Pour Gilbert Pregno, ce sont les personnes les plus discriminées dans notre société qui souffrent le plus des effets sociaux de la pandémie. (Photo: Gilbert Pregno)

Pour Gilbert Pregno, ce sont les personnes les plus discriminées dans notre société qui souffrent le plus des effets sociaux de la pandémie. (Photo: Gilbert Pregno)

La Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) Luxembourg a présenté son rapport «La crise sanitaire et ses conséquences: quels impacts sur les droits humains?» à la ministre de la Justice, Sam Tanson (déi Gréng).

La CCDH (Commission consultative des droits de l’Homme) Luxembourg a avisé, dans son rapport, chacun des projets de loi émis depuis le début de la crise sanitaire et analysé la nécessité ou la proportionnalité des dispositions. Gilbert Pregno, psychologue et président de la Commission, commente le rapport pour Paperjam.

Quels sont les enseignements majeurs de ce rapport?

Gilbert Pregno. – «La CCDH a deux missions: promouvoir les droits humains et conseiller le gouvernement. Pour la pandémie, nous avons rédigé 13 avis. Et si j’ai bien fait mes comptes, seulement trois recommandations ont été retenues par le Parlement et le gouvernement. Dont la question de la fermeture des lieux de culture et la situation des sans-abris dans un contexte de couvre-feu.

Il y a eu comme une résistance aux conseils donnés. Le gouvernement était pris dans un élan compréhensible d’aller de l’avant et n’était pas tellement intéressé à remettre en question les projets de loi. Pas plus que le Parlement, d’ailleurs. La vitesse avec laquelle les lois sont votées est problématique. Cela ne permet pas d’approfondir les questions. Il y avait, dans les textes déposés, beaucoup d’imprécisions. Ce qui conduit aussi à une insécurité juridique. Je ne fais pas de reproches, juste un constat. Je peux comprendre ce besoin d’aller vite. Mais cela contribue à créer un contexte très fragile par rapport au respect des droits humains.

En tous cas, nous avons décidé que pour chaque prochain projet de loi qui sera désormais déposé et où il y aura une question de droits humains, nous l’analyserons en veillant à tenir compte de l’impact de la pandémie. On ne pourra plus faire comme si de rien n’était. 

Je me demande bien vers quelle société nous évoluons, et comment nous allons pouvoir réparer tous les dégâts causés.
Gilbert Pregno

Gilbert PregnoprésidentCCDH

Lorsque la pandémie a débuté, nous avions formulé deux hypothèses. La première était que les personnes les plus discriminées dans notre société seraient celles qui auraient le plus lourd fardeau à porter. C’est-à-dire les personnes âgées, les femmes, les réfugiés, les enfants, les adolescents, les personnes en situation de handicap… Et cela s’est vérifié. La deuxième hypothèse était qu’une fois la crise sanitaire passée, on pourrait revenir à la case départ. Et cela ne se vérifiera pas: cette crise sanitaire va créer beaucoup de dégâts et impactera, dans le moyen et le long termes, beaucoup de domaines de notre vie. Au niveau économique, mais aussi au niveau du vivre-ensemble et des injustices.

Déjà, on constate que les conséquences vont être graves. Dans le secteur de la santé, on a totalement négligé la composante psychologique. On voit également une banalisation du fait que les personnes âgées mouraient en nombre. Des personnes âgées que l’on a d’ailleurs mises dans une situation insupportable d’isolement.

Je me demande bien vers quelle société nous évoluons et comment nous allons pouvoir réparer tous les dégâts causés. Très tôt, je m’étais dit que cette pandémie nous permettait de voir avec plus de clarté quelle était notre fragilité personnelle, mais aussi celle de toute l’humanité. Ce virus évolue par mondialisation. Il peut donc impacter tous les êtres humains sur la planète, et cela montre combien nous sommes tributaires de cette impuissance qui nous habite.

Que faut-il corriger, selon vous, dans l’approche du gouvernement et dans les mesures qui ont été prises?

