En cinq ans, de 2014 à 2018 – derniers chiffres disponibles –, le Luxembourg a exporté autant de déchets de la construction qu’au cours des 20 années précédentes. Alors que des capacités de stockage existent dans le pays. (Photo: Shutterstock)

En cinq ans, de 2014 à 2018 – derniers chiffres disponibles –, le Luxembourg a exporté autant de déchets de la construction qu’au cours des 20 années précédentes. Alors que des capacités de stockage existent dans le pays. (Photo: Shutterstock)

Double enquête à Wiltz, décharge à Ottange (côté français), analyse très critique de la Chambre des métiers: le Luxembourg a-t-il vraiment un problème avec ses décharges pour le secteur de la construction? Ce n’est pas si simple, répond l’entourage du ministre de l’Environnement.

«À l’heure actuelle, le Luxembourg ne dispose plus que de cinq décharges proprement dites, dont aucune n’accepte des terres (déblais) polluées. La répartition (localisation) géographique hétérogène des décharges oblige les camions à traverser tout le pays, afin de transporter des terres inertes et propres à leur destination finale. En moyenne, un camion de terrassement doit parcourir une distance d’environ 70km pour arriver finalement à une décharge», assure la Chambre des métiers dans une analyse très critique des décharges au Luxembourg, parue ce mardi.

«Ainsi, la situation actuelle conduit à des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires d’environ 10.000 to par an. Des émissions foncièrement inutiles et évitables, correspondant au besoin de chauffage de 1.500 maisons unifamiliales, soit l’ordre de grandeur de la ville de Diekirch avec ses 6.700 habitants», dit encore la CdM. «Les conséquences néfastes du manque de décharges ne s’arrêtent pas à une pollution superflue. Une estimation des déblais inertes générés par des projets d’investissement au sud du pays a montré que les seuls chantiers d’envergure créeront un ‘besoin en capacités de décharges’ d’environ 1,705 million de mètres cubes. Il s’agit notamment de l’extension de l’autoroute A3, du nouvel hôpital à Esch-sur-Alzette (dit ‘Südspidol’), du projet ‘Eurohub’ ou du contournement de Bascharage.»

Ce n’est pas l’image que renvoie le ministère de l’Environnement, avec des chiffres à prendre avec des pincettes et qui datent de 2019. Selon ces chiffres, les décharges luxembourgeoises disposent encore de 31 millions de mètres cubes disponibles, dont plus de 22 millions pour les trois carrières Feidt (8,3 millions à Brouch, 8,2 millions à Folschette et 5,7 millions à Altwies).

15 ans de marge de manœuvre au moins

«D’une manière générale», ajoute la porte-parole du ministre de l’Environnement, «et en prenant le réseau tel qu’il fonctionne aujourd’hui avec ses 12 sites, une durée résiduelle de l’ordre de 15 ans semble réaliste. Il est évident pourtant que cette durée augmentera de manière significative avec chaque nouvelle décharge rajoutée au réseau et mise en exploitation. Il en est de même pour chaque extension de site existant réalisée.»

La situation individuelle de chaque décharge dépend aussi de son utilisation et des disponibilités, ou encore du dynamisme du secteur de la construction.

Pour le ministre, deux autres phénomènes doivent être pris en compte. D’abord, , qui prévoyait, en 2017, la prévention de terres d’excavation, leur utilisation pour le remblayage, la stabilisation des taux de valorisation (90%) et une adaptation de la procédure de recherche pour des décharges inertes. Ensuite, note la porte-parole du ministre, «le problème de la disponibilité de capacités de mise en décharge de déchets inertes ne peut donc pas simplement être réduit à un manque de décharges, mais soulève aussi la question de savoir si les constructions futures continuent à utiliser de gros volumes bâtis en sous-sol ou si la planification est faite de façon à prévoir ces volumes hors sol, notamment en hauteur».

Le business du déchet dans la Grande Région

Mi-mars, le Parquet avait annoncé l’ouverture de deux enquêtes à Wiltz, après la découverte de deux décharges sauvages début février. Les faits divers de décharges sauvages viennent habituellement davantage de la région frontalière avec la France, comme si les employés du BTP déchargeaient leurs camions dans la forêt ou en bordure de route en rentrant.

Après 15 jours de tergiversations et sous la supervision du préfet de la Région Grand Est, la France n’a pas souhaité communiquer sur l’ampleur du phénomène, résumé par la liste et le volume des infractions constatées sur son territoire en provenance du Luxembourg.


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Mais certains maires frontaliers ont bien compris «l’aubaine» que cela pouvait représenter. Le 8 mars s’est terminée la consultation publique en vue de l’utilisation d’une nouvelle carrière à Ottange, à côté de celle de Cimalux. «La production moyenne envisagée est 72.250 tonnes par an pour une surface d’environ 1,8 ha», indique à Paperjam la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement. «Le dossier indique que les matériaux d’extraction seront utilisés pour les besoins du site (chemins, aménagements internes) et de la commune; aucune commercialisation ne sera réalisée. Les matériaux de découverte seront également utilisés pour les travaux de remise en état du site. Au final, la quantité de matériaux extraite sera de 144.500 tonnes et les vides d’exploitation seront remblayés par 310.760 tonnes de déchets inertes.»

La décharge, gérée par Habay Frères, permettra à la mairie de percevoir une rente de 1.000 euros par an pour la concession de la parcelle et 1,05€/m³ de remblai facturé, selon les calculs de nos confrères du Républicain Lorrain. Soit 47.614 euros par an et pendant sept ans.

Les déchets luxembourgeois, une niche lucrative pour la Grande Région, au point que la même question s’est posée à Audun-le-Tiche et Hunting. En cinq ans, selon les autorisations délivrées par le ministère de l’Environnement, 6,780 millions de tonnes ont été exportées, soit autant que les 20 années précédentes (7,1). Les habitants des zones frontalières vont-ils accepter de devenir les «poubelles du Luxembourg»? «Sur le plan moral et écologique, c’est sûr qu’on peut se poser la question, concède Fabienne Menichetti, la maire d’Ottange, au RL. «Mais il ne faut pas cracher dans la soupe: ne gazons-nous pas le Grand-Duché avec nos voitures?»