La Banque centrale européenne estime à 921 milliards d’euros la valeur des actifs dont les banques ne parviennent pas à se défaire. (Photo: Licence C.C.)

La Banque centrale européenne estime à 921 milliards d’euros la valeur des actifs dont les banques ne parviennent pas à se défaire. (Photo: Licence C.C.)

Étrennée en 1934 en pleine Grande Dépression aux États-Unis, la recette de la bad bank – une structure de défaisance chargée de récupérer les actifs toxiques d’une banque pour lui permettre de retrouver la confiance des investisseurs et donc sa capacité à prêter – a été ressortie des cartons à la faveur des déboires liés à la libéralisation du secteur bancaire dans les années 1980, de la Caisse d’épargne américaine aux banques suédoises Norbanken et Gota Bank en passant par le Crédit lyonnais en France.

Rien d’étonnant à ce que les bad banks refleurissent dans le contexte de la crise de 2008, dont les prémices étaient bien bancaires avec la titrisation prolifique des crédits subprime américains. Citigroup et Bank of America aux Etats-Unis, Hypo Real Estate, WestLB ou encore Commerzbank en Allemagne, Barclays et RBS au Royaume-Uni ont mis en place une structure où déverser leurs crédits faisandés, tandis que Sareb voyait le jour en Espagne pour écouler les actifs de Bankia, SNB StabFun en Suisse pour délester UBS et Royal Parc Investments en Belgique pour soulager Fortis.

Un seul exemple luxembourgeois

Même le Luxembourg a connu une structure analogue, à savoir Pillar Securitisation, à l’occasion de la liquidation de la filiale de la banque islandaise Kaupthing. «C’était une première au Luxembourg et elle a été réalisée de manière complètement artisanale, sans aucune base légale», se souvient Franz Fayot, avocat chargé de la liquidation de la banque en 2009. «Nous avons finalement obtenu l’accord de principe du tribunal. Ce n’était pas à strictement parler une bad bank car elle ne possédait pas seulement des actifs pourris. Elle a finalement fait ses preuves et existe toujours, tandis que Banque Havilland est née des cendres de Kaupthing avec une nouvelle activité de banque privée». Fin 2016, Pillar Securitisation détenait encore 78,8 millions d’euros d’actifs d’après le Registre du commerce et des sociétés.

Dix ans après l’effondrement des crédits subprime, le paysage des bad banks s’est quelque peu clairsemé. SNB StabFun (UBS) a remboursé l’intégralité du prêt octroyé par la Banque nationale suisse en 2013 soit près de 26 milliards de dollars. Créée en 2014 avec 110 milliards de livres d’actifs à risque élevé, Barclays Non-Core a fermé ses portes l’été dernier. Barclays a rapatrié les 27 milliards de livres restants dans ses livres.

Outre-Atlantique, Citigroup a débranché Citi Holdings, qui a géré jusqu’à 800 milliards de dollars d’actifs, et ne conservait plus que 54 milliards fin 2016. Dernière fermeture en date: celle de la bad bank de Royal Bank of Scotland, annoncée début décembre 2017. Les 16,1 milliards de livres d’actifs qu’ils lui restaient à écouler – sur 50 milliards – ont rejoint ceux de la banque.

De la Nama à Novo Banco

D’autres structures resteront en place durant plusieurs années encore. La Nama irlandaise, sous la tutelle du Trésor, vient de vendre ses dernières obligations mais doit encore écouler 1,6 milliard d’euros de dette obligataire privée d’ici 2020. Sareb, forte d’un portefeuille de 50,78 milliards d’euros en 2012, a jusqu’en 2027 pour trouver des acheteurs et combler la dette supportée par l’Etat espagnol. Elle a d’ores et déjà cédé 27% de ses actifs. La BAMC slovène est plus avancée – il lui reste 1 milliard d’euros d’actifs à écouler sur les cinq que lui avaient laissés six banques du pays.

Quant à UK Asset Resolution, fondée par l’État britannique pour gérer les actifs de Bradford&Bingley et Northern Rock après leur nationalisation, elle a jusque 2020 pour écluser les 23 milliards de livres d’actifs qui lui restent sur les 116 milliards légués en 2010.