«Pour nous, la ligne d’analyse était toujours d’avoir une justification, ou une explication, ou une hypothèse scientifique basée sur l’expérience qui permettait de juger de la pertinence de telle ou telle mesure. Sur ce point, nous sommes restés sur notre faim. Le couvre-feu, par exemple, à quoi est-ce que ça a servi? Et sur le choix du nombre de personnes que l’on peut accueillir chez soi? Cela variait d’un pays à l’autre…

Il y a eu toute une discussion autour de la question de la violation, d’un isolement par une personne. La loi parlait d’enfermement. Sans donner de mode d’emploi. On ne peut pas le mettre en prison ni dans un centre de rétention ni l’interner en psychiatrie… Heureusement qu’il n’y a eu aucune situation de ce genre…

Je suis conscient que nous sommes dans une période de pilotage à vue, et il est difficile de trouver la juste mesure.

Pensez-vous que cette crise sanitaire va laisser des traces à long terme en matière de droits humains?

«Maintenant, à court terme, l’important est de confiner le virus, à veiller à ce qu’il soit combattu. Et je crois que c’est la vaccination qui va permettre de contrôler la situation. Ce qui devrait arriver pour l’été.

Le plus important, après, sera de redécouvrir la solidarité, le vivre-ensemble, la sororité et la fraternité. C’est un souci que nous avons tous à la CCDH: ne pas rester seulement dans une logique de combat contre le virus, mais veiller aussi au vivre-ensemble. Je crois qu’il y aura un recentrage à faire sur des valeurs importantes qui font que nous puissions vivre ensemble.

On s’est très vite habitué à des mesures qui étaient attentatoires aux droits humains, mais qui étaient justifiées parce que l’enjeu était celui de la santé de la collectivité. Le fait que nous nous sommes habitués à cela a certainement marqué aussi notre perception de ce qu’est la liberté. Je ne sais pas trop ce qui va arriver. J’ai simplement l’espoir qu’après toute cette crise, il y aura une sorte de nouvelle routine qui devra s’installer qui nous permettra à chacune et à chacun de trouver cet espace dont il a besoin pour bien vivre.

Pour moi, beaucoup de personnes sont restées dans cette perspective individualiste, c’est-à-dire sur ce qu’ils pensent pour eux même alors que ce dont nous avons besoin, c’est une sorte de solidarité.
Gilbert Pregno

Gilbert PregnoprésidentCCDH

Ces dernières années, nos sociétés sont allées très loin dans l’individualisation. Assiste-t-on à un retour de balancier vers le collectif, qui primera désormais?

«Ce que j’ai pu constater, c’est qu’il y a des personnes qui n’ont pas respecté les contraintes qui ont été imposées. Et il y en a d’autres aussi qui ont exagéré ces contraintes, certainement parce qu’ils avaient peur. Pour moi, beaucoup de personnes sont restées dans cette perspective individualiste, c’est-à-dire sur ce qu’ils pensent pour eux-mêmes alors que ce dont nous avons besoin, c’est une sorte de solidarité.

J’ai lu quelque part que si chacun assumait la responsabilité de ses actes dans le cadre de cette pandémie, on aurait besoin de moins de lois contraignantes. Nous avons besoin de lois contraignantes parce que des personnes ne sont pas dans cette attitude de responsabilisation.

Au début de la pandémie, j’avais envoyé un courrier à (DP) dans lequel j’avais dit qu’il y aurait plus de solidarité à la sortie de la crise. J’ai désormais des doutes par rapport à ça. Ce dont je me rends compte, en allant sur les réseaux sociaux et dans la presse, c’est qu’il y a une forme d’éparpillement des prises de position. Nous ne sommes pas dans une logique de nous serrer les coudes et d’aller de l’avant mais, pour certaines personnes, de chacun pour soi et qu’advienne que pourra. C’est le rôle du gouvernement, du Parlement et de la CCDH de créer le ciment nécessaire pour garder toutes les pièces ensemble et éviter que se développent des clivages indépassables.»