Michel-Édouard Ruben, économiste à la Fondation Idea et Carlo Thill, président du comité de direction de BGL BNP Paribas et responsable Pays du Groupe BNP Paribas au Luxembourg. (Photo: Fondation Idea et BGL BNP Paribas)

Michel-Édouard Ruben, économiste à la Fondation Idea et Carlo Thill, président du comité de direction de BGL BNP Paribas et responsable Pays du Groupe BNP Paribas au Luxembourg. (Photo: Fondation Idea et BGL BNP Paribas)

«Pratiquement rien!»

Par Michel-Édouard Ruben, économiste à la Fondation Idea

Il me semble que la meilleure et plus sincère réponse à cette question est RIEN!

Nous avons certes beaucoup appris avec cette crise! Nous savons désormais avec certitude que l’innovation financière (titrisation de crédits, tranching, CDS) peut — compte tenu de l’interconnexion des marchés financiers — transformer un problème sur un segment restreint de marché (subprime) en un cataclysme économique mondial, nous savons que certaines institutions financières sont vraiment too big to fail compte tenu des effets négatifs qui ont suivi le non-sauvetage de Lehman, nous savons que la régulation peut être dépassée par la complexité financière (shadow banking, titrisation) et en même temps contribuer à l’engendrer, nous savons que la politique monétaire peut précipiter les crises (rôle des hausses de taux de la Fed sur les défauts de subprime) et que l’inventivité des banquiers centraux prêts à faire «whatever it takes» est sans limite (LTRO, TLTRO, OMT, SMP, PSPP, CSPP, ZIRP, NIRP, etc.).

Nous savons par ailleurs que l’appréciation des risques (souverains et autres) par les agences de notation n’est pas toujours fiable, nous avons vu qu’une coordination mondiale était possible (création du conseil de stabilité financière par le G20) et que le level playing field n’était pas qu’un vain mot (projet BEPS), nous avons redécouvert combien Friedman avait raison en déclarant que «tout le monde utilise le langage et l’appareil d’analyse keynésiens» (le multiplicateur budgétaire a été très souvent cité), nous avons vu qu’il n’était ni impossible ni interdit d’interdire (interdiction des produits dérivés à nu, interdiction des ventes à découvert, encadrement des bonus à certains moments de la crise), et surtout la crise a rappelé combien l’excès d’endettement — comme l’excès d’alcool — avait son lendemain inévitable et difficile. Que de leçons!

Compte tenu de tout ce qui a été observé, (re)découvert, appris, il y a eu une large volonté de régulation financière afin de renforcer la stabilité du secteur qui s’est traduite par de nombreuses réformes nationales (Dodd-Franck aux USA, loi de réforme bancaire au Royaume-Uni, etc.), européennes (Union bancaire, MIFID, EMIR, Mécanisme de supervision unique, etc.), ou supranationales (Bâle III, recommandations du GAFI, standards d’échange de renseignements en matière fiscale, etc.).

Toutefois le vent (de l’offensive de régulation) semble avoir tourné et la nécessité de pause, que le Commissaire européen aux services financiers Jonathan Hill appelait de ses vœux en 2016, semble être le nouveau credo. Cela est souvent évoqué concernant les États-Unis avec la volonté clairement affichée par la nouvelle Administration en place d’alléger le cadre règlementaire (divers décrets présidentiels en ce sens, soutien au Financial Choice Act vise à remplacer le Dodd Frank Act, etc.). Mais cela est également vrai de l’Europe où le projet le plus en vue concernant la finance est l’Union des marchés des capitaux (UMC) avec la relance de la titrisation (qui serait dès lors simple, transparente et standardisée) comme élément central. Différents pays européens se sont par ailleurs lancés dans un concours de beauté (fiscal et règlementaire) pour attirer la finance en provenance de Londres, Brexit oblige.

À cet égard, le Luxembourg a su rester digne et ne pas se lancer dans une course au moins-disant, alors qu’un voisin… où jadis il était dit que «la finance était l’ennemie» fait preuve de moins de scrupules. Aussi de nombreux décideurs européens (y compris des régulateurs et des Banquiers centraux) sont vent debout contre ce qu’ils appellent (pas forcément à raison) Bâle IV et qui vise à sécuriser davantage les bilans des institutions bancaires; l’argument avancé est généralement celui qu’une hausse supplémentaire des exigences de fonds propres ou un encadrement trop strict des ratios de levier peuvent être néfastes pour les prêts à l’économie, pourtant la recherche économique est formelle, «les banques les plus capitalisées sont celles qui consacrent la plus grande part de leurs ressources au crédit et qui l’ont le moins restreint pendant la crise»!

La finance est toujours aussi complexe

Michel-Édouard Ruben

Tout cela prouve qu’en réalité nous n’avons rien retenu des leçons de la crise des subprimes! On dérégule, on veut faire une pause dans la régulation, ou on envisage de déréguler alors qu’à bien observer, en dépit du renforcement des exigences de fonds propres des banques et d’une plus grande surveillance du système financier, les excès/anomalies passés ont toujours cours, et il n’y a nullement lieu de baisser la garde, car comme le dit le FMI «une inversion généralisée du renforcement de la réglementation et de la supervision financières aurait des retombées négatives sur la stabilité financière mondiale».

