Sur le terrain  – La Chambre de commerce multiplie les visites d’entreprises afin que les lycées découvrent une panoplie de métiers qui pourraient les inspirer. (Photo: Chambre de commerce)

Sur le terrain – La Chambre de commerce multiplie les visites d’entreprises afin que les lycées découvrent une panoplie de métiers qui pourraient les inspirer. (Photo: Chambre de commerce)

L’enseignement secondaire cultive son rapprochement avec le monde professionnel avant une révision du contenu des différentes filières.

L’enseignement secondaire marque la fin de l’enfance puisque les élèves doivent choisir leur filière en fin de cycle 4 pour les enfants de 10 à 11 ans. La filière classique reste la voie royale pour qui aspire à poursuivre des études universitaires, comme d’ailleurs les programmes non nationaux (filières germano-luxembourgeoise, britannique, européenne et internationale). La filière technique peut également y conduire, tandis que la filière professionnelle lance les élèves dans la vie active dès 17 ans.

Doit-on vraiment parler de préparation à la vie active pour cette jeunesse encore tendre? «Le devoir principal du lycée est la transmission de connaissances générales, un bagage intellectuel, et la capacité d’adapter ses con­naissances tout au long de sa vie, souligne Raoul Scholtes, président de la Feduse, le syndicat des enseignants du secondaire. Il avait été dit il y a quelques an­­nées qu’un élève en fin de lycée devrait être capable d’ouvrir un journal et d’en comprendre tous les articles. L’objectif n’est pas de préparer des petites fourmis.»

Marc Muller, président de la Conférence nationale des professeurs de sciences économiques et sociales, déplore d’ailleurs la suppression de l’ancien cours obligatoire d’économie et culture générale, évincé il y a dix ans pour donner plus de place à l’enseignement des sciences naturelles. «Il faut parler aux lycéens des trois secteurs de l’économie avant qu’ils ne choisissent leur métier. Leur parler de la finance privée, des énergies renouvelables, du budget de l’État, des pensions… C’est cela aussi l’éducation des citoyens.»

Les cinq prochaines années seront marquées par un travail sur le contenu des formations pour les moderniser, ce qui n’est pas évident puisque nous devons éduquer des jeunes pour des métiers qui n’existent pas encore.

Claude Meischministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse

Les enseignants considèrent avec un peu d’ironie les mesures les plus visibles lancées par le ministère de l’Éducation nationale pour moderniser l’enseignement, notamment à travers la dotation de tablettes numériques et de ta­bleaux interactifs. «Il faudrait déjà que chaque salle de cours dispose d’un ordinateur, d’un téléviseur, de haut-parleurs multimédias et d’un accès wifi performant», estime Marc Muller. Sans oublier des salles supplémentaires pour permettre de diviser une classe en petits groupes. «L’iPad ou le tableau interactif, comme le principe de la classe inversée – les élèves ap­prennent la théorie à la maison et réalisent les exercices pratiques en classe – sont utiles, mais ponctuellement.»

Alerté par le secteur privé quant aux compétences en pénurie sur le marché du travail, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse lance de nouvelles filières. Dernières en date: informatique, sciences environnementales, architecture, design et développement durable, smart technologies ou gestion de l’hospitalité.

«Les cinq prochaines années seront marquées par un travail sur le contenu des formations pour les moderniser, les rendre plus proches de la réalité de l’économie, ce qui n’est pas évident puisque nous devons éduquer des jeunes pour des métiers qui n’existent pas encore», note , ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse.

L’envi­ron­nement change de plus en plus rapidement, aussi il devient important d’être flexible, de savoir s’adapter.

Stéphanie Damgédirectrice de l’asbl Jonk Entrepreneuren 

«Per­sonne ne peut dire ce qui va changer dans le détail d’ici dix ans», renchérit , appui de l’asbl Jonk Entrepreneuren. «L’envi­ron­nement change de plus en plus rapidement, aussi il devient important d’être flexible, de savoir s’adapter, de prendre des initiatives et des responsabilités, de savoir communiquer et négocier. Les soft skills et les compétences transversales comptent le plus.»

