L’entité luxembourgeoise Gaz Capital SA a initialement prévu une cinquantaine de prêts à Gazprom d’ici 2037. (Photo: Shutterstock)

L’entité luxembourgeoise Gaz Capital SA a initialement prévu une cinquantaine de prêts à Gazprom d’ici 2037. (Photo: Shutterstock)

Une entité luxembourgeoise, Gaz Capital SA, émet depuis près d’une vingtaine d’années des titres échangés sur des bourses européennes, dont celle de Luxembourg, en vue de financer des prêts à Gazprom. Les dernières sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie en réponse à sa guerre menée en Ukraine ont coupé Gazprom d’une de ses sources de financement.

Le jour même de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février, la banque centrale russe, la Banque de Russie, décidait d’étendre sa liste Lombard. Cette dernière constitue le registre des titres qu’elle est prête à accepter comme garantie des opérations de refinancement des établissements de crédit.

À cette occasion, le service presse de la banque centrale de Moscou s’exprimait ainsi: «Compte tenu de l’évolution du marché financier, la Banque de Russie a décidé d’étendre sa liste Lombard en y incluant un certain nombre d’émissions d’obligations adossées à des créances hypothécaires, d’obligations d’entreprises et d’eurobonds.» Cette démarche visait à «assurer la continuité des activités du secteur bancaire et soutenir la capacité des établissements de crédit à lever des liquidités par le biais d’opérations de refinancement».

Une analyse de la liste Lombard y révèle la présence d’une douzaine de titres émis par une entité de droit luxembourgeois, Gaz Capital SA, dont les trois administrateurs sont des citoyens allemands. À la lecture de ses derniers statuts coordonnés, nous y apprenons que la société, créée en 2003, joue le rôle de véhicule à usage unique – un special purpose vehicle (SPV) – pour Gazprom, société énergétique détenue par l’État russe. Gaz Capital SA a ainsi pour principal objet social l’émission de titres de dette dans le but de financer des prêts à Gazprom.

Les comptes annuels audités de Gaz Capital SA au 31 décembre 2020 montrent que ses actifs financiers s’élevaient alors à plus de 12,36 milliards d’euros, ventilés uniquement en prêts à des entreprises affiliées, c’est-à-dire au groupe Gazprom.

Une cinquantaine de prêts

Gaz Capital SA a prévu une cinquantaine de prêts à Gazprom, échelonnés d’ici 2037. Le prêt le plus récent devait initialement avoir lieu le 7 mars dernier pour un montant de 1,3 milliard de dollars. Les deux prochains prêts planifiés sont échus le 19 juillet 2022 et le 17 novembre 2023, respectivement pour la somme d’un milliard d’euros et d’un milliard de francs suisses.

Toutefois, le règlement européen 2022/328 du 25 février 2022 encadrant les dernières mesures de rétorsion économique à l’encontre de la Russie précise qu’il est désormais interdit d’accorder de nouveaux crédits à des entités russes faisant l’objet de sanctions, dont Gazprom. Ce qui empêche dès lors l’entité luxembourgeoise d’opérer ses prêts échelonnés à Gazprom.

Comme l’expliquent les derniers comptes annuels, le risque de crédit constitue la principale source d’incertitude pour Gaz Capital SA. En effet, la majorité de ses actifs financiers étant composés de prêts à Gazprom, cela pose un risque de recouvrabilité de ces prêts. La société précise également que les prêts accordés comportent un degré de risque découlant des fluctuations des montants et du moment de réception des intérêts.

La douzaine de titres émis par Gaz Capital SA recensés par la Banque de Russie sur la liste Lombard sont tous négociés sur des bourses européennes. L’un de ceux-ci était justement échangé en Bourse de Luxembourg jusqu’il y a peu. Cette dernière l’a suspendu depuis le 1er mars en raison de «sanctions financières».

La plupart des titres suspendus

Contactée par Paperjam, la Bourse de Luxembourg confirme avoir pris la décision de suspendre la cotation des titres de dette émis par Gaz Capital SA sur son marché réglementé. Bien que l’émetteur soit une société de droit luxembourgeois qui n’est pas directement concernée par les sanctions adoptées par l’Union européenne, la Bourse de Luxembourg explique toutefois que, sur base de son prospectus, il apparaît que Gaz Capital SA a été créée pour financer des prêts octroyés à Gazprom.

La Bourse de Luxembourg rappelle que les sanctions européennes visent directement Gazprom. Elle note également que ces sanctions interdisent d’accorder des prêts et des crédits à des sociétés sous sanction.

Le prospectus de Gaz Capital SA indique en effet que «chaque transaction sera structurée comme un prêt à Gazprom par l’émetteur», Gaz Capital SA étant mentionné comme l’émetteur, et Gazprom comme l’emprunteur. «L’émetteur émettra des titres dans le seul but de financer ce prêt», est-il précisé dans le prospectus.

Alors que sept autres titres émis par Gaz Capital SA sont négociés en Bourse de Francfort, cette dernière a déclaré à Paperjam les avoir suspendus avec effet immédiat le 28 février. «En raison des récents développements en Ukraine et des sanctions subséquentes imposées par l’UE en ce qui concerne les services financiers, un certain nombre de titres d’émetteurs russes ont été suspendus», nous est-il expliqué. 25 titres, dont ceux de Gaz Capital SA, ont ainsi été suspendus le même jour.

Un univers de cinq sociétés au Luxembourg

La Bourse de Francfort déclare que, de plus, Deutsche Börse, dont elle dépend, a annoncé que «la négociation de tous les instruments sur les obligations russes, les titres individuels et les produits structurés connexes, ainsi que les ETF avec une part prédominante de titres russes, sera suspendue jusqu’à nouvel ordre afin de protéger le public».

L’unique titre émis par Gaz Capital à être échangé à la Bourse de Stuttgart a quant à lui été suspendu du 2 mars au 3 mars, avant d’être échangeable à nouveau le 4 mars à l’ouverture de séance.

Pour rappel, le groupe Gazprom compte enregistrées au Luxembourg, en l’occurrence Gazprom Net International SA, Bank GPB International SA, GazAsia Capital SA et GPB Finance Sàrl.

Le service de presse de Gazprom au Luxembourg a été sollicité par Paperjam pour réagir, mais il n’a pas donné suite à la demande.