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 (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Les faits

Une salariée ne se présente pas lors de la reprise de son travail et reçoit le même jour, de la part du gérant de la société qui l’emploie, le SMS suivant: «Alors ma chère A à partir de demain tu n’as plus besoin de venir je te remercie ciao G. car il y a des gens qui ont plus envie que toi de travailler et plus sérieusement merci». L’employeur l’avait désaffiliée trois jours plus tôt de la CNS. Estimant avoir été licenciée par SMS, la salariée introduit cinq mois plus tard une requête devant le Tribunal du travail de Luxembourg en licenciement abusif.

Peut-on valablement licencier un salarié par SMS[1]?

Un tel licenciement, s’il met bien fin au contrat de travail, est cependant abusif, ce qui donne droit à indemnisation pour le salarié, sauf si ce dernier ne parvient pas à rapporter la preuve de l’identité de l’auteur du sms. Or, l’envoi du SMS litigieux était contesté par l’employeur[2], qui estimait que l’échange de SMS entre deux utilisateurs pouvait fictivement être attribué par la salariée au gérant de la société, en enregistrant unilatéralement le numéro émetteur comme étant celui du gérant de la société dans le répertoire du téléphone.

Cependant, la salariée n’a pas simplement produit des photos de l’écran de son téléphone montrant le SMS pour prouver l’existence de ce dernier. Un huissier a dressé un constat mentionnant le numéro émetteur du SMS. Par la suite, l’employeur n’a pas contesté que le numéro de portable relevé par l’huissier appartenait à l’un des gérants de la société.

Ainsi, pour la Cour, le gérant était bien l’auteur du SMS, et a mis fin au contrat en envoyant ce SMS, ce qui est corroboré par la désaffiliation de la salariée par l’employeur 3 jours plus tôt[3].

Y a-t-il licenciement, même si l’auteur du SMS n’avait pas le pouvoir de signer seul pour l’entreprise?

Dans cette société, la signature conjointe des deux gérants aurait été nécessaire pour valablement engager la société, selon les statuts de cette dernière.

La Cour indique que la salariée, de bonne foi, est tiers par rapport à l’organisation de la société employeur. La salariée pouvait donc valablement considérer que le gérant, en adressant le SMS, agissait avec l’accord du deuxième gérant et avait les pouvoirs pour ce faire.

Par conséquent, la Cour a considéré que la salariée avait bel et bien été licenciée par le SMS envoyé par l’un des gérants de la société employeur.

Le délai de contestation en justice du licenciement n’était-il pas écoulé?

Le délai de contestation en justice d’un licenciement est limité à trois mois[4]:

  •   à partir de la «notification» du licenciement;
  •   ou, si le salarié demande les motifs à la base de son licenciement avec préavis, à partir de la notification de la lettre de motivation ou du délai maximal accordé à l’employeur pour répondre à la demande de motifs.

Or, pour la Cour d’appel, la «notification» du licenciement présuppose une notification régulière et valable de ce dernier, donc une notification par lettre recommandée ou lettre remise en mains propres, avec accusé de réception.

Dans cette affaire, il n’y avait pas eu de notification valable et régulière. Par conséquent, le délai de forclusion de trois mois ne pouvait pas débuter au jour de l’envoi du SMS litigieux, et la salariée pouvait donc contester le licenciement, cinq mois après que ce dernier ait été prononcé par l’employeur.

Conclusion: Le licenciement avec effet immédiat par SMS a été déclaré comme étant abusif[5].

Cour d’Appel, 1er juin 2017, n°44540 du rôle

[1] Un licenciement doit être notifié par lettre recommandée (avec accusé de réception de préférence) ou par lettre remise en mains propres contre décharge, le double de cette lettre étant conservé par l’employeur, selon l’article L.124-3 du Code du travail.

[2] L’employeur soutenait que la salariée avait démissionné de son poste de travail en ne se présentant pas au travail. La Cour rappelle la jurisprudence constante en la matière: une démission ne peut se présumer et doit résulter d’une manifestation sérieuse et non équivoque de la volonté du salarié. En l’espèce, la seule absence de reprise du travail ne peut être considérée comme une démission.

[3] Il est par ailleurs intéressant de relever que la Cour n’a pas pris position sur la désaffiliation à la CNS intervenue quelques jours avant l’envoi du SMS litigieux (le lui demandait-on?). Or, selon de nombreuses décisions des juridictions compétentes, la désaffiliation du salarié peut s’analyser selon les circonstances en un licenciement avec effet immédiat abusif.

[4] Ce délai est valablement interrompu en cas de réclamation écrite introduite auprès de l’employeur par le salarié (ou son mandataire ou l’organisation syndicale), qui fait courir un nouveau délai d’une année pour saisir le Tribunal du travail.

[5] Un licenciement avec effet immédiat ne peut être prononcé qu’en cas de faute grave. Les motifs doivent être indiqués dans la lettre de licenciement. En l’espèce, l’employeur a été condamné à verser à la salariée qui avait un an d’ancienneté: une indemnité compensatoire de deux mois de préavis, une indemnité pour préjudice moral de 500.- EUR et une indemnité de procédure de 1.000.- EUR.