C’est ce que tentent d’insuffler les quatre lycées participant au projet pilote Entrepreneurial Schools amorcé en 2016 par les ministères de l’Éducation et de l’Économie, et désormais coordonné par Jonk Entrepreneuren.

«Les enseignants intègrent le volet entrepreneurial dans leurs cours en s’inspirant notamment du Youth Start Challenge, un programme visant à ouvrir l’esprit des jeunes et à les inciter à mettre en œuvre leurs idées de façon créative», précise Mme Damgé.

Les élèves bénéficient aussi de contacts avec le monde de l’entreprise, soit à travers les program­mes de Jonk Entre­preneuren (mini-entreprises, entreprises d’entraînement…), soit en visitant des entreprises sous la houlette de la Chambre de commerce. «Notre objectif est de dynamiser une attitude entrepreneuriale chez les jeunes, de mieux les préparer à leur avenir, qu’ils soient ensuite indépendants, salariés ou fonctionnaires.»

Sensibiliser les enseignants

De fait, les contacts entre lycées et entreprises sont déjà anciens, d’abord parce que les entreprises ont fort à faire pour séduire des jeunes naturellement attirés par un secteur public réputé plus confortable et mieux rémunéré. 45% des Luxembourgeois travaillent dans l’administration ou le parapublic.

«La Chambre de commerce propose ‘Macro/micro’ qui se compose d’un atelier pour mieux connaître l’économie luxembourgeoise et d’un autre sur les avantages et les risques de l’entrepreneuriat», avec l’intervention d’un entrepreneur si l’école mobilise plus de trois classes, explique Philippe Linster, business advisor à la House of Entrepreneurship.

Les élèves que l’entrepreneuriat séduit déjà peuvent assister à une «matinée de la création d’entreprise» qui les aide à structurer leurs idées à travers le business model canevas, un outil utilisé par les entrepreneurs. «Récemment, nous avons été recontactés par deux jeunes que l’atelier a motivés à développer une idée qu’ils avaient de longue date», se réjouit M. Linster.

Plus de 2.000 élèves ont, cette année, bénéficié d’un atelier ou d’une visite d’entreprise organisé(e) par la Chambre de commerce. Son programme Relations écoles entreprises s’adresse aussi aux enseignants via «Teacher meets business».

Chacun peut citer un enseignant qui a eu une influence sur son choix de section ou de métier, or la plupart des enseignants n’ont jamais travaillé dans le secteur privé.

Philippe Linsterbusiness advisorHouse of Entrepreneurship

«Chacun peut citer un enseignant qui a eu une influence sur son choix de section ou de métier, or la plupart des enseignants n’ont jamais travaillé dans le secteur privé, rappelle M. Linster. Nous organisons donc des visites d’entreprises pour leur en donner une expérience et leur présenter les profils que les entreprises recherchent.»

Après l’ICT (data center), l’économie circulaire (Superdreckskëscht) et la logistique (CFL Multimodal), le programme leur a fait découvrir le monde des start-up à travers une tournée des incubateurs. «Les enseignants discutent avec les acteurs du privé afin d’améliorer leurs cours en intégrant des exercices pour promouvoir les soft skills, l’esprit d’équipe, l’acceptation du risque… surtout que l’échec et la faillite sont encore très mal perçus» au Luxembourg.

Les technologies autrement – La Luxembourg Tech School repose sur la culture du projet, les nouvelles technologies n’étant qu’un moyen de résoudre un problème. (Photo: Luxembourg Tech School)

Les technologies autrement – La Luxembourg Tech School repose sur la culture du projet, les nouvelles technologies n’étant qu’un moyen de résoudre un problème. (Photo: Luxembourg Tech School)

Loin d’être une forteresse arc-boutée sur son programme – que le ministre voudrait étoffer en injectant des notions de digitalisation ici et là –, le lycée s’ouvre de plus en plus au monde de l’entreprise. «Il faut tout de même que le programme comporte un volet éducatif, que les élèves apprennent quelque chose et développent des compétences», note Stéphanie Damgé. Jonk Entrepreneuren a développé 11 programmes dont 8 pour l’enseignement secondaire, touchant plus de 11.500 élèves cette année «soit 14% des élèves au Luxembourg, ce qui représente un réel impact économique et social».

