L’analyse des flux commerciaux russes révèle un rapprochement progressif de Moscou avec la Chine. (Photo: Shutterstock)

L’analyse des flux commerciaux russes révèle un rapprochement progressif de Moscou avec la Chine. (Photo: Shutterstock)

Avec un PIB inférieur à celui du Benelux et une économie fortement dépendante des investissements étrangers, la Russie fait-elle le poids dans la guerre économique? Pour en savoir plus, nous avons analysé les données macroéconomiques du pays.

Dans ses prévisions macroéconomiques publiées en février, la banque centrale russe prévoyait le pire. En effet, d’une part, elle envisageait une détérioration de la pandémie de Covid-19 au cours de l’année. D’autre part, ses estimations d’une inflation persistante l’amenaient à conclure à un scénario de crise financière. Il est attendu que chacun de ces deux facteurs combinés provoque un ralentissement de la croissance économique.

Sans fournir davantage de précisions, la banque centrale fait également mention des risques géopolitiques parmi les facteurs d’incertitudes macroéconomiques, provoquant de même un recul de l’économie, ainsi que des pressions pro-inflationnistes à court terme dues à une grande volatilité sur les marchés financiers.

Sujette à des premiers trains de sanctions américaines et européennes dans la foulée de son annexion de la Crimée en 2014, l’économie russe en avait déjà subi les conséquences au niveau de sa croissance économique.

Pour rappel, le PIB de la Russie s’élevait à 1.483,50 milliards de dollars en 2020. À titre de comparaison, le PIB additionné des pays du Benelux atteignait quant à lui 1.502,26 milliards de dollars cette année-là. Pour sa part, le PIB de l’Union européenne touchait les 15.291,93 trillions de dollars.

La banque centrale a-t-elle anticipé la guerre en Ukraine débutée le 24 février par les forces armées russes? Dans le cas contraire, il est fort à parier que les scénarios qu’elle avait alors envisagés risquent de s’assombrir encore davantage, au regard des nouveaux et différents trains de sanctions des pays occidentaux qui ont frappé la Russie au cours des trois dernières semaines.

Une refonte du secteur bancaire au cours de la dernière décennie

Tout comme la Russie s’était préparée à sur son territoire et à , la banque centrale avait commencé à augmenter ses réserves de dollars, d’euros et d’or. Malgré tout, le ministre russe des Finances, Anton Silouanov, déclarait le 3 mars que près de la moitié des réserves de devises étrangères et d’or du pays avaient été gelées à la suite des premières sanctions.

Le 28 février, le département du Trésor américain et le Conseil européen votaient des sanctions ciblant notamment tout spécialement la banque centrale russe. De ce fait, cette dernière ne peut plus accéder à ses avoirs déposés dans des banques privées centrales et établissements de crédit, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. En réponse, le ministre russe des Finances avait déclaré qu’il serait alors «absolument juste» d’effectuer les paiements relatifs à sa dette souveraine en roubles jusqu’à l’extinction des sanctions qui ont rendu inutilisables près de 300 milliards de dollars d’actifs appartenant à la banque centrale russe.

Bien que l’une des fonctions d’une banque centrale inclue notamment le financement des banques privées, Moscou avait initié une réduction significative de cette source de financement depuis plusieurs années. Une augmentation des dépôts des particuliers est arrivée comme alternative.

Une «dédollarisation»

Si le financement des banques russes est devenu un casse-tête depuis l’invasion de l’Ukraine, de nombreuses institutions bancaires font désormais l’objet de sanctions et une dizaine d’entre elles sont . Pour autant, l’évolution du paysage bancaire russe témoigne d’une disparition de 608 institutions bancaires en l’espace de 10 ans. Paradoxalement, le volume des actifs du secteur bancaire a quant à lui triplé au cours de la même période.

Simultanément à une refonte de son secteur bancaire, la Russie a entrepris une «dédollarisation» de son économie depuis son annexion de la Crimée, qui avait déjà provoqué des trains de sanctions à l’encontre de certaines de ses banques. En témoignent les prêts des banques en devises étrangères, tout particulièrement en dollars, aux entreprises et particuliers qui ont drastiquement chuté depuis 2015.

La coupure du canal d’accès des investisseurs étrangers aux obligations d’États russes pourrait bien porter préjudice au marché obligataire russe. En effet, les OFZ représentent environ la moitié du volume du marché obligataire russe.

