Françoise Leclercq: «Chacun a désormais trouvé son rythme, et le moral des troupes est bon malgré les difficultés rencontrées par beaucoup d’employés à concilier le travail et la vie familiale en confinement.» (Photo: DR)

Françoise Leclercq: «Chacun a désormais trouvé son rythme, et le moral des troupes est bon malgré les difficultés rencontrées par beaucoup d’employés à concilier le travail et la vie familiale en confinement.» (Photo: DR)

Paperjam est parti à la rencontre des femmes figurant dans la liste des «100 femmes pour un conseil d’administration» publiée fin février. Pour comprendre leur vécu de la période que nous traversons. Entretien avec Françoise Leclercq, directeur général de Bemo Europe – Banque privée.

Comment avez-vous vécu cette première phase de la crise?

– «Pour répondre à cette question, il me faut d’abord présenter le contexte.

Je dirige une petite banque privée de droit luxembourgeois s’adressant principalement à une clientèle résidant au Liban. Notre activité a été fortement impactée par la crise qui se développe au Liban depuis la fin de l’année passée. La recherche de sécurité et le besoin d’assurer la continuité de leurs affaires internationales ont incité nos clients, tant existants que nouveaux, à s’adresser à notre banque. Nous avons donc d’abord dû faire face à cette croissance forte et rapide des opérations, et ce avec des ressources très limitées: une équipe d’à peine 20 personnes, un système informatique certes robuste, mais plutôt ‘vintage’, sans support d’une maison mère.

Et puis un nouveau défi a surgi, une crise sanitaire dont personne n’avait jamais fait l’expérience jusqu’à ce jour.

La première mesure dès la mi-février a été de prier une employée de travailler à domicile pendant deux semaines. Bien que ne présentant aucun symptôme, elle revenait d’une station de sport d’hiver contigüe à la zone à risque d’Italie du Nord. Un deuxième employé présentant certains symptômes mais non testé car résidant en France est resté ensuite confiné, sur prescription médicale cette fois. Et puis un premier cas de test positif d’un employé résidant au Luxembourg s’est présenté le 19 mars. Cette nouvelle a fortement ébranlé le personnel.

Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, c’est plus vrai que jamais.
Françoise Leclercq

Françoise Leclercqdirecteur général de Bemo Europe – Banque privée

Nous avions heureusement anticipé le risque de paralysie des opérations en commandant et faisant configurer du matériel informatique pour permettre aux employés du ‘Back Office Titres et Paiements’ d’exécuter les opérations de la clientèle, chacun à partir de son domicile, de façon sécurisée et dans le respect du principe de contrôle des quatre yeux. Nous avions également organisé le travail sur site en deux petites équipes de six personnes en alternance.

Enfin, j’ai été moi-même contaminée fin mars et mise en ‘quinzaine’. Après quelques jours d’organisation un peu chaotique, plus personne ne pouvant venir travailler à la banque, l’exécution des opérations s’est mise en place à distance. C’est grâce à l’implication de chacun et au support très efficient de notre personne de contact du Help Desk IT externe que nous sommes parvenus à sortir la tête hors de l’eau en quelques jours. Très rapidement, nous avons récupéré le retard dans l’exécution des opérations de la clientèle, et ce, avec deux tiers du personnel travaillant à domicile et deux petites équipes en alternance à la banque, comme prévu en début de crise.

Chacun a désormais trouvé son rythme, et le moral des troupes est bon malgré les difficultés rencontrées par beaucoup d’employés à concilier le travail et la vie familiale en confinement.

Pendant ma propre ‘quinzaine’ (je suis restée présente sur site le reste du temps), j’ai continué à gérer la crise et j’ai participé à un conseil d’administration extraordinaire par conférence téléphonique, quelques jours à peine après avoir été testée positive. Malgré cette contamination et le contexte anxiogène de cette crise, je l’ai bien vécu, restant toujours active et me sentant utile en tant que capitaine d’un petit bateau affrontant une forte tempête. Même si elle n’est pas tout à fait calmée, nous avons prouvé tous ensemble notre agilité et nous avons développé de nouvelles compétences que nous ne soupçonnions pas.

Quels sont les trucs et astuces que vous souhaiteriez partager en termes de management d’entreprise ou de tenue d’un board lors de cette période de confinement?

«Nous avons non seulement surmonté cette première phase de la crise, mais nous nous sommes aussi armés pour faire face aux nouveaux risques du futur et à la forte croissance résultant de la crise au Liban. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, c’est plus vrai que jamais.

C’est le nombre et la qualité de ces communications qui nous ont permis de gagner cette première bataille.
Françoise Leclercq

Françoise Leclercqdirecteur général de Bemo Europe – Banque privée

À mon avis, les raisons de cette réussite tiennent en trois mots: communication, communication et encore communication:

- Communication des chargés de relations avec chaque client, non seulement par e-mail, mais surtout au téléphone, constamment, avec un bon suivi de leurs ordres de bourse et transferts de fonds.

- Communication avec chaque membre du personnel et entre les employés, tant sur site qu’à domicile, individuellement et par groupes ciblés (trésorerie, Front, Operations, Crédits, Gouvernance, etc.). Nous organisons aussi des conférences téléphoniques avec l’ensemble du personnel, chaque jour en début de confinement et puis une fois par semaine dès que la nouvelle organisation s’est bien mise en place.

- Et surtout, une très bonne communication ou plutôt un excellent dialogue couplé à une écoute active et réciproque avec les délégués du personnel. C’est ensemble et avec un bon esprit d’équipe que nous avons défini puis appliqué les mesures de sécurité et l’organisation du travail, dès le début de la crise.

C’est le nombre et la qualité de ces communications qui nous ont permis de gagner cette première bataille.

Dans le cadre de notre opération «Luxembourg Recovery: 50 idées pour reconstruire», nous proposons à nos lecteurs de partager une idée concrète, une expérience ou une mesure à mettre en œuvre pour faciliter le rebond de l’économie luxembourgeoise. Quelle serait la vôtre?

«Je retiendrai les facteurs de succès suivants qui pourraient être maintenus et développés après la crise:

- Garder et développer un vrai dialogue avec le personnel et ses délégués, de manière continue et avec une véritable écoute réciproque. Les échanges ne doivent pas se limiter à la sécurité au travail, mais inclure aussi le bien-être de chacun, l’organisation du travail, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Un défi de taille compte tenu de nos moyens très limités!

- Poursuivre le travail à domicile (que nous n’appliquions pas auparavant), mais de manière plus sélective et encadrée, avec des délivrables prédéfinis.

- (Ré)organiser l’espace de travail en intégrant des postes partagés à côté des postes fixes. Combiner travail à domicile et réduction du coût de l’espace en centre-ville, et ce, dans un contexte de forte croissance du chiffre d’affaires et des actifs sous gestion, un vrai défi à relever dès maintenant.»