Marie Schweitzer, Marie-Pierre Lagarde et Monique Birkel figurent dans la poignante série de photos noir et blanc «Behind the Mask» prises par Paul Foguenne en hommage aux soignants du CHL en première ligne face au Covid-19. (Photos : Paul Foguenne / CHL)

Marie Schweitzer, Marie-Pierre Lagarde et Monique Birkel figurent dans la poignante série de photos noir et blanc «Behind the Mask» prises par Paul Foguenne en hommage aux soignants du CHL en première ligne face au Covid-19. (Photos : Paul Foguenne / CHL)

La crise du Covid-19 a attiré l’attention sur les métiers en première ligne dans les hôpitaux. Parmi lesquels celui d’infirmier, qui a vécu de profondes mutations et s’assume plus que jamais comme un pilier des soins.

La Journée internationale des infirmières prend un sens particulier cette année, alors que cette profession n’aura peut-être jamais autant été placée sous les projecteurs dans la lutte quotidienne depuis plus de deux mois contre un coronavirus méconnu et particulièrement dangereux. Hasard du calendrier, l’Organisation mondiale de la santé avait proposé de dédier cette année 2020 aux infirmiers et sages-femmes et a publié un rapport sur l’«État des lieux des soins infirmiers dans le monde» qui préconise d’investir dans la formation, l’emploi et le leadership des infirmiers.

La ministre de la Santé (LSAP) a évoqué ce rapport avec l’Association des infirmières et infirmiers (Anil) et annoncé mardi la création d’un poste de chief nursing officer au sein du ministère à compter du 1er juin, qui sera «l’interlocuteur concernant toutes les questions qui concernent les soins ou le métier d’infirmier». Il s’agit d’«un pas important et [d’]une immense valorisation du travail de tous les infirmiers pendant et après la pandémie de coronavirus», se réjouit l’Anil.

Paperjam a rencontré trois infirmières du Centre hospitalier de Luxembourg qui vivent cette crise de l’intérieur: Monique Birkel, 63 ans, directrice des soins, Marie-Pierre Lagarde, 45 ans, directrice de pôle, et Marie Schweitzer, 29 ans, infirmière se destinant au bloc opératoire. Trois fonctions, trois identités face à une crise, pour une profession protéiforme. Trois visages mis en valeur par la de Paul Foguenne, ancien infirmier et membre du service Communication du CHL.

C’est une période très intensive, mais nous avions investi depuis des années dans la réflexion, la prévention des infections nosocomiales et rédigé des plans blancs par rapport aux pandémies annoncées – grippe aviaire, grippe porcine, Ebola…
Monique Birkel

Monique Birkeldirectrice des soinsCentre hospitalier de Luxembourg

«Je n’aurais pas voulu manquer l’histoire récente de l’hôpital et de la santé publique au Luxembourg», confie Mme Birkel. «C’est une période très intensive, mais nous avions investi depuis des années dans la réflexion, la prévention des infections nosocomiales et rédigé des plans blancs par rapport aux pandémies annoncées – grippe aviaire, grippe porcine, Ebola… À chaque fois, le ministère de la Santé a été un partenaire fort pour se préparer à l’arrivée éventuelle de nouvelles maladies dans notre pays. Avec tous les acteurs de l’hôpital – directeur médical, directeur administratif et directeur des soins –, nous avons discuté au quotidien des points critiques et réfléchi pour réorganiser notre hôpital afin de ménager deux circuits bien distincts.»

Mme Lagarde, qui a été responsable de la mise en œuvre du compartimentage de l’hôpital dans cette optique, fait également l’éloge d’un système réactif. «J’ai rédigé les procédures le vendredi soir, le comité de direction les a lues le samedi, le dimanche à 9h je pouvais déployer et à 19h tout était prêt», se félicite-t-elle. «Cela témoigne d’une grande agilité et de l’interaction dynamique avec les professions logistiques», qu’il s’agisse de l’approvisionnement des médicaments, du matériel de soins ou encore, fonction cruciale durant une épidémie, du nettoyage et de la désinfection.

