Pour Philippe Ledent, la création d’eurobonds montrerait une volonté de poursuivre la construction européenne. (Photo: Edouard Olszewski/Archives Paperjam)

Pour Philippe Ledent, la création d’eurobonds montrerait une volonté de poursuivre la construction européenne. (Photo: Edouard Olszewski/Archives Paperjam)

Les ministres des Finances de la zone euro se retrouvent ce 9 avril dans l’après-midi pour tenter de dégager un plan conséquent d’aide aux États les plus atteints par la crise sanitaire. Philippe Ledent, expert economist chez ING Belux, ne s’attend pas à un grand accord, mais plutôt à un compromis décevant.

Les négociations  qui reprend ses discussions ce jeudi après-midi. Quel est l’enjeu exact des débats?

Philippe Ledent. – «Il y a à la fois un enjeu économique et un enjeu politique, et les deux sont importants. Les premières données commencent à tomber dans différents pays, et on s’aperçoit que les chiffres sont effrayants, tant en termes de croissance que de finances publiques. Les taux d’endettement des États bondiraient entre 10% et 15%, et les déficits publics gonfleraient entre 5% et 10%. L’Eurogroupe doit apporter des réponses à ce choc qui a entraîné une énorme dégradation des finances publiques.

Pour l’instant, la réponse a été d’ordre monétaire avec les décisions de la Banque centrale européenne. Elle a d’abord annoncé l’augmentation de son programme de quantitative easing de 120 milliards d’euros lors de sa dernière réunion, avant de  pour contrer la crise du coronavirus. Mais ces programmes de rachat de dette ne sont pas permanents, ils ne courent que jusqu’à la fin de cette année. Pour la suite, l’Eurogroupe doit trouver des solutions.

Ils doivent donc trouver une solution à plus long terme pour aider les États en difficulté?

«Oui. À court terme, le plan de rachat de dette de la BCE peut suffire à soutenir les pays qui s’endettent fortement pour soutenir leur économie. Mais qu’en sera-t-il en 2021? D’où cette idée qui permettrait de mutualiser la dette des États.

L’idée est que ce soit la BCE qui achète massivement cette dette. Et, dans le meilleur des cas, elle n’en exigerait jamais le remboursement ou, par exemple, dans 50 ans. Mais l’idée est de lier le plan actuel de 750 milliards avec ces eurobonds et de faire en sorte que l’aide ne soit pas redondante.

Si l’Eurogroupe ne trouve pas de solution aujourd’hui, les marchés vont à nouveau s’affoler.
Philippe Ledent

Philippe Ledentexpert economistING Belux

Mais si la réunion a été ajournée, c’est que tout le monde ne semble pas d’accord avec cette idée…

«Effectivement, les Pays-Bas ne veulent pas entendre parler d’un financement permanent ni d’une mutualisation des dettes. Pour eux, la notion de solidarité est étrangère à la zone euro. Comme je le disais, l’enjeu est à plus long terme. Pour l’instant, le programme de la BCE suffit. Mais si l’Eurogroupe ne trouve pas de solution aujourd’hui, les marchés vont à nouveau s’affoler par crainte de l’implosion de la zone euro ou d’une sortie de l’Italie.

L’autre piste de solution pourrait venir de l’enclenchement du Mécanisme européen de stabilité?

«Oui, c’est un mécanisme européen qui va chercher des fonds sur les marchés et octroie des prêts à des conditions favorables aux États. Mais, la grande différence avec les eurobonds est qu’en contrepartie, il exige d’importants efforts budgétaires des pays aidés. Or, pour l’Italie, qui a connu une véritable catastrophe sanitaire, ce n’est pas le moment d’envisager cela. Reste alors la piste intermédiaire lancée par la France d’un fonds temporaire, d’une durée éventuelle de cinq ans. Mais les États seront-ils capables de rembourser cette dette dans un délai aussi court?

À quoi faut-il s’attendre dès lors?

«Je ne crois pas à un grand accord, mais plutôt à une solution intermédiaire, un compromis à l’européenne qui permette de calmer le jeu, mais qui décevra tout le monde. Or, l’urgence actuellement est surtout au niveau politique. Si, dans des conditions aussi dramatiques que celles que l’on vit actuellement, les États européens ne parviennent pas à dégager un accord de solidarité, c’est la preuve qu’ils n’y arriveront jamais. On ne verra jamais d’eurobonds. Si on créait par contre ces obligations communes, outre le fait que cela libérerait d’un poids les pays les plus touchés comme l’Italie, l’Espagne, la France ou la Belgique, ce serait la preuve que l’on avance dans la construction européenne. Ce serait très important.

Et en cas d’échec total, ce soir?

«Ce serait évidemment un très mauvais signal. Les investisseurs vont paniquer et vendre leurs obligations italiennes. Les dirigeants européens ne doivent pas non plus négliger la dimension émotionnelle de cette crise. L’Italie, qui a vécu un véritable drame, pourrait quitter la zone euro. Et il ne s’agirait pas ici d’un coup de poker comme l’a tenté la Grèce il y a quelques années, mais d’un sentiment d’exaspération face au manque de solidarité. J’espère que l’on n’en arrivera pas là.»