Pour Olivier Goemans, l’inflation est pour l’instant un phénomène qui ne s’autoalimente pas. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour Olivier Goemans, l’inflation est pour l’instant un phénomène qui ne s’autoalimente pas. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Inflation, pandémie, géopolitique, finance durable… Quatre chefs économistes de la place financière se sont assis autour d’une table à l’invitation de Paperjam et nous ont fait part de leur analyse prospective concernant l’année 2022. Paperjam vous propose une série d’articles thématisés pour mieux en comprendre les enjeux.

Au 4e trimestre 2021, l’inflation n’a jamais été aussi haute dans les pays de l’OCDE, avec un taux record de 5,1%. Aux USA, le taux a atteint 6,8% fin novembre, le plus haut jamais connu depuis juin 1982. Chroniqueurs réguliers chez Paperjam, et habitués à l’exercice,  , portfolio manager, coordinateur Advisory et responsable investissements durables à la BIL; Jean-François Jacquet, responsable des investissements chez Quintet Private Banking; Philippe Ledent, expert économiste chez ING Belux et Alexandre Gauthy, macroéconomiste et responsable investissements chez Degroof Petercam Luxembourg nous livrent leurs analyses pour 2022.

Les marchés financiers ont atteint des records en 2021, mais cet état de grâce ne durera pas. Ils devront affronter en 2022 une inflation encore haute, mais transitoire selon les économistes, car la fin de la pandémie (espérée, mais non encore avérée avec le variant Omicron notamment) amènera plus de rigueur dans les finances publiques mondiales. Dans ce contexte, tous les regards se tournent vers les banques centrales, lesquelles ont la lourde tâche de maîtriser cette flambée des prix, avec une politique monétaire capable d’éviter les effets de bulle.


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2022, une année test

«Prévoir l’inflation, c’est un exercice qu’historiquement personne (banques centrales, économistes, marchés financiers…) n’a jamais réussi», avance prudemment Olivier Goemans. «Je suis raisonnablement optimiste alors je pense que c’est temporaire, mais impossible de définir à quelle échéance. Une chose est sûre, c’est que l’inflation est un phénomène qui ne s’autoalimente pas. Je ne crois pas à un dérapage structurel des salaires, même si ponctuellement on l’observe. Pour moi, les banques centrales ont encore la main pour ancrer les perspectives.»

Philippe Ledent pense qu’au-delà du débat temporaire ou permanent, c’est le niveau de l’inflation qui est surtout exceptionnel: «On n’a plus eu d’inflation depuis 10 ans. Que celle-ci atteigne 6 à 7% aujourd’hui, c’est bien sûr temporaire.» Avec 2020 et 2021, années des exceptions, et 2023 annoncée comme retour à une forme d’orthodoxie budgétaire, 2022 serait donc une année test? Plus globalement, le problème de l’inflation, qu’elle soit de type énergétique ou économique, est multifacette et ne peut pas être expliqué par un facteur plus qu’un autre.

Alexandre Gauthy rappelle d’ailleurs les fondements économiques du mécanisme inflationniste: «Pour qu’il y ait une inflation structurelle, il faut qu’il y ait un déséquilibre durable entre l’offre et la demande. Si ce déséquilibre ne perdure pas dans le temps, il n’y a pas, selon moi, de risque que l’inflation devienne 5 à 10% plus élevée. Je pense même qu’elle va se stabiliser, avec une décélération l’année prochaine due à des effets de base.»

Il y aura une 2 e  vague d’inflation en 2022, moindre certes, mais qui pourrait être de nature plus structurelle cette fois. 
Philippe Ledent

Philippe Ledentexpert économisteING Belux

L’économiste voit 2021 comme une année de «déséquilibre qui était temporaire», citant l’exemple des aides gouvernementales américaines prévues pour augmenter le revenu disponible des ménages, qui ont provoqué un déficit budgétaire extrême aux USA. «Il n’y a pas eu de compensation d’augmentation de la production, donc de l’offre à ce moment-là, ce qui a causé de l’inflation.»

Jean-François Jacquet partage cette analyse également, écartant le retour à l’inflation que l’Europe a connu dans les années 70, mais nuance le propos en ce qui concerne les USA. «Si les effets restent pour moi ponctuels en Europe, pour les États-Unis, je serais moins catégorique, car on pourrait observer une certaine transmission dans les salaires, auquel cas l’inflation pourrait devenir un peu plus structurelle.»

Vers une nouvelle normalité inflationniste 

Philippe Ledent attire l’attention sur le lien qui peut perdurer entre l’inflation et la hausse des coûts de production, due notamment aux pénuries de matières premières. «Il suffit que le prix des matières premières augmente moins vite qu’à l’heure actuelle pour que l’inflation baisse. Les goulets d’étranglement énergétiques comme le gaz (qui est en partie géopolitique) ou les composants électroniques pour l’industrie automobile créent des déséquilibres et ont contribué à la grosse vague d’inflation actuelle. Courant 2022, ces goulets vont se relâcher. L’inflation actuelle devrait refluer. Néanmoins, je ne pense pas qu’elle revienne au niveau très faible des années 2010.» Il pense qu’une inflation redevenue «normale» devrait se situer «autour de 2,5-3% aux USA et 2% en zone euro». Mais selon lui, cette stabilisation risque d’être contrainte par le facteur de la production, s’appuyant sur l’argument que beaucoup d’entreprises américaines ont déjà reporté la hausse des coûts sur les prix de vente, et en déduit: «La vague de développement durable fait que toutes les entreprises font le shift et veulent la même chose en même temps. Donc il y aura une 2e vague d’inflation en 2022, moindre certes, mais qui pourrait être de nature plus structurelle cette fois.» Olivier Goemans précise aussi que les prix liés au carbone ont augmenté «de 60 à 90 euros la tonne en quelques semaines» et s’ajoutent à ces hausses, de manière durable eux aussi.

Globalement, les économistes s’accordent donc sur l’idée d’une inflation plus mesurée en 2022, mais qui restera néanmoins plus élevée que celle que le monde a connu ces dix dernières années. En cause notamment, la bousculade sur les chaînes d’approvisionnement en produits dits «durables» qui restent encore sous l’effet ciseau d’une demande forte sur des secteurs déjà en tension.