La crise sanitaire, mettant les hôpitaux à l’épreuve, a révélé la solidité de leurs soignants. «On parle souvent de la peur et de l’anxiété dans l’incertitude. Mais cela a aussi révélé les talents et la cohésion entre les différents métiers, un caractère essentiel et un facteur de succès pour la mise en place des structures et de l’organisation sécurisée pendant cette crise», commente Mme Lagarde. «Les infirmières ont une identité très forte. Au-delà de la peur individuelle pour soi-même, l’identité métier prime sur la peur et est intrinsèque aux professions de santé.»

J’ai été très fière de voir à quel point les infirmières se sont engagées avec humilité et à la fois avec une force considérable.
Marie-Pierre Lagarde

Marie-Pierre Lagardedirectrice de pôle CHL

Une réalité vécue par Mme Schweitzer, sept ans d’expérience, qui a travaillé durant deux mois dans l’unité 50, d’abord dévolue au dépistage puis accueillant les patients Covid-19 et ceux suspectés d’en être atteints. «J’avais très peur lorsque je n’étais pas dans un service Covid. Peur que la situation tourne comme en Italie ou en Chine où des patients décédaient par manque de dispositif médical ou de personnel. Cela génère un sentiment d’impuissance et de détresse. Finalement, je me suis sentie beaucoup plus à l’aise une fois que j’ai intégré l’unité 50 et ma peur s’est atténuée. La situation a été bien anticipée par la direction du CHL, par le gouvernement. On avait ce qu’il fallait pour travailler malgré la pénurie mondiale. Il y a toujours cette peur d’être contaminée, de contaminer sa famille. C’est anxiogène. Mais je suis fière d’avoir vécu cette crise pour mon expérience professionnelle et personnelle.» Un sentiment partagé par Mme Lagarde: «J’ai été très fière de voir à quel point les infirmières se sont engagées avec humilité et à la fois avec une force considérable.»

Un engagement qui tire ses racines dans le passé de chacune. «Ce qui m’intéresse surtout, c’est de pouvoir au quotidien contribuer à améliorer la vie et l’état de santé d’autres personnes», confie Mme Birkel, quand Mme Schweitzer dit avoir «toujours ressenti le besoin d’aider les gens à traverser des situations difficiles, dans la peur ou dans la douleur», même si le métier apporte aussi des événements positifs comme en maternité.

L’infirmière d’aujourd’hui est beaucoup plus technique, experte, compétente.
Monique Birkel

Monique Birkeldirectrice des soinsCHL

La profession a toutefois beaucoup évolué depuis les dernières décennies et ne ressemble plus à celle des «Jeunes filles en blanc». «L’infirmière d’aujourd’hui est beaucoup plus technique, experte, compétente», confirme Mme Birkel. «Elle a une autre compréhension des traitements et des interventions auprès des patients. Ce qui a surtout beaucoup changé à l’hôpital, c’est que l’on fonctionne en équipes pluridisciplinaires et comme les infirmières sont sur le terrain 24h/24, elles ont une grande place dans l’organisation et la coordination des différents flux et du parcours des patients.»

De fait, «le métier a évolué en fonction de l’évolution des technologies, des traitements et des techniques», ajoute Mme Lagarde. «C’est l’avantage d’un métier qui n’est pas figé dans un savoir ou une activité particulière. C’est passionnant parce qu’on ne sait pas tout et on apprend beaucoup de choses.»

Le cadre législatif aussi a évolué. «J’ai eu la chance exceptionnelle d’assister à la réforme des hôpitaux comme des écoles pour les professions qui travaillent à l’hôpital», dit Mme Birkel. «Il y a 40 ans, il n’y avait pas un système budgétaire qui permettait aux infirmières de voir leur charge de travail reconnue et de prétendre à une dotation en rapport avec cette charge ni la législation autour du rôle et de la fonction des professionnels de santé à l’hôpital et en dehors.» Une mutation qu’elle a vécue à l’hôpital, où elle est directrice des soins depuis 2002, comme au Lycée technique pour professions de santé, où elle a enseigné durant neuf ans.