Avec certaines de ses 13 banques systémiques soumises à des gels de leurs dépôts à l’étranger ou exclues du réseau de la messagerie financière Swift, les premiers effets n’ont pas tardé à se faire sentir. Le 28 février, la Banque centrale européenne (BCE) déclarait que Sberbank Europe AG, la filiale européenne de la plus importante banque systémique russe, se trouvait en état de quasi-faillite. Domiciliée en Autriche, Sberbank Europe AG a également une filiale en Croatie et une autre en Slovénie, toutes deux aussi concernées par la notice de la BCE.

Bank FC Otkritie, une autre banque systémique russe, est également la cible des sanctions occidentales, notamment avec son exclusion de Swift. La banque centrale en détient 100% des parts. Cette dernière avait justement prévu de les revendre à des investisseurs stratégiques et via une entrée en bourse. La banque centrale de Russie l’avait d’ailleurs encore confirmé en février, quelques jours avant l’entrée des troupes russes en Ukraine. Toutefois, la banque centrale a annoncé le 11 mars suspendre la revente de ses parts.

Mi-mars, la presse financière internationale rapportait la possibilité d’un risque d’effet domino de faillites dans le paysage bancaire russe. Les récentes vagues de sanctions inédites mettent les banques russes sous pression, limitant leurs capacités à faire face à leurs obligations en devises étrangères. Ce qui pourrait mener, à moyen terme, à une détérioration importante du profil financier des banques. Les agences de notation internationales, ainsi que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), s’attendent d’ailleurs à un prochain défaut de paiement de la Russie. Fait exceptionnel, les agences de notation s’inquiètent d’ailleurs d’un défaut de paiement volontaire de la part du Kremlin en réponse aux sanctions.

Le 26 février, S&P descendait la note de la Russie de BB+ à BBB–.

Des sanctions indirectes

Les sanctions directes contre une partie des banques russes et le rejet de certaines de celles-ci de Swift ne constituent pas la seule épée de Damoclès qui risquait de leur tomber sur la tête. Conséquence indirecte des sanctions, les deux principales chambres de compensation européennes, Clearstream à Luxembourg et Euroclear à Bruxelles, avaient annoncé  de leurs activités de clearing relatives aux règlements libellés en roubles et des titres domestiques russes.

À la fois Clearstream et Euroclear permettent aux marchés financiers russes d’accéder à leurs équivalents européens, et vice versa. Toutes deux, renseignées sur le site web de la banque centrale de Russie comme point d’entrée et de sortie à l’économie russe, permettaient jusqu’alors aux investisseurs européens , les Obligatsyi Federal’novo Zaima (OFZ).

L’autre moitié des marchés obligataires, constituée des obligations d’entreprises, est pour sa part essentiellement composée de titres en roubles, mais aussi à près du quart en titres libellés en devises étrangères, des eurobonds.

Également au niveau des fonds d’investissement, l’épargne russe est essentiellement investie dans des liquidités et des dépôts bancaires, dont une grande partie se trouve à l’étranger.

Des flux commerciaux avec la Chine

Une analyse des flux commerciaux internationaux de la Russie met également en lumière une forte dépendance à certaines économies européennes, et aux États-Unis dans une moindre mesure.

Toutefois, la Chine pourrait bien se profiler comme le futur partenaire économique privilégié de la Russie. Au niveau des importations de services, la Chine se positionnait déjà comme quatrième pays exportateur vers la Russie en 2020. En ce qui concerne les importations de produits, la Chine occupait de loin la première place, devant les Pays-Bas et l’Allemagne.

Alors que neuf des dix principales compagnies maritimes internationales ont totalement radié la Russie de leurs routes de commerce, seule la société chinoise Cosco a maintenu son lien avec la Russie.

À l’instar de ses importations, l’économie russe, déjà en 2020, démontrait un lien développé avec la Chine dans ses exportations. Outre un développement commercial grandissant avec la Chine, la Russie serait actuellement en cours de discussion avec l’Inde, rapporte l’agence de presse Reuters. Avec 80% de son pétrole importé, l’Inde constitue une destination de choix pour la Russie en recherche de nouveaux acheteurs suite à américain sur son pétrole.

Le Luxembourg, 5 e  destination des investissements russes

Jusqu’à présent, l’économie russe dépendait encore principalement du Royaume-Uni et de Singapour en termes d’investissements directs étrangers. Loin derrière, la Chine était quand même en troisième position, dépassant de nombreux pays occidentaux, dont les États-Unis.

En retour, les investissements directs étrangers russes ne semblent pas viser particulièrement la Chine. Cette dernière ne se retrouve pas dans la liste des 10 principales destinations des investissements directs étrangers opérés par la Russie. Principalement des pays européens occupent le haut du classement. À noter que le Luxembourg constituait le cinquième principal pays bénéficiaire des investissements directs étrangers russes en 2020.