Alexandre Gauthy attire l’attention sur la politique de contraction budgétaire américaine, qui sera un marqueur fort de 2022. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Alexandre Gauthy attire l’attention sur la politique de contraction budgétaire américaine, qui sera un marqueur fort de 2022. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Inflation, pandémie, géopolitique, finance durable… Quatre chefs économistes de la place financière se sont assis autour d’une table à l’invitation de Paperjam et nous ont fait part de leur analyse prospective concernant l’année 2022. Paperjam vous propose une série d’articles thématisés pour mieux en comprendre les enjeux.

L’année 2021 s’achève sur une note douce-amère. Inflation, croissance en hausse, mais aussi quatrième vague de Covid. Chroniqueurs réguliers auprès de Paperjam, et habitués à l’exercice, , portfolio manager, coordinateur Advisory et responsable Investissements durables à la BIL, Jean-François Jacquet, responsable des investissements chez Quintet Private Bank, Philippe Ledent, expert économiste chez ING Belux, et Alexandre Gauthy, macro-économiste et responsable Investissements chez Degroof Petercam Luxembourg, nous livrent leurs mots-clés pour 2022.

Les termes «finances publiques», «Fed», «inflation», «Chine» et «stabilisation» ont été cités, l’un menant souvent à l’autre. Si personne n’a évoqué la finance durable, c’est parce que c’était sans doute le mot-clé de 2021, et que ce n’est plus nouveau. La finance durable reste de plus une orientation économique transversale fortement liée à la question du bon sens. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir dans cette série.

Leur analyse se base sur ce qui a caractérisé 2021 et en tenant compte de la réalité épidémique qui n’est pas terminée. 

Finances publiques

«Je citerais surtout le terme ‘finances publiques’, car cela a été mis complètement entre parenthèses depuis le début de la crise, mais la situation de la dette s’est considérablement dégradée», exprime Philippe Ledent.  «Aux États-Unis, les démocrates ont relevé le plafond encore une fois, mais il n’en sera pas de même en Europe, la crise sanitaire ayant elle-même généré la crise de l’endettement. On va apprendre à vivre avec, mais ‘pandémie’ restera un mot-clé de 2022. Espérons qu’il le sera moins dans la seconde moitié de l’année…»

Pour le moment, les règles budgétaires sont suspendues, mais elles seront amenées à être revues ou rétablies en 2023, ce que les États doivent anticiper dès janvier. «Il faudra forcément en discuter en 2022, sinon, gare au réveil brutal pour certains États. Aux Pays-Bas et en Allemagne, la situation reste gérable, mais pour les quatre pays qui sont entrés dans la crise avec un statut déjà critique – l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la France –, la situation s’est largement dégradée.» Sans pour autant aller jusqu’à un retour à l’orthodoxie budgétaire, Philippe Ledent y voit davantage une question d’équilibre politique.

«Il sera intéressant de voir comment la coalition allemande va dérouler son programme au sujet du ratio de la dette», ajoute Olivier Goemans. En effet, le gouvernement allemand mené par Christian Lindner, ministre des Finances, évoque la possibilité de calculer la dette publique différemment. «Le ministre des Finances est dans un mouvement néo-libéral traditionnel, avec une légère ouverture d’esprit. Cela peut être un laboratoire d’idées intéressant, en tout cas à suivre.»

Fed

Dans la foulée, Alexandre Gauthy attire l’attention sur le fait qu’il y aura aussi l’année prochaine et en 2023 «la plus grosse contraction budgétaire de l’histoire américaine». De fait, tous les regards se tournent aujourd’hui vers les États-Unis, puisque la Fed (Réserve fédérale américaine) commence progressivement à réduire son soutien à l’économie, «ce qui impacte déjà le revenu disponible des Américains», après être allée plus loin que toutes les banques centrales du monde, jusqu’à racheter une partie de la dette de certaines entreprises privées durant la crise.

En rachetant les bons du Trésor américain, la Fed a permis d’assurer la liquidité sur les marchés et de réduire les taux d’intérêt à long terme exigés par les investisseurs. Mais ces mesures touchent à leur fin. «Il y a eu de gros déficits en 2020 et 2021 avec les trois chèques envoyés aux Américains et l’augmentation des allocations de chômage, qui ont creusé un trou dans la politique budgétaire.» Par quoi cela va-t-il être compensé? «Potentiellement, par l’excès d’épargne qui a été accumulée pendant la crise, mais on voit aussi des ménages qui se réendettent. Donc il y aura d’autres moteurs de croissance, mais la contraction de la politique budgétaire sera un frein pour l’économie américaine dans les prochaines années.»

Inflation

Olivier Goemans se lance sans hésiter. Pour lui, 2022 sera une année où le sujet de l’inflation va occuper une large part des préoccupations des places financières dans le monde. «Banques centrales, économistes, financiers, personne n’a jamais réussi à prévoir l’inflation… Je pense qu’elle sera temporaire, mais à combien de temps? Elle ne s’autoalimente pas. Cela reste à voir. L’anticipation d’inflation appartient aux banques centrales qui ont la main pour ancrer les perspectives.» 


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Chine

Avec un secteur immobilier qui représente 30% de l’économie du pays et 5% de l’économie mondiale, la Chine est, pour Alexandre Gauthy, le sujet à suivre de près. «Sa stabilité politique et son programme d’investissements, les mesures du gouvernement mises en place pour soutenir le secteur immobilier et l’économie chinoise qui subit des variables seront scrutées en 2022.» L’idée est, selon lui, d’observer avec attention la décélération de l’économie chinoise, et de voir si elle est capable de se stabiliser, car elle est de nature à donner le la dans beaucoup de secteurs dans le monde.

Stabilisation

Pour Jean-François Jacquet, la stabilisation sera à observer sur plusieurs fronts en 2022. «D’abord, celui du pic de croissance qu’on a connu en 2021, qui devrait se normaliser, mais aussi celui lié à l’épidémie, avec la généralisation de la vaccination et la production disponible, on va apprendre à vivre avec elle.» Ensuite, concernant l’inflation, «qui témoigne aujourd’hui des effets de court terme, avec les mesures de soutien qui ont été prises par les différents gouvernements et ont créé un effet de demande. Elles devraient se stabiliser.»

Enfin, sur le front des chaînes d’approvisionnement, l’économiste prévoit une diminution des goulots d’étranglement dans certains secteurs, laquelle, s’ajoutant à une meilleure anticipation de la demande, devrait conduire à une forme de rationalisation également.