Gazprombank se chargera désormais de convertir les montants des commandes de gaz russe en roubles. (Photo: Shutterstock)

Gazprombank se chargera désormais de convertir les montants des commandes de gaz russe en roubles. (Photo: Shutterstock)

Avec son décret obligeant les importateurs de gaz russe à passer par Gazprombank pour régler leurs commandes, le Kremlin met les États européens au pied du mur. De la sorte, Moscou évite que sa troisième plus importante banque systémique puisse faire l’objet de sanctions européennes et se fasse éjecter de Swift, tout en stimulant la demande de roubles.

Alors qu’au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, les États européens s’attelaient dans l’urgence à se sevrer des approvisionnements de gaz russe, Moscou avait préalablement annoncé que ses livraisons auprès de certains «pays hostiles» devraient être réglées en roubles. Ce qui restait jusqu’à présent une menace est devenu réalité avec la signature, ce jeudi, d’un décret par le président russe, Vladimir Poutine, obligeant les acheteurs occidentaux de gaz à ouvrir un compte spécial chez Gazprombank à partir de ce 1er avril.

Sous licence luxembourgeoise, Gazprombank  de la part de l’Union européenne économique et se trouve encore connectée au réseau d’information financière sécurisée Swift. Ce qui lui donne un rôle-clé à jouer dans le modèle de paiement en cours d’élaboration. L’argent pour payer les livraisons sera versé en euros sur un compte spécial, dit «K», chez Gazprombank, qui, à son tour, se chargera de convertir et envoyer les sommes concernées vers la Russie.

Dans la foulée de la signature du décret, le patron du Kremlin s’était montré catégorique, menaçant de couper le robinet d’approvisionnement, à l’occasion d’une intervention retransmise à la télévision en Russie ce jeudi: «Si de tels paiements ne sont pas effectués, nous considérerons cela comme un défaut de la part des acheteurs, avec toutes les conséquences qui en découlent. Personne ne nous vend quoi que ce soit gratuitement, et nous n’allons pas non plus faire de charité – c’est-à-dire que les contrats existants seront annulés.»

Le canal diplomatique

En amont des déclarations de Vladimir Poutine, la diplomatie européenne avait poursuivi son travail depuis que le Kremlin avait établi une liste de pays hostiles par décret présidentiel le 5 mars. 42 pays se retrouvent sur cette liste, dont l’ensemble des États membres de l’Union européenne ainsi que les États-Unis et d’autres pays, tels le Japon, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie. Ce décret prévoyait déjà que les citoyens et entreprises russes débiteurs de créanciers étrangers figurant sur cette liste pourraient honorer leurs dettes en roubles.

Mercredi, le gouvernement allemand déclarait avoir reçu l’assurance de Moscou que les pays européens ne devraient pas régler leurs échanges de gaz en provenance de la Russie en roubles, mais bien en euros ou dollars. La presse allemande rapporte que l’éventualité de passer par Gazprombank pour effectuer les échanges avait alors été évoquée par Vladimir Poutine au cours d’un échange téléphonique avec son homologue allemand, Olaf Scholz. Une solution que le chancelier allemand aurait refusée, demandant toutefois des informations écrites, selon les médias allemands.

Selon un communiqué de presse du Kremlin, le président russe a affirmé à Olaf Scholz que «la décision prise ne devrait pas conduire à une aggravation des conditions contractuelles pour les importations européennes». Il a également motivé ses exigences, mentionnant qu’en «violation des règles normales du droit international, les réserves de change de la Banque de Russie ont été gelées par les États membres de l’Union européenne».

Contrebalancer les sanctions

La décision de Moscou va-t-elle pour autant inverser la vapeur dans la guerre économique entre l’Union européenne et la Russie, ou bien aura-t-elle pour effet de maintenir un statu quo? Selon le cabinet de consultance en énergie ICIS, les ventes de gaz de la Russie à l’Europe sont estimées à 350 millions de dollars par jour. Un tel montant quotidien facturé par les entreprises exportatrices russes démontre donc déjà un effet limité des sanctions européennes, indépendamment du modèle de paiement utilisé.

En outre, les euros échangés en roubles par Gazprombank auront pour effet de stimuler la demande en devise russe, contribuant ainsi à la renforcer. Le cours de cette dernière avait fortement chuté depuis le 24 février, avant d’entamer une tendance de rebond. Au début du mois de mars, le rouble ne s’échangeait plus qu’à 150 pour un dollar, ayant perdu plus de la moitié de sa valeur en moins de deux semaines. Depuis lors, le rouble a quasiment retrouvé son niveau d’échange au 23 février, la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, soit 81,7 roubles pour un dollar.

Le Kremlin écarte finalement le risque que Gazprombank puisse devenir l’objet de sanctions économiques. L’institution bancaire constitue , derrière Sberbank et VTB Bank, avec 8,3 trillions de roubles d’actifs sous gestion.

Différentes sources ont indiqué à Reuters, ce mercredi 30 mars, que la Commission européenne serait occupée à préparer un nouveau train de sanctions à l’encontre de la Russie. Sans pour autant révéler leur teneur, l’article de Reuters laissait entrevoir que ces éventuelles nouvelles sanctions pourraient être plus strictes que les précédentes si Moscou persistait à vouloir se faire régler ses livraisons de gaz en roubles.