Victime tardive de la crise de la dette souveraine, le Portugal a de son côté créé en 2014 Novo Banco, structure chargée de reprendre les actifs sains de Banco Espirito Santo tandis que celle-ci conservait ses actifs pourris. La roue a tourné puisque Novo Banco compterait actuellement un tiers d’actifs toxiques dans son portefeuille, raison pour laquelle elle a récemment annoncé, aux côtés de Caixa Geral de Depositos et de Millenium bcp, la création d’une plateforme privée vouée à écouler leurs actifs à risque.

Bataille d’idées européennes

Exemple à part, Royal Parc Investments, issue du démantèlement de Fortis, existe encore alors qu’elle a cédé l’intégralité de son portefeuille à Lone Star Funds pour 6,7 milliards d’euros – en partant de 11,7 milliards en 2009. Son activité principale réside désormais dans le suivi des dizaines d’actions judiciaires engagées aux Etats-Unis afin de réclamer des indemnités pour perte de valeur en lien avec des emprunts hypothécaires reconditionnés. Des procédures amenées à durer au vu du calibre des défendeurs: JP Morgan, Deutsche Bank, Goldman Sachs, Crédit Suisse, Royal Bank of Scotland, Merrill Lynch, Morgan Stanley, Bank of America, Barclays, Citi Group et UBS.

Le renouveau des bad banks n’est pas terminé puisque la Banque centrale européenne estime à 921 milliards d’euros la valeur des actifs dont les banques ne parviennent pas à se défaire. Un mal reconnu et pris en compte, mais auquel les institutions financières opposent des solutions diverses. En janvier 2017, l’Autorité bancaire européenne soumettait ainsi l’idée d’une bad bank paneuropéenne, jugée plus efficace, sans pour autant mutualiser le risque. Une proposition jugée «valable» par le président du Mécanisme européen de stabilité, Klaus Regling, même s’il souligne d’emblée la «complexité et la taille de la nouvelle entité» qui aurait à gérer 250 milliards d’euros de prêts non performants (NPL) selon la terminologie officielle.

La Commission comme la BCE sont plutôt parties pour une supervision accrue des NPL au sein des banques. La BCE a ainsi livré en octobre dernier de nouvelles règles s’appliquant aux créances risquées à venir: les banques devraient provisionner la totalité des prêts dont le recouvrement semble incertain. Une annonce qui a mis l’Italie, affaiblie par un ratio de 14,79% de NPL, en rage. Même si elle n’est pas la seule à dépasser le seuil des 10% de NPL: Grèce, Chypre, le Portugal, la Bulgarie, l’Irlande, la Hongrie, la Roumanie, la Croatie et la Slovénie l’accompagnent.

Quant à la réduction de l’encours des prêts toxiques – 4,5% du total –, l’institution de Francfort planche sur de nouvelles mesures. Et a profité de sa Revue de stabilité financière parue en novembre dernier pour suggérer sa propre solution: la création d’une plateforme créée par le secteur privé et mettant en relation banques et investisseurs de manière plus transparente qu’actuellement. Avantage de l’opération: cette plateforme ancrerait dans le secteur privé, responsable de la prise de risque au départ, la résolution du problème des actifs toxiques. Les États n’auraient aucun intérêt à s’en mêler au vu de la sensibilité de la Commission concernant ce qui ressemble de près ou de loin à une aide d’Etat. Et les banques y trouveraient leur compte, puisqu’elles peinent à écouler des actifs qui n’intéressent qu’une minorité d’investisseurs spécialisés dans cette niche, lesquels se sont constitués en lobby et maintiennent une forte pression à la baisse des prix de vente de ces actifs. Ce qui a pour effet d’accroître les pertes des banques, mais aussi de réduire l’impact des politiques budgétaires menées par la BCE. L’année 2018 devrait voir des avancées significatives dans ce dossier sur fond de lutte d’influence entre les différentes institutions et les Etats membres.