L’innovation financière n’a pas ralenti et est toujours vue — sans questionnement sur son utilité sociale — comme venant compléter à bon escient les marchés financiers. Signalons à cet égard les fintech qui créent de nouveaux risques stratégiques, les cryptomonnaies qui sont des monnaies sans État et posent des questions nouvelles en termes de risques de conformité et de menaces cybernétiques ou le trading haute fréquence responsable de flash crashes. Aussi, les banques systémiques sont plus nombreuses (28 en 2012, 30 en 2016) et toujours autant «trop grosses pour péricliter» (leur taille moyenne a même augmenté par le jeu des fusions, acquisitions, consolidations). La finance est toujours aussi complexe (les sigles se sont multipliés), l’essor du shadow banking ne s’est pas inversé, et les produits dérivés — certes plus encadrés — ont encore droit de cité. La régulation semble toujours autant à la traîne (le numéro 2 de la Fed reconnaissait il y a peu la compréhension encore incomplète des acteurs liés au shadow banking par les régulateurs). Les politiques monétaires ressemblent de plus en plus à de l’art abstrait, les taux d’intérêt ne semblent plus vraiment renseigner le prix du risque à tel point que certains se demandent si une hausse des taux (voire une simple annonce) ne risque pas de se transformer en crise budgétaire.

La dette mondiale (publique et privée) du secteur non financier atteint 230% du PIB; un record et un comble quand on sait que le monde a connu une crise de... surendettement en 2007. La valorisation des marchés actions, l’évolution des prix immobiliers dans certains pays, ou les opérations de fusions acquisitions qui se multiplient ne peuvent s’expliquer uniquement par l’amélioration des perspectives économiques et semblent davantage relever de comportements spéculatifs permis par le crédit bon marché et l’excès d’épargne. Au milieu de tout ceci, la finance chinoise se développe, se transforme, s’internationalise sur fond d’excès de crédit qui pourrait provoquer — si incident fâcheux — une crise de confiance généralisée. Il n’y a pas à dire nous n’avons RIEN retenu de la crise des subprimes!

À la question pourquoi en a-t-il été ainsi alors que la crise offrait une occasion formidable de transformer la finance pour la mettre davantage au service de l’économie? La réponse la plus souvent offerte est celle de la capture du régulateur. «Le secteur financier a exercé un lobbying intense pour préserver sa structure et faire barrage aux changements nécessaires», déclarait le Président de la Fed de Minneapolis en février 2016. Cette réponse pas nécessairement fausse me semble pourtant incomplète, car elle exonère le principal responsable à savoir… nous tous (la collectivité), toujours à la recherche de crédits bon marché, de placements qui rapportent, et jamais rassasiés d’investir dans des produits que nous ne comprenons guère mais qui nous promettent de faire fructifier nos avoirs! Si rien n’a été retenu, c’est peut-être parce que nous avons fait le choix collectif d’être myopes aux désastres futurs!

«Les banques centrales ont joué un rôle clé»

Par Carlo Thill, président du comité de direction de BGL BNP Paribas et responsable Pays du Groupe BNP Paribas au Luxembourg

Une des conséquences principales de la crise a été un renforcement considérable de la réglementation bancaire. Afin d’assurer une meilleure résistance à des chocs éventuels, le capital réglementaire des banques a fortement augmenté depuis 2007. Il en est de même des liquidités que les banques sont obligées de détenir. En effet, la crise a montré que même une banque qui est bien capitalisée peut être vulnérable si elle n’a pas de liquidités suffisantes.

La crise des subprimes a également mis en évidence l’importance de mécanismes d’amplification. Les pertes cumulées sur tous les produits financiers liés aux subprimes américains étaient de l’ordre de 250 milliards de dollars au pire moment de la crise. Ce chiffre peut paraître important, mais en fait il ne représente que 0,5% de la richesse des ménages américains. La question est donc de savoir comment un choc relativement modeste dans un pays peut avoir des effets aussi importants au niveau mondial. Des efforts considérables ont été entrepris pour mieux comprendre les canaux de transmission et d’amplification qui étaient à l’œuvre pendant la crise. Une conclusion pour les régulateurs et les fonctions de risk management au sein des institutions financières est qu’il n’est pas suffisant de suivre des indicateurs agrégés dans l’évaluation des risques. Les fonctions de risk management au sein des banques ont d’ailleurs été considérablement renforcées depuis la crise.

Finalement, il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’intervention des autorités publiques. Heureusement, les erreurs commises pendant la Grande Dépression des années trente n’ont pas été répétées. À l’époque, de nombreuses faillites bancaires avaient eu lieu sans intervention des autorités avec comme résultat une contraction nettement plus importante du crédit et de l’activité économique. En particulier, les principales banques centrales ont joué un rôle clé depuis 2007: leurs interventions non conventionnelles, menées à grande échelle, ont permis d’éviter le pire.