Éducation financière, entrepreneuriat, artisanat, soft skills, codage… plus de 70 acteurs privés proposent divers projets et programmes, des associations professionnelles et sectorielles aux institutions. Une offre tellement pléthorique que la professeure en sciences économiques Fabienne Kieffer travaille à la mise en place d’un organisme indépendant pouvant coordonner, communiquer et veiller à la qualité des différentes activités. Une initiative soutenue par la Chambre de commerce et le ministère de l’Éducation nationale.

Formations mises à jour

Du côté de l’enseignement secondaire général, recouvrant les filières professionnelles et techniques, les relations avec les entreprises sont plus naturelles. Il s’agit plutôt de dépoussiérer l’image de l’artisanat et de promouvoir ses métiers auprès d’une jeunesse qui les côtoie moins que les générations précédentes. Mais là encore l’avenir s’avère encore peu lisible. Certaines mutations sont déjà concrètes – il ne faut plus être mécanicien mais mécatronicien pour réparer une voiture.

Pour le reste, la connaissance technique n’est plus le principal critère. «La compétence-clé est l’aptitude à apprendre», estime Paul Krier, directeur du département Formation à la Chambre des métiers. «Nous promouvons l’idée qu’il faut donner un bagage suffisant et assez large, qui permettra aux élèves d’affronter les défis et de pouvoir se développer à travers la formation continue», complète Charles Bassing, directeur général adjoint de la même institution.

Car au-delà de l’évolution technologique en cours, c’est la façon d’exercer sa spécialité qui est impactée. «La linéarité dans l’apprentissage du métier qui conduit à monter son entreprise est rompue, explique M. Bassing. On ne vendra plus une chaudière mais de la chaleur.»

Des 40 brevets actuels, nous allons aboutir à une quinzaine de familles de métiers.

Charles Bassingdirecteur général adjointChambre des métiers

Un toit peut être plus qu’un toit: un jardin, une terrasse, un lieu de production d’énergie… Un changement de paradigme qui a conduit à une refonte des brevets de maîtrise. «Des 40 brevets actuels, nous allons aboutir à une quinzaine de familles de métiers, détaille M. Bassing. Le premier a été lancé l’an dernier: c’est le brevet en alimentation qui regroupe les métiers de bouche (boucher, boulanger, traiteur).»

Trois autres sont en cours: génie technique du bâtiment (électricien, installateur de chauffage, isolation thermique…), toiture (charpentier, couvreur, travail en altitude…) et esthétique (coiffure, pédicure, etc.). Ces brevets offrent une formation plus générale et les spécialisations se feront via la formation continue. Les artisans réclament que la même souplesse soit injectée au niveau de la formation initiale et accueillent favorablement les dernières annonces du ministre de l’Éducation concernant la création de passerelles supplémentaires entre la filière technique et l’université.

Il faut décloisonner les formations professionnelles et techniques, montrer leurs perspectives et leur perméabilité, parce que rien n’est figé dans la vie.

Paul KrierdirecteurChambre des métiers

«Il faut décloisonner les formations professionnelles et techniques, montrer leurs perspectives et leur perméabilité, parce que rien n’est figé dans la vie, milite M. Krier. Sinon, les jeunes, et surtout leurs parents, bloquent. Actuellement, cela revient à choisir une filière à 12 ans et subir toute sa vie les conséquences de ce choix.»

Une formation initiale faîtière et plus générale, une formation continue plus spécialisée: voici une architecture prometteuse, à condition que le financement suive – surtout que le multilinguisme complique l’organisation des formations. «Le système de cofinancement a un fort potentiel d’amélioration, ironise M. Bassing. L’État crée des règles en rendant certaines formations obligatoires mais ne les soutient pas financièrement.» Et ce, alors que plusieurs centaines de professionnels sont engagés, bénévolement, dans les travaux de modernisation des filières de formation.