La seule limite à votre carrière d’infirmier est votre propension à rester curieux et à vouloir apprendre.
Marie-Pierre Lagarde

Marie-Pierre Lagardedirectrice de pôleCHL

La formation et les perspectives des infirmiers pourraient encore s’élargir d’après les recommandations de Marie-Lise Lair, la consultante auteur de l’«État des lieux sur les professions de santé» , qui appelle à briser les cloisons vers l’enseignement supérieur. Et le Premier ministre  (DP) a de son côté évoqué l’idée d’une école d’infirmiers franco-luxembourgeoise afin aussi de fournir un vivier de professionnels quand la crise sanitaire a révélé la .

Pour autant, les carrières ne sont pas verrouillées. «J’ai connu le management très tôt», témoigne Mme Birkel, qui a commencé sa vie professionnelle dans le service d’orthopédie du CHL. «Quand on est dans le management, on peut contribuer à faire évoluer le niveau de prise en charge soignante et à déployer les concepts de qualité et de sécurité.» Une mission qu’elle s’est fixée en devenant directrice des soins en 2002.

Quant à Mme Lagarde, elle a étoffé ses compétences au fil des années après une formation initiale à Nancy pour se spécialiser en management stratégique avec un certificat interuniversitaire obtenu à l’Université catholique de Louvain en 2012 et un executive master décroché à Sciences Po Paris il y a deux ans. «Quand on parle de vocation, c’est important de mettre son identité métier au service de la société et de rester en capacité d’apprendre et de se transformer. La seule limite à votre carrière d’infirmier est votre propension à rester curieux et à vouloir apprendre.» Mme Lagarde est désormais en charge de la planification dans le cadre de la afin de s’assurer de la pertinence des fonctionnalités structurelles et de l’efficience de l’organisation dans le nouveau bâtiment.

Peut-être faudrait-il scinder la formation entre infirmiers plutôt axés sur l’aspect clinique et médical et ceux axés sur le relationnel.
Marie Schweitzer

Marie SchweitzerinfirmièreCHL

Formée à Thionville, Mme Schweitzer s’apprête à suivre une spécialisation d’assistant technique médical (ATM) en chirurgie au LTPS. «L’ATM travaille davantage avec les dispositifs médicaux, le matériel électronique et peut être amené à réaliser des radios durant une opération. C’est aussi lui qui accueille le patient en bloc opératoire, vérifie son identité et son consentement opératoire et anesthésique, la latéralité de l’opération… Il accompagne le patient dans ce moment qui n’est en général pas une partie de plaisir.»

Une spécialisation qui répond aussi au besoin de se concentrer sur certaines tâches. «La profession devrait être divisée au niveau des tâches», estime-t-elle, alors que l’infirmière en soins généraux doit combiner les soins aux patients – «il faut épauler les aides-soignantes, qui font un travail remarquable, mais sont débordées» – avec le tour du service avec le médecin, les actes techniques, les pansements, tout en s’assurant que les repas sont bien livrés. «Peut-être faudrait-il scinder la formation entre infirmiers plutôt axés sur l’aspect clinique et médical et ceux axés sur le relationnel. Nous avons énormément de travail relationnel avec les familles et les patients, et nous ne faisons pas toujours notre travail comme nous aimerions le faire. Et ce n’est pas facile pour les patients parce qu’ils se sentent seuls. On fait au mieux et on vit avec la déception de fin de poste – celle de ne pas être parvenu à tout faire.»

Un sentiment partagé par ses anciens camarades d’études, où qu’ils soient postés, même si la revalorisation obtenue il y a deux ans après une mobilisation dans le secteur des soins est saluée comme une reconnaissance accrue de leur travail.