Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Maison Moderne)

Depuis le début de la crise du coronavirus, les États et les banques centrales injectent des liquidités importantes dans l’économie pour pouvoir soutenir les entreprises et les ménages. Macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg, Alexandre Gauthy analyse le phénomène de dette publique et les moyens de la réduire.

Le coût de la crise actuelle pour les États sera bien plus élevé que celui du choc financier de 2008-2009. Le déficit budgétaire primaire, qui ne tient pas compte de la charge de la dette, avait augmenté de 4,1% du produit intérieur brut de la zone euro en 2009. Selon le Fonds monétaire international, cette mesure du déficit progressera de 6,7% en 2020. Une telle augmentation du déficit est le reflet des différentes mesures prises par les gouvernements pour aider les ménages et entreprises à traverser ce choc, en espérant que les supports économiques permettront à l’activité de rattraper rapidement son niveau d’avant-crise. La dette publique va donc croître brusquement non seulement en zone euro, mais également dans la plupart des pays, ce qui soulève la question de savoir si les États auront les moyens de rembourser un jour leur dette.

La soutenabilité de l’endettement public

Afin d’évaluer la soutenabilité de la dette publique, plusieurs paramètres entrent dans l’équation. Toute chose étant égale, une croissance économique plus élevée allégera le poids de l’endettement public. De même, plus la charge de la dette – le taux d’intérêt – est faible, mieux un État peut supporter un endettement public élevé sans qu’il n’y ait un effet boule de neige au travers duquel l’État doit accroître son endettement pour payer ses intérêts. Les autres critères importants sont le déficit budgétaire primaire et le ratio initial d’endettement.

Différentes voies de réduction du ratio de dette publique

L’histoire nous enseigne différents scénarios de réduction du ratio d’endettement public. En effet, l’endettement, qui est en somme l’accumulation des déficits budgétaires passés, est communément mesuré par rapport à la taille de l’économie, qui est un flux. Plus ce ratio est élevé, plus la capacité de remboursement de la dette publique peut s’avérer compliquée. En montant absolu, la plupart du temps, l’endettement total ne cesse de croître, ce qui signifie en quelque sorte que la dette publique n’est jamais totalement remboursée. Elle est diluée dans le temps et rongée par l’inflation, aussi modeste soit-elle. Ce qui compte in fine, c’est la dynamique de la dette, l’interaction entre les éléments qui définissent sa trajectoire.

L’endettement public américain, qui avait dépassé 100% de la taille de l’économie américaine à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, a baissé considérablement les années suivantes sous l’effet d’une croissance économique vigoureuse. On peut espérer que les plans de soutien des gouvernements mis en place suite à la dévastation économique liée au Covid-19 aient ce même effet. En Europe, certains observateurs comparent , dont les prémices ont été dévoilées par le président français et la chancelière allemande la semaine dernière, au plan Marshall de reconstruction d’après-guerre. Cependant, le taux de croissance économique futur de l’Europe (et du monde développé) est freiné par la faiblesse des gains de productivité et par la croissance démographique molle. Nous ne connaîtrons en toute vraisemblance pas de baby-boom après le confinement. Par conséquent, il est douteux que le ratio d’endettement public se réduise dans les années à venir sous l’effet d’une croissance économique élevée.

Il est douteux que le ratio d’endettement public se réduise dans les années à venir sous l’effet d’une croissance économique élevée.

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Au Japon, les taux d’intérêt faibles qui prévalent depuis des années ont permis de stabiliser le ratio de dette publique malgré les déficits budgétaires. Ainsi, de fin 2014 à fin 2019, le ratio d’endettement public n’est passé que de 200,2 à 204,1, alors que le déficit budgétaire a oscillé entre -3,8% et -2,8% du PIB par an sur la même période. Cette relative stabilité du ratio d’endettement fut rendue possible par une croissance économique modeste et par des taux d’intérêt très faibles, voire négatifs.

Un troisième exemple historique de réduction du ratio de la dette est l’austérité budgétaire qui avait été mise en œuvre dans les pays du sud de l’Europe en réponse à la crise de la zone euro de 2011-2012. Cependant, cette méthode a amplifié la contraction de l’activité économique de ces pays. De même, elle ne serait pas judicieuse aujourd’hui, à un moment où l’effort doit être de redynamiser la demande dans l’économie.

Enfin, l’endettement public peut être réduit via le défaut de paiement ou la restructuration de la dette. La Grèce a restructuré sa dette en 2012, ses créanciers ayant accepté une perte et un allongement des maturités de leurs obligations. En principe, un pays qui émet sa propre monnaie ne fait pas défaut sur sa dette dans sa devise. Le cas de la Grèce est particulier puisqu’il partage l’euro avec 18 autres pays. Un État peut ne pas être en mesure de rembourser des emprunts émis en devises étrangères lorsque la situation économique se dégrade. Ce fut le cas de l’Argentine à maintes reprises dans le passé pour ne citer qu’un exemple. Cette problématique touche, dans une plus grande mesure, les pays émergents qui empruntent dans une autre devise que leur monnaie domestique.

Le rôle déterminant des banques centrales

En temps normal, face à une telle augmentation du besoin de financement des États, les marchés financiers requerraient une compensation supplémentaire, sous forme de taux d’intérêt plus généreux, afin de compenser le risque lié à la hausse de l’endettement. Les taux extrêmement bas qui s’observent aujourd’hui sur les dettes publiques des pays jugés solides de la zone euro et des États-Unis s’expliquent en grande partie par l’action des banques centrales. D’une part, leur taux directeur se trouve à un plancher historique et, d’autre part, la faiblesse des taux longs sur les emprunts d’État de ces pays reflète le fait que les investisseurs n’anticipent pas de hausse de taux des banques centrales dans un horizon lointain. Lors de cette crise, les banques centrales ont lancé des opérations de création monétaire inédites en vue de racheter des dettes des États, ce qui facilite le financement du déficit budgétaire et limite toute hausse des taux sur les emprunts des gouvernements. De la sorte, en mars et en avril, la Fed a entièrement compensé les émissions obligataires du trésor américain. De son côté, la Banque centrale européenne devrait acheter près de 1.000 milliards de dettes publiques cette année, elle qui détient déjà un peu plus de 20% des dettes émises par les États membres de la zone euro.

Les banques centrales jouent pleinement leur rôle de prêteur de dernier ressort dans cette crise. Par leurs achats massifs de dettes publiques, elles faciliteront le financement des programmes de soutien mis en place par les États. La voie de désendettement dans les prochaines décennies sera sans doute une combinaison de taux d’intérêt bas, de croissance économique modeste et d’inflation positive, comme l’exemple du Japon. D’où vient l’argent créé par les banques centrales? Risque-t-il de faire augmenter le niveau des prix? Pourquoi ne pas simplement annuler la dette publique qu’elles détiennent? C’est à ces questions que je tenterai de répondre lors de mon intervention du mois prochain.