Philippe Ledent n’exclut pas un nouveau plan de soutien post-pandémique de la Banque centrale européenne. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Philippe Ledent n’exclut pas un nouveau plan de soutien post-pandémique de la Banque centrale européenne. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Inflation, pandémie, géopolitique, finance durable… Quatre chefs économistes de la place financière se sont assis autour d’une table, à l’invitation de Paperjam, et nous ont fait part de leur analyse prospective concernant l’année 2022. Paperjam vous propose une série d’articles thématisés pour mieux en comprendre les enjeux.

Outre l’inflation, l’autre sujet qui préoccupe les investisseurs est les taux directeurs extrêmement bas appliqués par les banques centrales, lesquelles doivent jouer sur les deux tableaux.  Le maintien d’un équilibre monétaire et financier dépendra en grande partie de leurs décisions. Chroniqueurs réguliers chez Paperjam et habitués à l’exercice, , portfolio manager, coordinateur advisory et responsable investissements durables à la BIL, Jean-François Jacquet, responsable des investissements chez Quintet Private Banking, Philippe Ledent, expert économiste chez ING Belux, et Alexandre Gauthy, macro-économiste et responsable investissements chez Degroof Petercam Luxembourg, nous livrent leur analyse pour 2022.

Le 15 décembre dernier, la Fed (Réserve fédérale américaine) a annoncé qu’elle mettrait fin au programme de rachats d’actifs dès mars prochain (au lieu de juin) à concurrence de 30 milliards de dollars en moins chaque mois, contre 15 milliards auparavant. Une étape obligatoire avant le relèvement progressif de ses taux directeurs. Celui-ci devrait s’opérer en trois phases sur l’année 2022, et trois autres en 2023 (alors qu’elle devait démarrer en 2023).

La BCE (Banque centrale européenne) semble vouloir se donner plus de temps… Comme le pressentait Jean-François Jacquet le 15 décembre: «Les taux sont actuellement historiquement bas, et l’inflation au plus haut. Cela pourrait pousser la Fed à resserrer sa politique monétaire dès le début de l’année 2022 en cessant d’abord l’achat d’actifs dès la fin du premier trimestre, puis en relevant progressivement les taux le reste de l’année. La BCE n’a, de son côté, pas annoncé de relève de taux en 2022.»


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Pour Philippe Ledent, «la BCE va sans doute attendre 2023 pour maintenir le plus possible des taux bas dans un contexte d’inflation élevée. Un environnement qui resterait favorable aux finances publiques.» Olivier Goemans ajoute: «C’est un exercice de calibration, qui oscille entre deux, parfois trois hausses annuelles en fonction des news sur les variants, entre autres. L’idée n’est pas de freiner, juste de cesser d’accélérer. Le premier objectif de la Fed, aujourd’hui, est d’ancrer ces anticipations d’inflation. Concernant la BCE et les taux bas, il sera intéressant de voir comment cela va impacter le marché du crédit en Europe. Cela peut-il changer la donne offre/demande, ou pas?»

Rachat d’actifs: une transition en douceur

L’autre volet concerne les achats d’actifs, sujet sur lequel la BCE devra, selon Philippe Ledent, tout de même se positionner en 2022: «On peut déjà entamer des discussions car le PEPP touche à sa fin (programme d’achats d’urgence face à la pandémie d’un montant de 1.850 milliards d’euros, devant expirer en mars, ndlr) et la BCE doit décider, en décembre, de son avenir et d’un autre programme d’achats d’actifs. Il faudra aussi y intégrer la Grèce, et nous pensons plutôt à un nouveau PEPP, post-pandémique, pour faire les choses en douceur.» À l’heure où nous écrivons ces lignes (le 21 décembre 2021, ndlr), la BCE a annoncé qu’elle ne reconduisait pas le PEPP, mais le prolongeait jusqu’en mai, pour une transition plus amortie. Il n’est donc pas exclu que d’autres annonces aillent dans le sens de ce qu’imagine Philippe Ledent d’ici là.

Quand on regarde l’évolution des taux longs, on peut raisonnablement imaginer que le marché obligataire va entraîner l’économie américaine en récession.
Olivier Goemans

Olivier Goemanshead of investments servicesBIL

Alexandre Gauthy explique pourquoi la réduction de l’achat d’actifs de la Fed va donner plus de flexibilité à la politique monétaire. «L’inflation a été plus durable que ce qu’elle avait estimé au début… Si on regarde la politique monétaire par rapport à la situation économique, on a des taux courts américains qui sont à 0,025%. Si on ajuste par l’inflation, on a des taux réels courts au plus faible historique, à -6% – du jamais-vu. On parle d’inflation salariale de 4 à 5% aux États-Unis, à un moment où l’économie américaine a rattrapé son niveau d‘avant-crise et où les pressions inflationnistes sont là. Donc, la Fed doit opérer un changement de cap dans sa politique monétaire et doit préparer le marché à des hausses de taux. J’ajoute que même si elle augmente trois fois ses taux en 2022, on sera toujours à des taux courts autour de 0,7, voire 1%. Si on prend le taux d’équilibre à long terme, il est autour de 2,5% aux États-Unis, donc les taux seront toujours stimulants pour l’économie.»

Faire tenir le cadenas du marché obligataire

Les banques centrales vont donc calibrer et ajuster leurs taux courts en 2022. Mais, sur les taux longs (obligations et crédits), elles n’ont pas la main, comme le rappelle Olivier Goemans: «Le paradoxe, aujourd’hui, est que le marché obligataire est récessionniste et regarde les anticipations d’inflation. Quand on regarde l’évolution des taux longs, on peut raisonnablement imaginer que le marché obligataire va entraîner l’économie américaine en récession.» «Le marché obligataire est actuellement cadenassé, et il faut juste que le cadenas tienne. Le scénario du pire serait un crash obligataire qui créerait un mouvement de panique. Même si la BCE cesse les achats d’actifs, elle va continuer à investir tous les actifs qui viennent à échéance. La pression va encore perdurer plusieurs années», conclut Philippe Ledent.

Le marché d’échanges, le marché obligataire et le marché d’actions sont en réalité fixés sur des scénarios tout à fait différents. Les banques centrales jouent donc leur crédibilité sur leur capacité à faire tenir ces différents scénarios dans un fragile équilibre entre réalité financière et anticipations.