La coopération entre organes de contrôles de différents pays est fréquente, en cas de groupes possédant des filiales à l’étranger, comme le précise le directeur général du Commissariat aux assurances, Thierry Flamand. Mais l’autorité de référence reste celle du pays où le groupe a établi son siège. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

La coopération entre organes de contrôles de différents pays est fréquente, en cas de groupes possédant des filiales à l’étranger, comme le précise le directeur général du Commissariat aux assurances, Thierry Flamand. Mais l’autorité de référence reste celle du pays où le groupe a établi son siège. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Elles ont un siège social luxembourgeois et des succursales à l’étranger: comment le régulateur assure-t-il le contrôle de ces compagnies, qu’elles soient des Brexiters ou des réassureurs? Le point sur la compétitivité du secteur avec Thierry Flamand, directeur du CAA.

Dans avec , ce dernier avait abordé les questions relatives à la criminalité financière et la manière dont les entités régulées se préparaient, tout comme l’autorité de contrôle, à la visite du Gafi début novembre. Dans cette seconde partie, le régulateur de l’assurance évoque les modalités de contrôle lorsque des compagnies possèdent une partie des effectifs à l’étranger, et un siège au Luxembourg, comme les Brexiters. Idem lorsqu’elles disposent d’une filiale de réassurance à l’étranger ou lorsque ce sont les sociétés qui créent leurs propres compagnies d’assurance (les captives), pour rester concurrentielles dans un marché tendu.


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L’un des derniers «consultation paper» de l’EIOPA sensibilise notamment les régulateurs sur le fonctionnement des compagnies d’assurance ayant un siège européen, mais ayant conservé une partie des «fonctions critiques» en UK (Brexiters). Comment assurer votre mission de régulation dans ce cas?

Thierry Flamand. – «Il y a plusieurs situations par rapport à ce consultation paper qui sont visées. Nous avons des profils d’opérateurs qui ne posent, pour la plupart, pas de problèmes. Le modèle luxembourgeois de Brexiters est d’avoir un head office à Luxembourg – qui s’étoffe – et des succursales européennes. On demande à ce que les fonctions clés soient rapatriées à Luxembourg (direction, finance, souscription). Or les modèles qui ont été rapatriés à Luxembourg, surtout en non-vie, sont ceux où la souscription reste encore dans les succursales, lesquelles abritent le plus grand nombre de salariés. C’est le modèle qui existait avant le Brexit. Or il reste encore un bâtiment, des effectifs et des fonctions parfois clés dans l’ancien headquarter à Londres. Il peut subsister des dépendances par rapport à Londres… Nous mettons la pression sur les opérateurs pour qu’elles soient progressivement réduites. Nous avons environ 13 compagnies Brexiters (12 en non-vie et 1 en assurance vie), et des courtiers. Pour certaines, le transfert s’est fait immédiatement, pour d’autres, cela se fait plus progressivement, car il y a des contraintes opérationnelles. J’ai bien entendu le droit de demander des contrôles dans les succursales à l’étranger en tant qu’autorité de contrôle du pays d’établissement. Parfois, le CAA travaille avec les autorités de contrôle du pays de la succursale à titre de coopération.

Si le «consultation paper» sur les Brexiters est appliqué tel quel, à quoi ressemblera le marché de l’assurance dans cinq ans?

«C’est compliqué à prévoir. Ils sont surtout actifs sur une base transfrontalière et donc dépendants de la situation économique des pays voisins. S’il y a une croissance importante en France ou en Allemagne, il y aura un fort développement de l’assurance. Mais peu d’acteurs supplémentaires. Au Luxembourg, les places sont chères. Globalement l’enveloppe de primes augmente, mais le nombre d’acteurs diminue et c’est pour cela que notre indicateur n’est pas le nombre d’acteurs. Le plus gros de la consolidation en assurance-vie a déjà eu lieu ces dernières années.

Est-il normal/légal qu’une compagnie d’assurance ayant son siège au Luxembourg possède sa propre filiale de réassurance en dehors de l’Europe (Bermudes, Jersey…) Comment en assurez-vous le contrôle?

«La réassurance est, par nature, internationale. Les Bermudes sont historiquement un grand lieu de la réassurance, notamment pour les catastrophes naturelles. Certaines sociétés y sont considérées, du point de vue de la solvabilité, d’un niveau équivalent à celui exigé par le régime prudentiel luxembourgeois ou européen. Donc forts de cette équivalence, nous leur accordons le même crédit. Si elles appartiennent au même groupe que l’entreprise d’assurance basée au Luxembourg, la mise à jour de la directive Solvabilité 2 a renforcé la possibilité de contrôle collégial des groupes. Cela signifie que le CAA agit avec l’entité régulatrice aux Bermudes, ou en Suisse par exemple.

Mais si l’entreprise de réassurance est basée dans un pays où le cadre prudentiel n’est pas équivalent, on exigera du siège luxembourgeois davantage de fonds propres, pour pallier le risque de solvabilité.

On a un système réglementaire, il est ce qu’il est: c’est à prendre ou à laisser.
 Thierry Flamand

 Thierry Flamand Directeur généralCommissariat aux assurances

Le niveau de réassurance des compagnies (risques à céder en cas d’impayés ou de faillites) est-il plus élevé en période d’inflation?

«Effectivement, cela pose la question des interactions entre l’assurance et la réassurance. À certaines périodes, céder du risque ne coûte pas cher, le réassureur a un appétit au risque (une capacité) plus ou moins élevé, ce qui influence les tarifs. Nous sommes aujourd’hui dans une phase où les réassureurs acceptent de prendre le risque . Un exemple: une industrie qui fabrique et vend des produits est couverte en responsabilité civile et assurance-crédit. Or les cotisations ont réellement explosé ces dernières années. Là où l’industrie pouvait facilement céder du risque à une compagnie d’assurance qui en cédait elle-même à une société de réassurance, ce n’est plus le cas. Cela pousse les industries à créer des captives d’assurance, c’est-à-dire à fonder leur propre compagnie d’assurance, pour maîtriser les coûts. Il y a un regain d’intérêt pour les captives à ce titre, car il y a peu d’alternatives.

Ce regain d’intérêt pour les captives crée de la compétition entre les pays. En France, le secteur met un peu la pression sur le parlement pour accélérer la loi qui rendra plus facile l’installation de captives à Paris. Qu’est-ce que cela vous inspire?

«Puisqu’il n’y a pas vraiment d’alternatives, je trouve ça plutôt positif que le législateur français reconnaisse l’intérêt des captives. Il faut ensuite créer un écosystème. Au Luxembourg, il existe depuis des dizaines d’années et fonctionne très bien. Je ne vois pas cela comme une menace pour notre compétitivité. On a un système réglementaire, il est ce qu’il est: c’est à prendre ou à laisser. Peut-être que l’on pose trop de questions et que cela ne leur plaît pas? Dans le passé, de grands groupes français ont été attirés au Luxembourg, il fut un temps où il attirait les sociétés pour l’assurance-crédit, car certains pays étaient blacklistés par les assureurs… Mais demain, ils peuvent tout aussi bien aller en Irlande. Je pense que cela crée davantage un marché compétitif. C’est un instrument de gestion du risque relativement efficace pour les groupes.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.