la sixième… la cinquième n’ayant même pas été terminée, obsolète avant même que le satellite ne soit lancé.

Le DTP sera mis au service d’une autre première, l’adaptive resource controller (ARC), un logiciel qui permet non seulement une affectation dynamique et automatique du trafic en temps réel, mais un basculement d’orbite pour l’interopérabilité totale entre le système MEO de SES et ce satellite GEO. C’est le futur de SES que de bâtir une architecture ouverte entre ses satellites. «Nous ne nous interdisons rien», a sobrement commenté M. Pinto, pour dire que SES pourrait très bien, si elle le voulait, imaginer elle aussi une constellation à basse orbite, comme celles qui sont mises en œuvre à coups de milliers de satellites.

Là où SES vendrait à une compagnie aérienne une connectivité, elle pourrait l’adapter aux besoins des avions, selon ce que chaque avion nécessite. C’est un des marchés phares que vise le leader mondial des opérateurs de satellites avec ce bijou technologique aux deux impressionnantes ailes de panneaux voltaïques de 23 mètres chacune. Mais pas le seul: le marché de l’apprentissage à distance pèsera 1.000 milliards de dollars d’ici 2027, le nombre de bateaux de croisière augmentera de 30% d’ici 2030 par rapport à 2020, les échanges commerciaux maritimes augmenteront de 3,8% d’ici 2023, et 92% des sociétés minières annoncent des plans d’investissements dans la technologie dans les années à venir, dit le pitch officiel diffusé dans la salle de conférence où est présenté SES-17, officiellement à un mois de son lancement. Le satellite, positionné sur le continent américain, doit aussi permettre aux 182 millions exclus d’internet de pouvoir enfin se connecter.

Forcément, ses neurones, câblés par plus de 330 mètres de fils électriques, vont chauffer. C’est pour cela qu’il sera doté d’un inédit système de régulation thermique, qui ferait pâlir les data centers et autres développeurs d’ordinateurs quantiques: le système pompe la chaleur, la traite et l’expulse.

Pour amener le signal sur Terre, en l’occurrence sur toute l’Amérique, SES n’a pas eu besoin d’installer des gateways partout. Le satellite peut discuter avec 16 installations au sol. Seules six ont dû être construites, les plus faciles à déployer d’un point de vue réglementaire, dont trois au Canada, aucune aux États-Unis, et une, sensible, au Brésil, en cours de discussion.

À l’heure où les satellites «boîtes à chaussures» sont à la mode, SES profitera du programme Space Inspire de Thales Alenia Space pour lancer un des premiers satellites «térabits». À haute orbite pendant 15 ans, il aura une vue sans pareille sur les collisions annoncées des satellites à basse orbite lancés à grands coups d’endettement. Entre 2010 et 2020, 3.371 ont été expédiés dans les étoiles, contre 958 pour la décennie précédente.