Sophie Casanova, directeur adjoint de la recherche économique chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Sophie Casanova, directeur adjoint de la recherche économique chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

La relative bonne tenue au cours des trois premières semaines de février du sentiment des investisseurs internationaux, malgré l’intensification de l’épidémie de coronavirus en Chine, qui s’était illustrée, notamment, par la performance positive de la plupart des marchés d’actifs risqués, a été de courte durée.

Elle tenait à ce que même si cette épidémie engendrait une chute de la demande et de la production chinoise et qu’elle affectait de nombreuses économies émergentes, il était généralement considéré qu’elle ne devait affecter que dans une faible mesure les perspectives pour les économies développées malgré l’interruption du fonctionnement de chaînes de valeur.

La perspective d’une diffusion mondiale de l’épidémie, qui s’est renforcée avec la hausse des cas diagnostiqués en Corée du Sud et en Italie dans un premier temps, a changé la donne puisqu’elle a soudainement hypothéqué les perspectives de croissance, y compris celle des pays développés comme nous l’avons établi à partir de deux scenarii.

Face à la brusque détérioration de la confiance des investisseurs qui a suivi, les banques centrales ont à nouveau réagi, la Réserve fédérale n’hésitant pas, notamment, à baisser de 50 points de base à 1,25% son taux directeur lors d’une réunion exceptionnelle de politique monétaire le 3 mars 2020.

Bien sûr, la capacité de l’assouplissement monétaire à prémunir l’économie mondiale du risque de récession est insuffisante, mais elle permet de limiter l’ampleur de la détérioration des conditions financières et d’enrayer, avant même qu’il ne se produise, un effet domino qui, via des cessions d’actifs en urgence, transformerait la crise sanitaire en crise financière.

Nous considérons que dans le cas d’un scénario pandémique, les banques centrales, et en particulier la Fed, disposeraient encore de marges de manœuvre.
Sophie Casanova

Sophie Casanovadirecteur adjoint de la recherche économiqueEdmond de Rothschild

Par ailleurs, nous considérons que dans le cas d’un scénario pandémique, les banques centrales, et en particulier la Fed, disposeraient encore de marges de manœuvre. En effet, malgré l’extrêmement bas niveau des taux d’intérêt de court terme et de long terme, y compris aux États-Unis, elles peuvent encore baisser les taux courts. Mais on peut douter de l’efficacité qu’auraient de nouveaux programmes d’achats d’obligations souveraines, tels que ceux mis en place lors de la crise financière de 2008, quand, à titre d’exemple, le rendement Treasury 10 ans est, d’ores et déjà, à 0,8%, son plus bas niveau historique.

L’objectif de l’assouplissement quantitatif tel qu’il a été mené par la Fed à trois reprises depuis 2008 était, en effet, de faire baisser, via notamment des achats massifs d’obligations souveraines, le niveau des taux sans risque de long terme, la baisse de ce dernier se répercutant sur les composantes sans risque de l’ensemble des autres classes d’actifs.

Mais, comme nous l’avons analysé, alors que les banques centrales n’ont pas normalisé leurs bilans, leur détention d’un stock important de ces obligations implique une compression durable de cette composante sans risque. Ainsi, alors que la Fed détenait encore fin février 2020 près de 2.200Mds$ d’obligations Treasuries, un nouveau programme d’achat d’obligations souveraines n’aurait plus qu’un effet marginal sur les taux sans risque ce qui pourrait hypothéquer sa capacité à contenir les évolutions sur les autres marchés d’actifs.

La banque centrale américaine a la possibilité d’élargir le champ des catégories d’actifs achetés selon nous.
Sophie Casanova

Sophie Casanovadirecteur adjoint de la recherche économiqueEdmond de Rothschild

Pour autant, la banque centrale américaine a la possibilité d’élargir le champ des catégories d’actifs achetés selon nous. En effet, elle pourrait être en mesure d’intervenir, cette fois, sur les primes de risque, en procédant à des achats d’obligations d’entreprise de qualité, ce qui lui permettrait d’agir à nouveau indirectement sur l’ensemble des autres classes d’actifs.

C’est ce que fait d’ores et déjà la Banque centrale européenne, via son programme d’achats d’actifs. D’ailleurs, les chiffres de ses achats mensuels ont montré que la BCE avait accru la part de ses achats d’obligations d’entreprise en février, l’amenant à 24% de ses achats totaux.

Certes, aux États-Unis, à ce jour et tant que le Congrès américain ne l’y aura pas autorisé, la Fed ne peut pas légalement acheter de la dette d’entreprises privées dans des circonstances «normales». Mais selon notre interprétation des textes et comme elle l’a déjà fait lors de la crise de 2008, lorsqu’elle est intervenue via un véhicule hors bilan sur le marché des commercial papers, elle serait capable de déroger à cette règle si les circonstances deviennent «exceptionnelles», la section 3 de l’article 13 du Federal Reserve Act l’y autorisant.

Les banques centrales ont encore des munitions. C’est rassurant à court terme, mais constitue une source de volatilité nouvelle liée au risque de bulle.